L’AEFE : la centralisation des établissements français à l’étranger au carrefour de la francophonie

DOI : 10.35562/rif.711

Résumés

L’Agence pour l’Enseignement Français à l’étranger (AEFE) est l’un des piliers de la politique culturelle extérieure française. Son rôle est d’assurer à la fois la continuité d’une mission de service public, l’éducation, mais également de promouvoir la langue et la culture française. Présent dans 132 pays, les 492 établissements de l’AEFE constituent le réseau éducatif francophone. À partir d’une analyse socio-historique, nous montrerons comment la centralisation de ce réseau a permis de créer et de maintenir un lien entre les différents établissements qui accueillent une élite internationale francophone et francophile.

The Agency for French Education Abroad (AEFE) is one of the most important institutions in charge of French cultural policy abroad. Its primary role is to ensure the quality of French educational instruction and to promote French culture and language around the world. The AEFE is formed of an extended network of 492 French schools in 132 countries. While undertaking a socio-historical perspective, this article aims to analyze how the centralization of this network maintained a solidarity link between these schools that host essentially international francophone and francophile elites.

Index

Mots-clés

AEFE, réseau, éducation, culture, francophonie

Keywords

AEFE, Education, Culture, French schools

Plan

Texte

Le 21 mars 2018, lors de son discours à l’Institut français de Paris, le président Emmanuel Macron évoque pour la première fois la réforme de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’étranger (AEFE) : « La France dispose aujourd’hui de 500 établissements dans le monde accueillant 350 000 élèves. C’est la colonne vertébrale de notre offre d’enseignement à travers le monde. Il sera consolidé, dynamisé pour garantir sa pérennité et répondre à la demande croissante. » (Élysée, 2018)

Considéré comme le pilier de la politique d’influence française, les établissements français à l’étranger sont gérés par l’Agence pour l’Enseignement Français à l’étranger (AEFE), agence publique autonome à caractère administratif chargé de 5 missions principales : assurer les missions de services publics relatives à l’éducation aux enfants de nationalité française ; contribuer au renforcement des relations de coopération entre les systèmes éducatifs et français ; contribuer au rayonnement de la langue et de la culture française par l’accueil d’élèves étrangers ; veiller à la stabilisation des frais de scolarité et, enfin, aider les familles françaises et étrangères à supporter les frais liés à l’enseignement et, enfin, accorder aux enfants de nationalité française des bourses dans certains établissements français à l’étranger.

Néanmoins, l’histoire des établissements français à l’étranger ne commence pas à la création de l’AEFE, en 1990. Il est le résultat d’un processus historique, mêlant une logique « missionnaire » de la France confessionnelle, « coloniale » et « laïque » (Deberre, 2012, 2) qui convergent progressivement pour former une politique culturelle extérieure, fondé sur l’alliance entre la puissance publique et « la société civile ». À partir du XVIIe siècle, on observe l’apparition de structures visant à contrôler administrativement et juridiquement toutes les facettes de l’éducation dans la plupart des pays occidentaux (Prusse, États-Unis, France…) (Crevier, Robichaud, 2016, 8). À la même époque, à l’initiative de missionnaires religieux, les premiers établissements français voient le jour en Allemagne, en Inde ou encore en Turquie (Bry, 2013, 20).

Les établissements français à l’étranger n’étaient pas encore perçus comme des outils diplomatiques, mais comme un moyen pour les migrants français de garder un lien avec leurs pays d’origine. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle, avec l’évolution du rôle de l’école que celle-ci apparaît comme un instrument d’influence. Progressivement, l’école est perçue comme le pilier du nationalisme, notamment grâce l’introduction de l’histoire, de la géographie et de la langue française, l’objectif étant de partager un socle commun entre les provinces françaises mais aussi dans les colonies (Beck, 2015, 137). À la fin du XIXe siècle, des associations non gouvernementales tel que l’Alliance Française (AF), l’Alliance Israélite Universelle (AIU) ou encore la Mission Laïque Française (MLF) voient le jour et mettent en place des stratégies de promotion de la langue et de la culture française à l’échelle internationale (ibid.). Le fondateur de la MLF, Pierre Deschamps, jeune enseignant en lettres modernes fraîchement diplômé, prend pour modèle intellectuel et social l'école républicaine de la métropole qu'il fusionne avec l'infrastructure des missions religieuses françaises à l'étranger existantes (Deguilhem, 2006). L’école républicaine est alors fortement marquée par le concept de « civilisation » hérité des Lumières. Cette idée repose sur « la rationalité de l’organisation sociale dont le principe primordial était l’égalité » (Beck, 2015, 139) afin de former un homme « meilleur, éduqué, poli à l’esprit plus ouvert ». L’acte éducatif est, par essence, « l’action des générations adultes sur les jeunes générations » (Robichaud, Crevier, 2016, 2) à savoir la transmission de normes, de tradition, de savoirs, d’états d’esprit et de dispositions morales (ibid.) et qui doit, selon la conception durkheimienne, permettre l’intégration au sein de la société (Meuret, 2007). Dès lors, comment appréhender les établissements français à l’étranger ? Quelle politique culturelle extérieure est mise en place à travers l’AEFE ? Car s’ils accueillaient majoritairement les enfants d’expatriés français jusqu’à la moitié du XXe siècle, la démocratisation de masse de l’éducation ainsi que la demande constante d’un enseignement de qualité a conduit à un renversement des effectifs. Aujourd’hui, les élèves français ne constituent plus que 36 % de l’effectif total des établissements français. Ces derniers ne dépendent pas des autorités locales (pour la plupart) mais se définissent par rapport aux institutions françaises. Les programmes, la langue et les examens sont similaires à ceux des écoles en France et, en tant qu’établissements internationaux, ils se rapprochent plus du champ diplomatique que du champ de l’enseignement (Wagner, 1998, 53). Les établissements sont parfois au cœur de manifestations culturelles, de conférences d’invités politiques et diplomatiques et sont souvent mis en avant lors de visites officielles.

