Splendeurs et problèmes des chefs traditionnels des territoires du centre-sud au lendemain de la Grande Guerre

DOI : 10.35562/rif.624

Résumés

Après la défaite de l'Allemagne au Cameroun, la Société des Nations(SDN) accorda des mandats à la France et à la Grande Bretagne, sur la base du Traité de Versailles du 28 juin 1919. Dans l’historiographie de cette après Grande guerre, il n’est pas assez mis en relief les splendeurs et problèmes qu’avaient connus les autorités traditionnelles dans leurs fonctions entre 1914 et 1918. De façon générale, cette contribution tente de clarifier les rôles et responsabilités des différents acteurs en particulier celles des chefs traditionnels dans l’installation de la France dans les territoires du Centre et du Sud camerounais.

After Germany's defeat in Cameroon, the League of Nations (SDN) granted mandates to France and Great Britain on the basis of the Treaty of Versailles of June 28, 1919. In the historiography of this after Great War, the splendours and problems experienced by the traditional authorities in their functions between 1914 and 1918 were not sufficiently highlighted. In general, this contribution attempts to clarify the roles and responsibilities of the various actors in particular those of the traditional leaders in the installation of France in the central and South Cameroonian territories.

Index

Mots-clés

splendeur, problèmes, autorité, travail, chefs traditionnels

Keywords

splendor, problem, authority, work