Aujourd’hui, L’AEFE est en charge de 497 établissements répartis dans 137 pays et scolarise près de 350 000 élèves. L’objectif de cet article est d’examiner la centralisation progressive de ces établissements ainsi que les modalités de maintien de cohésion entre ces organisations et l’institution centrale en montrant comment s’articulent les logiques transnationales, nationales et locales de l’AEFE et sa relation avec ses partenaires.

I. Une politique culturelle extérieure

I.1. Des congrégations religieuses aux associations

Selon une définition strictement normative, la politique culturelle doit « créer les conditions propices à la production et à la diffusion des biens et services culturels diversifiés » tout en assurant la libre circulation des idées et des œuvres (Greffe, Pflieger, 2015). Appliquée aux établissements français à l’étranger, cette politique serait née de l’idée de gérer et d’aider les écoles installées à l’étranger suite à l’émigration européenne entre 1859 et 1914 (50 millions d’européens voguent ainsi vers l’Afrique, l’Amérique et le Proche et Moyen-Orient) (Chaubet, Martin, 2011). La colonisation et l’essor de la diplomatie conduisent à des émigrations importantes. Ces communautés étrangères diffusent leurs cultures dans leur nouveau pays d’accueil et sont petit à petit considérées comme des relais par leurs gouvernements. D’autre part, à la même époque, apparaissent des associations et des alliances à vocation universelle. En s’appuyant sur les communautés à l’étranger, elles mettent en place des événements, parmi lesquelles les missions d’enseignement occupent une place majeure. C’est le cas de l’AIU à partir 1868, de l’AF en 1884 et de la MLF en 1902. Cette dernière servira notamment de fer de lance au républicain dans leur combat contre les congrégations religieuses (Thévenin, 2002, 36) tandis que les groupes de l’Alliance française prolifèrent, à travers des universitaires ou des ambassadeurs engagés. Le succès de ces institutions est notamment dû au contexte colonial. Elles servent de relais à une future implantation de la métropole dans un domaine où l’État colonial est peu présent. Selon A. Bry, « l’échec de la politique scolaire en Afrique est à chercher du côté de l’administration coloniale française qui ne se souciait pas de l’éducation mais plutôt sur le développement permettant des exportations rentables » (Bry, 2013, 20). Cependant, dans certains pays tels que le Maroc, les administrateurs coloniaux étaient conscients du rôle que pourraient jouer les élites locales. Sous l’impulsion du Maréchal Lyautey furent créé de nombreux instituts de formation, notamment administrative, pour les Marocains (Vermeren, 2002).

De plus, la création de ces associations est révélatrice d’une réflexion sur la place de la culture et des valeurs françaises sur la scène internationale qui émerge progressivement chez les politiciens, sans que l’État ne se saisisse pour autant de ces questions. Les relations culturelles internationales sont alors marquées par deux modèles : d’un côté, un modèle américain, marqué par des organisations philanthropiques privées et, de l’autre côté de l’Atlantique, un modèle européen où des pays comme la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne mettent en place des agences étatiques culturelles (Chaubet, Martin, 2011). Ainsi, en 1920 est mis en place, en France, le service des œuvres françaises à l’étranger qui, malgré la petite équipe dont il était composé (8 à 12 agents), représenta une part importante des dépenses culturelles du ministère des Affaires étrangères auquel il était rattaché (17,3 % de la part du budget entre 1920 et 1938). Il avait pour mission de « développer aussi largement que possible l’influence morale et intellectuelle de la France dans le monde, en utilisant ou en suscitant à cet effet toutes les occasions profitables » (Avez, 1993, 2). Si l’ouverture d’un établissement français résultait d’initiative privée, à travers la présence d’une communauté française importante ou sous l’initiative d’un ambassadeur engagé, le service des œuvres fournissait néanmoins une aide (notamment financière) et un soutien afin d’encourager ces initiatives. Ainsi, en 1935, sous l’impulsion du diplomate Charles Ferry de Fontnouvelle, le lycée français de New York ouvre ses portes. Chaque année, un prix était remis à une personnalité pour « sa contribution au rayonnement de la communauté franco-américaine » (Bry, 2013, 65). Le service des œuvres était divisé en 4 sections : artistiques et littéraires ; tourisme, sport et image et enfin artistique et littéraire et la section universitaire et écoles, la plus importante, qui absorbait plus de 80 % du budget. On voit ainsi apparaître les principaux axes de la « diplomatie culturelle française » : soutiens aux institutions favorisant la langue française, création d’instituts, de filières universitaires et détachement de lecteurs à l’étranger.

I.2. L’essoufflement de la centralisation administrative

Cependant, la guerre marque une pause dans la coopération culturelle. Les guerres déstructurent les institutions et favorisent les ré-institutionnalisations (Gilabert, 2017, 20). Une fois celle-ci terminé, il s’agit alors de « reconstruire » grâce à la culture (réouverture d’instituts, reprise d’échanges académiques…). Le service des œuvres est remplacé par la direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques. Créée en 1946, elle prend sous son aile, d’abord financièrement, puis ensuite politiquement, son « réseau scolaire » à l’étranger qui ne constitue cependant pas, à l’époque, une priorité. Cette refonte est nécessaire durant la période d’après-guerre. En effet, le français doit faire face à la concurrence de l’anglais, de l’espagnol et même du russe. La DGRCST se doit alors d’utiliser de nouveaux réseaux, notamment en s’insérant dans les organisations internationales (ONU, UNESCO…) (Saint-Gilles, 2009, 103), tout en réorganisant les principales missions héritées du service des œuvres (enseignement, missions scientifiques et œuvres) (Dollot, 1980, 726). Son personnel provient, d’une part, du corps diplomatique et consulaire et, de l’autre, de professeurs détachés du ministère de l’Éducation nationale (idem, 721). De plus, en jouant sur l’incertitude du terme « culturelle » analysé par V. Dubois, la DGRC se voit confier différentes missions et changera maintes fois d’appellation1. Le « flou » du champ culturel, mis en avant par V. Dubois, désigne l’instabilité institutionnelle de ce champ (multiplication des organisations…) et l’illégitimité d’appartenance à ce champ intériorisé par ses acteurs (Lavergne, Perdoncin, 2004).

Mêlant ainsi culture, éducation, science et coopération, la DGRC est un « entrepreneur du réseau » correspondant à la définition de A. Colonomos « en mesure d’irriguer simultanément plusieurs secteurs de la vie politique, économique, sociale et culturelle » (Colonomos, 1998, 21). Pourtant, le service souffre malgré tout de nombreuses difficultés. Dans les années précédant la création de l’AEFE, le transfert des dossiers de professeurs, du ministère de l’Éducation nationale vers le MAE ont été retardés, entraînant un délai supplémentaire dans la délivrance de leurs passeports et retardant, par la même occasion, la rentrée scolaire. De même, les écarts de salaires entre les enseignants à l’étranger ont conduit à une réforme, longtemps souhaité par le Conseil supérieur des Français à l’étranger (Bry, 90), du service de l’enseignement à travers la création d’une agence publique autonome, l’agence pour l’enseignement français à l’étranger.

II. L’AEFE, du changement à la continuité

La création de l’AEFE ampute la DGRC de tout le secteur éducatif et s’inscrit dans un plan de rénovation administratif afin de répondre à des soucis d’économies et de management administratif.

II.1. Des réformes en manque d’une vision de la politique culturelle extérieur

À la veille de la création de l’AEFE, il existait 380 établissements dans 116 pays, accueillant 165 000 élèves dont 60 000 élèves français. C’est un réseau dense qui couvre presque toutes les capitales du monde (AEFE direction, Côte 260 ORV/41). Le budget de l’Agence, au 1er septembre 1990, aurait été de l’ordre d’1,2 milliard de francs pour la première année. Elle gérait 6 000 enseignants titulaires (2250 expatriés, 3500 résidents). Le statut et le rôle des enseignants ont été une des causes principales de la création de l’AEFE.

En effet, sous la DGRC, il existait 3 statuts d’enseignants : les titulaires, recrutés par le ministère de l’éducation nationale, appelés « détachés du barème », les titulaires recrutés localement, appelés « détachés administratifs » et les recrutés locaux, non titulaires. Or, entre les détachés du barème et détachés administratif existait, à diplôme équivalent, une différence de salaire importante due à la nature de leur contrat. Ainsi, les détachés du barème étaient employés par le MAE ou le ministère de la coopération. Leur rémunération était basée sur le décret 67-290 du 28 mars 1967 qui prévoit, comme rémunération principale, le traitement indiciaire et l’indemnité de résidence. À cela s’ajoutent des avantages familiaux et des indemnités forfaitaires pour rembourser des frais « éventuels ». Or, bien que les « détachés administratifs » puissent avoir les mêmes diplômes que les détachés du barème, ils sont recrutés par l’établissement du pays d’accueil, sur la base de conventions salariales locales. Ils sont associés aux « recrutés locaux » du fait de leur modalité de recrutement et non de leur statut administratif. Le rapport Beix présente un exemple frappant de la différence de salaire existant entre les deux statuts :

« Un instituteur en milieu de carrière à Caracas (7e échelon) gagne 860 F par mois en monnaie locale s’il est recruté sur contrat local. Son collègue “détaché au barème” gagne 17 530 F, soit son traitement indiciaire de base, plus son indemnité de résidence de 8 843,91 F, augmenté le cas échéant d’un supplément familial. Enfin, son collègue professeur agrégé, en milieu de carrière (7e échelon), gagne 1 370 F s’il est recruté local et 29 000 F s’il est “détaché au barème” (13 830 F de traitement de base et une indemnité de 13 190 F) » (archives AEFE, côte 260 ORV/41)

Tout l’enjeu d’une réforme des statuts des « détachés » était de réduire les écarts, tout en évitant une dépense exponentielle qu’entraînerait l’augmentation des détachés administratifs. Dès 1987, une première mesure avait été envisagée, consistant à diminuer le nombre de détachés au barème et à améliorer la situation des recrutés locaux. Néanmoins, il était difficile de la mettre en œuvre à l’échelle mondiale pour des raisons politiques et économiques. D’une part, la révision du décret 67-290 aurait pu provoquer, dans les pays où se trouvaient des établissements français, une demande de révision des conventions culturelles autorisant la présence de ces derniers. D’autre part, il aurait été possible de recourir au recrutement massif d’enseignants locaux ce qui aurait nui à l’image d’un enseignement français de qualité (ibid.)

La création de l’AEFE a permis de mettre fin à ces inégalités en appliquant le « régime de rémunération de la fonction publique enseignante à tous les agents affectés à l’étranger ». La suppression des statuts de « détachés du barème » et de « détachés administratifs » donne naissance à de nouveaux statuts, celui « d’expatriés » et de « résidents ». Les premiers sont recrutés et affectés dans leur pays par l’AEFE tandis que les seconds doivent, quant à eux, avoir séjourné au moins trois mois dans le pays avant de postuler à un poste auprès d’un établissement. Ils sont recrutés par ce dernier et leur contrat est signé à la fois par le chef d’établissement mais également par le chef de poste diplomatique2. Cependant, malgré ces réformes, la création de l’agence ne rompt pas avec la politique mise en place avec la DGRC et s’inscrit dans une approche de « dépendance au chemin emprunté » (path dependency) pour deux raisons principales.

D’une part, les instruments au service de la politique culturelle sont les mêmes depuis le XIXe siècle : soutiens à la création d’établissement, bourses accordées aux élèves français à l’étranger, bourses accordées aux élèves venant étudier en France... des politiques qui s’inscrivent dans une continuité « psychologique et idéologique, celle de la francophonie » (Kessler, 2002, 112). La volonté d’inclure la « culture » comme élément de la puissance et du rayonnement de la France passe par la défense de la langue française, sans pour autant se renouveler ni redéfinir la francophonie. Si le dernier rapport sur l’AEFE souligne que « l’AEFE est la clé de voute du soutien à la langue française […] mais qu’il ne saurait constituer le seul vecteur d’influence de la langue française » (Delahaye et Ferraud, 2018, 3). M.-C. Kessler avait déjà souligné ce point en 2002… D’autre part, le statut « d’établissement public national à caractère administratif » lui confère certes une autorité sur la gestion des établissements et de leurs personnels mais n’a pas une autorité pédagogique. En effet, les enseignants expatriés et résidents sont des « titulaires » de l’Éducation nationale, disposant d’un diplôme français (CAPES ou agrégation). Comme nous allons le voir dans la deuxième sous-partie, il existe une relation asymétrique entre l’AEFE et les différents établissements, en fonction de leur statut, et qui servent plus ou moins efficacement la politique de rayonnement culturelle.

II.2. Un enseignement unique, des relations asymétriques

Tous les établissements français établis hors de France sont soumis à une procédure d’homologation par laquelle le ministère français de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche atteste la conformité des enseignements aux programmes mais aussi aux valeurs fondamentales de l’école française (AEFE, 2018). Il existe trois statuts d’établissements français à l’étranger. Les établissements en gestion directe (EGD), les établissements conventionnés (EC) et les établissements partenaires (EP). Les différentes formes que prennent les établissements sont révélateurs des liens qu’ils entretiennent avec la France et le pays d’accueil.

Les EGD sont sous le contrôle direct de l’AEFE. Au nombre de 75, ils sont présents dans 16 pays, principalement en Europe et en Afrique du Nord. Le Maroc regroupe à lui seul 25 EGD. L’agence leur accorde des subventions, rémunère les personnels titulaires. Leur budget étant agrégé à celui de l’agence, ils y nomment également les proviseurs et agents comptables. Une partie de ces rémunérations est remboursée à l’agence sous forme de « remontées financière », de l’ordre de 9 %, par les parents (FAPEE, 2018).

Ensuite, viennent les établissements conventionnés. Il s’agit là d’établissements homologués, gérés par des associations de droit privé, françaises ou étrangères, et qui concluent, avec l’AEFE un accord portant sur les conditions d’affectation et de rémunération des enseignants et des personnels d’encadrement titulaires, l’attribution des subventions et enfin sur les bourses scolaires aux enfants français. 157 établissements sont conventionnés. Bien qu’ils soient similaires, dans leur fonctionnement, aux EGD, la gestion diffère en fonction du conseil mis en place par la convention. Dans le cas d’un conseil de gestion, l’établissement à la possibilité de fixer le budget sous le contrôle de l’ambassade (ibid.). Dans le cas où la convention prévoit un conseil d’établissement, ce dernier ne peut voter le budget, mais dispose d’un droit de regard sur le budget prévisionnel et le compte de gestion de l’établissement. Dans ces conseils siègent le proviseur, le comptable et les associations de parents d’élèves.

Enfin, le dernier statut est celui des établissements partenaires. Ils sont également gérés par des associations de droit privé (français ou étranger), mais se distinguent des établissements conventionnés par la nature du contrat signé avec l’AEFE. En effet, l’accord de partenariat définit principalement les relations financières entre ces établissements et l’AEFE, bien que cette dernière mette également à leur disposition certains outils tels que la formation continue des enseignants, l’inspection académique et d’homologation ainsi que l’orientation scolaire. Le personnel qui y exerce est composé majoritairement de contrats locaux (exception faite des établissements de la MLF) et ne dépend pas de l’AEFE. En contrepartie, ils doivent verser, chaque année, 1 à 2 % de leurs recettes annuelles, perçus dans les niveaux homologués, à l’agence (ibid.). De plus, ils peuvent également être inclus dans un « accord de partenariat collectif. » C'est le cas par exemple des établissements de la MLF. De par son statut privilégié (sur lequel nous reviendrons dans la dernière partie), ils peuvent disposer de personnels titulaires, si ces derniers obtiennent un statut de détaché administratif (Beck, 2015, 81).

Les enseignants ne sont pas titulaires de l'Éducation nationale dans les différents établissements. Ainsi, si les établissements en gestion directe possèdent un nombre important d’enseignants titulaires, leur budget est limité par l’agence. Les établissements partenaires, bien qu’ils ne possèdent pas d’enseignants titulaires, sont néanmoins maîtres de leurs budgets qui, s’il est bien utilisé, est un relai de la langue française et de son enseignement au sein du pays d'accueil (Pouillet, 2017). Néanmoins, la relation asymétrique qu’entretient l’AEFE avec ses établissements est un facteur de distinction socio-scolaire. En effet, dans certains pays, les EGD sont placés au sommet de la hiérarchie scolaire. C’est ce que démontre S. Beck en analysant le cas du Maroc. Les établissements de l’AEFE y sont appelés « mission », héritage de l’accord de coopération culturelle signée entre le Maroc et la France après la décolonisation, tandis que les établissements partenaires sont, quant à eux, qualifiés de « type mission ». Pour les parents d’élèves, cette distinction est cruciale, dans la mesure où les EGD disposent d’un nombre plus important d’enseignants titulaires. En ce sens, la fonction symbolique que renferme la profession d’enseignant (transmission d’un savoir, d’une éducation, de valeurs…) s’accompagne d’une forme de légitimation de l’enseignement et de la pédagogie à l’étranger (Beck, 2015).

Ces différences sont importantes dans la mesure où elles déterminent le « degré d’immersion » dans chaque pays. S. Beck analyse l’insertion des enseignants français dans les sociétés locales, en prenant pour exemple le cas du Maroc et de l’Angleterre. Pour lui, le degré d’immersion au sein des sociétés locales dépend de la proximité avec les institutions du pays d’origine (institut culturelle, ambassade) (ibid., 2015, 131). Ainsi, pour les expatriés, le déplacement est plus facile et l’immersion dans l’établissement est d’autant plus simplifiée par le fait qu’il soit cadré par le lien avec l’institution, en termes de durée de séjour, d’hébergement et de conditions salariales. Il « élargit le choix des possibles ». Ils peuvent choisir de renouveler leur contrat ou de rentrer en France. Cependant, pour les contrats locaux, parfois titulaires de l’Éducation nationale, les conditions de séjour sont plus difficiles car il n’existe pas un tel cadre. Ils doivent chercher un employeur sur place, seul, et ils ne seront pas garantis de retrouver un poste dans leur académie dans le cas où ils choisiraient de revenir en France. Enfin, pour certains résidents, le pays choisi découle parfois d’une histoire personnelle. Les résidents sont à la frontière entre deux mondes, la porte vers « l’ailleurs » et vers le « ici ». Comme l’écrit Beck « les établissements dans des pays géographiquement proches de la France comme Casablanca et Londres sont particulièrement réputés pour être des établissements de fin de carrière » (ibid., 94).

De même, G. Fabbiano qui a analysé le lycée international Alexandre Dumas, à Alger, montre comment, par-delà les statuts administratifs, se cachent des enjeux nationaux et ethniques qui régissent les relations professionnelles entre les enseignants. L’appartenance identitaire (binationaux franco-algériens, français et nationaux) a remplacé la démarcation statutaire (expatriés, résidents et locaux). Les enseignants binationaux sont perçus par leur ethnicité réelle ou présumée, plus que par leurs rôles, leurs diplômes ou leurs compétences (Fabbiano, 2016, 189). En 2008, une pétition a même été lancée afin de protester contre cette image de « faux-français » véhiculée, au sein de la société algérienne, par les enseignants binationaux, et qui entraînerait une baisse de la qualité d’éducation (ibid., 190). Comment, après avoir choisi une école d’élite et engagé des frais conséquents, accepter, pour ses enfants, des enseignants minorés ? Le lycée français Alexandre Dumas se devait de garder une image « épuré », dans lequel la « race apparaît comme un stigmate postcolonial » et véhiculait une vision « racialisée de l’excellence » (ibid.).

Ainsi, le fonctionnement en réseau des établissements de l’AEFE repose en premier lieu sur le renforcement de lien à travers la procédure d’homologation. Il prend ensuite la forme d’accord de partenariat ou de convention (les EGD sont directement gérés par l’AEFE). C’est cette contractualisation qui institutionnalise l’appartenance au réseau, formalise les engagements réciproques des établissements et de l’agence et légitime la mise en place d’un enseignement français. La quasi-totalité des établissements uniquement homologués a d’ores et déjà signé un accord de partenariat, hormis lorsque des conventions bilatérales entre la France et le pays d’accueil empêchent cette contractualisation (Gabon, Monaco…) (AEFE, 2012, 12-13). Dans la deuxième partie, nous traiterons plus en détail cette procédure d’homologation.

III. Un réseau unifié tourné vers les élites

Comme nous l’avons vu plus haut, les établissements français à l’étranger possèdent, en fonction de leurs statuts, une marge d’autonomie relative. Nous montrerons que, malgré la différence dans leur mode de gestion, ils constituent néanmoins un réseau de solidarité par la mise en place d’une pédagogie commune qui facilite la mobilité d’une élite internationale avant de voir, dans une dernière partie, quels sont les liens entre l’AEFE et ses partenaires, notamment la MLF.

III.1. Élitisme et éducation

Les enseignants titulaires légitiment l’offre d’enseignement proposé et leur présence crée une hiérarchisation socio-scolaire des établissements. Cependant, la procédure d’homologation mise en place par l’Éducation nationale offre une conformité de l’enseignement pédagogique dans tout le réseau, tout en renforçant la mobilité des élèves et de leurs parents.

La procédure d’homologation est mise en place par le MENESR afin de vérifier le respect des valeurs de « liberté, égalité et laïcité » et la conformité des programmes éducatifs et de fonctionnement des établissements. En ce sens, on peut dire qu’elle constitue un processus d’unification intellectuelle auprès d’une population dispersée dans différents pays (Wagner, 1998, 71). Un établissement privé pourrait mettre en place un enseignement similaire à l’enseignement français mais, sans l’homologation, il sera alors perçu comme « hors du réseau » (entretien AEFE, 24/07/2017). L’homologation légitime les établissements du réseau mais crée également un lien avec les institutions françaises. Il permet aux élèves de passer le baccalauréat et d’intégrer un cycle d’enseignement supérieur en France, comme tout élève ayant étudié dans un établissement en France, élargissant ainsi « l’horizon des possibles éducatifs » notamment pour les élèves étrangers (Angey-Setuc, 2015, 36), Les élèves des établissements homologués peuvent ainsi intégrer, sans examen de contrôle, un établissement ou privé sous contrat ou un autre établissement du réseau, à l’étranger, dans les limites de ses capacités d’accueil (MEN, 2017).

Cette dernière précision est importante car, bien qu’ils favorisent la mobilité des expatriés français, les établissements à l’étranger ne sont pas tenus d’accepter tous les élèves français. Dans certains pays, où les demandes d’inscription sont très importantes (Maroc, Espagne, Liban…), nombreux sont les parents qui ne peuvent inscrire leurs enfants car l’établissement ne dispose pas d’une capacité d’accueil suffisante. C’est notamment le cas au lycée français de Barcelone où certains se tournent alors vers les écoles locales, catalanes, par choix ou par nécessité. Le lycée mettrait en place une politique de priorité. En petite section, ce sont les fratries, mêmes étrangères (non françaises) qui sont privilégiées. De plus, la situation des parents joue également beaucoup. Sont prioritaires les élèves dont les parents sont mutés par leur entreprise (qui fournissent un document de l’entreprise attestant de la mutation). Viennent ensuite les parents qui créent leur entreprise à Barcelone et enfin ceux qui s’installent par « choix personnel » (Singla, 2017). Le réseau, en assurant une continuité dans de nombreux pays, soutient ainsi des enjeux économiques en renforçant la mobilité professionnelle.

Les établissements français sont également attractifs pour les élites intellectuelles, politiques ou économiques, locales et internationales. En ce sens, on peut parler d’« éducation élitiste », à savoir un acte éducatif à même de favoriser l’accès d’un groupe restreint d’individus à des positions de force et d’influence dans le système social (Robichaud, Crevier, 2016, 3). S. Beck met en avant trois facteurs de distinction sociale dans les établissements français à l’étranger. Tout d’abord, ces derniers sont délimités par des frontières physique et symbolique, des zones de conflits réels qui se manifestent dans le paysage urbain. Les établissements possèdent des murs assez élevés, dressant déjà une frontière physique. C’est ce que soulignait également A.-C. Wagner dans son analyse des établissements internationaux en France, montrant que les bâtiments, souvent protégés par des murs, conforte le sentiment que « seule une population dûment sélectionnée est admise à entrer dans ces lieux protégés » (Wagner, 1998, 52). De plus, dans le cas du Maroc, la frontière symbolique est aussi caractérisée par un concours d’entrée pour les élèves marocains. Ces derniers doivent passer un concours afin de pouvoir entrer dans un établissement français (Beck, 2015, 102). Nous ne nous attarderons pas longuement sur ce point, mais il convient malgré tout de souligner que la demande de familles marocaines pour l’enseignement français est tellement forte que le concours permet, d’une part, de limiter les demandes et, d’autre part, de sélectionner les élèves méritants. L’enfant qui réussit le concours peut être considéré comme privilégié ou méritant par les membres de sa famille (ibid.). Enfin, la troisième barrière mise en place par ces établissements se manifeste par les frais de scolarité. Les tarifs appliqués sont, en général, moins élevés que d’autres établissements étrangers (américain, espagnol…). À Londres, le lycée Charles de Gaulle est réputé pour proposer un « excellent rapport qualité/prix » (Beck, 2015, 96) en comparaison avec des écoles, certes prestigieuses (Westminster College ; Eton college) mais hors de prix (15 000 £ contre 7 000 £ par an pour le lycée français). Ils forment donc l’élite française et une petite partie de l’élite britannique (ibid., 97). Pour ceux qui ne disposent pas de ressources économiques suffisantes, il existe des bourses scolaires permettant de financer, en partie ou totalement, leurs frais de scolarité. Il est intéressant de noter que c’est, historiquement et financièrement, l’un des premiers investissements de l’État auprès des lycées français (Bry, 2013). Cependant, s’il participe à la reproduction d’une certaine élite (mécanisme de sélection, statut symbolique des établissements), la mise en pratique de l’apprentissage des langues et la position de la langue dans le pays d’accueil, tendent à relativiser le phénomène. De ce fait, s’ils forment les élèves à une « culture internationale, ils n’en ont pas l’exclusivité » (Beck, 2015, 98).

Les établissements français à l’étranger, de par l’homologation, constituent alors un réseau unifié qui connaît néanmoins une certaine hiérarchisation en fonction du pays d’implantation. De plus, la pluralité des statuts d’établissements est susceptible de créer « réseau dans le réseau ». C’est le cas des établissements de la MLF qui bénéficie d’une certaine autonomie dans leur politique budgétaire et dans les effectifs qu’ils accueillent. C’est ce que nous allons voir dans la dernière partie.

III.2. La MLF comme réseau partenaire parallèle

L’AEFE apparait comme une plateforme de communication interne rassemblant les acteurs de l’enseignement français à l’étranger. Elle jouit d’un statut d’interlocuteur privilégié auprès du MAE et du MENESR et compte de nombreux « partenaires » avec qui elle travaille conjointement à la mise en place d’une politique linguistique, culturelle et éducative à l’étranger (Institut français, Alliance française, Campus France, Business France…). Parmi les plus anciens et les plus importants se trouve la Mission Laïque Française. Dans cette dernière partie, nous analyserons donc cette institution qui a joué un rôle important dans le déploiement du réseau éducatif français et sa relation avec l’AEFE.

La MLF naît le 8 juin 1902, à Tananarive, autour de la figure de Pierre Deschamps (Bry, 2013). Jeune professeur de lettres modernes fraîchement sorti de l’ENS, il est nommé inspecteur des écoles à Madagascar où son expérience le conduit à imaginer un « modèle intellectuel et social l’école républicaine de la métropole qu'il fusionne avec l'infrastructure des missions religieuses françaises à l'étranger (Deguilhem, 2006). La MLF installe ses premiers établissements à Salonique et au Liban avant de s’étendre sur tout le pourtour méditerranéen. Le projet de la MLF était de mettre en place un cursus dans lequel le savoir enseigné mettrait l’accent sur l’histoire, la langue et la civilisation françaises. La formation se voulait donc moderne, scientifique, objective et laïque, bien que P. Deschamps était conscient que cela pouvait « influencer la manière de penser, sentir et agir des élèves » (ibid.). Il craignait alors qu’une forte identification à des idées étrangères entraîne un « déracinement identitaire », voire une « schizophrénie culturelle ».

Ce fut le cas à Madagascar, où les Malgaches, attachés à la religion et face à la politique républicaine violente du gouverneur général, ne furent pas séduits par l’idée de confier leurs enfants à des « laïques » (Bry, 2013, 30). L’enseignement français connut un meilleur accueil en Syrie où la MLF s’implante en 1925 où une forme d’enseignement « laïque et moderne » avait vu le jour au milieu du XIXe siècle (Deguilhem, 2006, 393). De même, au Maroc, le maréchal Hubert Lyautey, résident général de 1912 à 1916, partageait la même vision que P. Deschamps. Il souhaitait remplacer les élites coloniales par des élites « indigènes », ce qui remettait en cause le fondement même de la colonisation. Afin de ne pas les influencer par la culture française, il décida même de leur interdire l'accès au baccalauréat et créa alors de nouvelles institutions. En novembre 1912 fut alors érigée la première institution d’enseignement supérieur moderne du Maroc, l’école supérieure de langues arabes et des dialectes berbères (ESLADB) (Vermeren, 2002, 35). En 1920, avec l’aide de George Hardy, directeur de l’enseignement en Afrique Occidentale française, fut alors créé l’institut des hautes études marocaines (IHEM). Cependant, au départ de celui-ci, cette impossibilité d'accès au baccalauréat engendra la frustration des élites marocaines qui l'utilisa contre le système en place.

Les écoles fondées s'insèrent dans les prémices de la politique culturelle étrangère française menée par le service des œuvres, mettant en avant un discours sur « l’indépendance et la modernité du pays » notamment afin de conduire « la Syrie sur la voie de l'indépendance et la modernité » (ibid.).

En mêlant associationnisme et « colonisation intellectuelle », la MLF connait un rapide succès. Elle est reconnue d’utilité publique dès 1907 et considérée comme une « ramification du ministère de l’instruction publique » (ibid., 389). Son succès est notamment dû à un climat international marqué par la compétition coloniale dans laquelle elle joue le rôle de « bras culturel de l’entreprise colonial de la France », tout en gardant son autonomie (ibid., 391). Cependant, il convient de préciser qu’elle crée rarement de nouvelles écoles mais réaménage celles déjà existantes, à la demande de l’administration coloniale.

Cette position a évolué aujourd’hui et c’est ce qui la distingue de l’AEFE. La MLF à « toujours voulu se démarquer des emprises trop exclusives des administrations et, a fortiori, de l’administration centrale » (Thévenin, 2002, 219). Elle est un acteur du réseau dont elle constitue également l’un des piliers. Elle est financièrement autonome, ne disposant pas de subvention de l’État (Kern, 2017). Surtout, elle « fait ce que l’AEFE ne peut pas faire ». Ainsi, là où l’opérateur public de l’État ne peut intervenir, une association dispose d’une plus grande marge d’autonomie dans ses actions. C’est le cas notamment de l’ouverture d’un établissement français à Dakhla, au Maroc. Un enseignant, qui est passé par la MLF, témoigne ainsi du rôle que joue la MLF dans le réseau :

« C'est-à-dire que sur un terrain où l’AEFE ne peut plus ouvrir d’établissement, ce qui est le cas aujourd’hui, vous le savez sans doute, sur le Maroc hein. C’est un accord avec le royaume du Maroc. Eh bien, comment répondre à la très forte demande de la bourgeoisie marocaine, casaouie ou rabatie, en passant par un partenaire, quand même relativement solide et ancien qu’est la MLF (d’accord). Quand on est arrivé à la créer, elle ouvre en 1999, il y avait une centaine d’élèves. Je crois qu’aujourd’hui ils sont à 10 000. Voilà. Alors Casa, Rabat, Agadir et puis dans les provinces du sud, Sahara occidentale. C'est-à-dire que l’AEFE, bien évidemment, ne peux pas ouvrir d’établissement sur ce territoire qui, internationalement n’a pas un statut reconnu, la MLF a ouvert à Dakhla » (entretien, 07/11/2017)3.

Cependant, il convient néanmoins de souligner que les établissements de la MLF, bien qu’il dispense une mission de service public d’éducation, ne sont pas tenus d’accepter les élèves de nationalité française (entretien, 07/11/2017). Dans ses 109 établissements, elle accueille 60 000 élèves dont 71 % sont étrangers (MLF, 2018). Dans certains établissements, la proportion entre français et étrangers4 est quasi nulle, en fonction du pays mais également de la région où les établissements sont implantés. Ainsi, le lycée Louis-Massignon, à Casablanca, accueillait, en 2015, 2 983 élèves étrangers et 73 élèves français. Il convient cependant de préciser que Casablanca est l’une des villes qui connaît les plus fortes demandes de scolarisation et qui compte plus de 15 établissements français. Cela est notamment dû à la présence d’une élite économique francophone et francophile héritée de la colonisation (Vermeren, 2002). Enfin, la MLF semble également jouir d’une certaine autonomie dans le montant de ses frais de scolarité. Ainsi, au Maroc, où la MLF est présente sous l’appellation « Office scolaire et universitaire internationale » (OSUI), les frais de scolarité pour un élève français sont plus élevés dans un établissement de l’OSUI que dans un établissement de l’AEFE. En opérant ainsi une sélection économique, la MLF vise à la fois une élite économique internationale non francophone mais également une élite locale, dans la mesure où les frais de scolarité des étrangers sont moins élevés que dans les établissements de l’AEFE (Voir tableaux 1 et 2 en annexe).

La MLF apparaît donc comme un partenaire disposant non seulement de compétences similaires à l’AEFE mais également d’une autonomie plus élargie. Sa capacité à pouvoir répondre à la demande d’ouverture d’établissements français en constitue un atout majeur pour la diplomatie d’influence. Cependant, il convient de se demander quelle image sa politique d’accueil des élèves étrangers, au détriment des élèves français, véhicule auprès des populations qu’elle accueille, française et étrangères.

Conclusion

La politique culturelle extérieure de la France est principalement basée sur la défense de la langue française. Comme l’écrivait l’Alliance française en 1883 : « La langue française donne des habitudes françaises. Les habitudes françaises amènent l'achat de produits français. Celui qui sait le français devient le client de la France » (Kessler, 2002, 112). Si les établissements français ont, au départ, été mis en place afin de conserver un lien national avec le pays, les associations telles que l’Alliance française et la MLF ont été les pionniers de la politique culturelle extérieure en mettant en avant la place et le rôle de la langue française. La centralisation progressive du réseau entre les mains de l’État, avec les différents services qui se sont succédés, n’ont en rien modifié cette approche mais se sont principalement focalisés sur des réformes administratives. En ce sens, l’AEFE ne rompt pas avec cette tradition et s’inscrit dans une logique de « path dependency ». La réforme de l’AEFE, souhaitée par le président Macron, ne semble pas concerner le rôle stratégique de l’agence. En effet, doubler la capacité d’accueil des établissements français « interroge la capacité d’absorption et l’attractivité des établissements » (Delahay et Féraud, 2018, 3). Le dernier rapport de la commission des finances, bien qu’il dénonce l’absence de stratégie à long terme de la politique culturelle extérieure française et pointe les difficultés structurelles de l’AEFE, souligne néanmoins les projets à mettre en place. Il insiste notamment sur les établissements partenaires qui constituent « la modalité de croissance du réseau la plus aisée à court et moyen termes », tant que son budget restera sous contrôle. Cependant, comme nous l’avons démontré, les établissements partenaires ne possèdent que peu de titulaires de l’Éducation nationale et la légitimité pédagogique qu’ils apportent à ses établissements. Des exceptions existent5 mais un nombre important d’établissements partenaires pourrait détériorer l’image d’une éducation française de qualité (Fabbiano, 2015). Lors de la grève de 2017, même les pays les plus friands de l’enseignement français (Maroc, Liban…) ont protesté contre une éventuelle baisse de la qualité, sans compter la hausse des frais de scolarité qu’engendrerait une politique d’expansion.

1 Louis Dollos distingue trois grandes périodes de la DGRC, entre 1945 et 1980, où elle changera progressivement de nom : la réorganisation et l’

2 Les différences en termes de statuts, de salaires et d’immersion dans la société d’accueil ont été traitées dans la thèse de Beck Sylvain.

3 L’anonymat des enquêtés est préservée.

4 Par étranger, nous entendons à la fois la nationalité du pays d’accueil mais également les étrangers tiers.

5 S. Beck compare notamment le lycée Al-Jabr de Casablanca, qui obtient un taux de réussite au baccalauréat de 100 % alors que seul 10 % des

Bibliographie

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Thèse

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Archives

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Service communication et événement de l’AEFE (2012), Rapport annuel d’activité 2016-2017, Agence pour l’enseignement du français à l’étranger.

Annexe

Tableau 1 : Droits de première inscription et frais annuels dans les établissements de l’AEFE au Maroc pour la rentrée scolaire 2017-2018.

Tableau 1 : Droits de première inscription et frais annuels dans les établissements de l’AEFE au Maroc pour la rentrée scolaire 2017-2018.

Source : Ambassade de France au Maroc, service de coopération et d’action culturelle (2017), « Admission dans un établissement scolaire français au Maroc, année scolaire 2017­2018 », disponible sur : https://www.efmaroc.org/fr/rentree/notice17.pdf

Tableau 2 : Droits de première inscription et frais annuels dans les établissements de l’OSUI au Maroc pour la rentrée scolaire 2016-2017.

Tableau 2 : Droits de première inscription et frais annuels dans les établissements de l’OSUI au Maroc pour la rentrée scolaire 2016-2017.

Source : Ambassade de France au Maroc-service de coopération et d’action culturelle (2017), « Admission dans un établissement scolaire français au Maroc, année scolaire 2017­2018 », disponible sur : https://www.efmaroc.org/fr/rentree/notice17.pdf

Notes

1 Louis Dollos distingue trois grandes périodes de la DGRC, entre 1945 et 1980, où elle changera progressivement de nom : la réorganisation et l’extension des compétences (1945-1956) où l’enseignement du et en français est renforcé par la réflexion sur la conception, l’animation pédagogique et l’orientation ; l’expansion et la reconversion (1959-1969) où elle prend le nom de Direction générale des affaires culturelles et techniques, introduisant l’aide au pays en voie de développement comme axe majeur de la politique culturelles ; enfin, la coopération culturelle, scientifique et technique (1969-1980) où elle prend le nom de direction générale affaires des relations culturelles, scientifiques et techniques où les sciences, les échanges universitaires, notamment en physique, font leur apparition.

2 Les différences en termes de statuts, de salaires et d’immersion dans la société d’accueil ont été traitées dans la thèse de Beck Sylvain.

3 L’anonymat des enquêtés est préservée.

4 Par étranger, nous entendons à la fois la nationalité du pays d’accueil mais également les étrangers tiers.

5 S. Beck compare notamment le lycée Al-Jabr de Casablanca, qui obtient un taux de réussite au baccalauréat de 100 % alors que seul 10 % des enseignants viennent de France, avec le lycée Lyautey qui, malgré 80 % d’enseignants venant de France, n’obtient « que » 96 % de réussite au baccalauréat.

Illustrations

Tableau 1 : Droits de première inscription et frais annuels dans les établissements de l’AEFE au Maroc pour la rentrée scolaire 2017-2018.

Source : Ambassade de France au Maroc, service de coopération et d’action culturelle (2017), « Admission dans un établissement scolaire français au Maroc, année scolaire 2017­2018 », disponible sur : https://www.efmaroc.org/fr/rentree/notice17.pdf

Tableau 2 : Droits de première inscription et frais annuels dans les établissements de l’OSUI au Maroc pour la rentrée scolaire 2016-2017.

Source : Ambassade de France au Maroc-service de coopération et d’action culturelle (2017), « Admission dans un établissement scolaire français au Maroc, année scolaire 2017­2018 », disponible sur : https://www.efmaroc.org/fr/rentree/notice17.pdf

Citer cet article

Référence électronique

Taif Soufiane, « L’AEFE : la centralisation des établissements français à l’étranger au carrefour de la francophonie », Revue internationale des francophonies [En ligne], 4 | 2018, mis en ligne le 05 décembre 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=711

Auteur

Taif Soufiane

Après un parcours en Science politique et relations internationales, Taif Soufiane est aujourd’hui en deuxième année de doctorat de science politique à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne sous la direction du professeur Frédéric Sawicki. Son travail porte sur la diplomatie éducative menée par la France à travers l’AEFE.

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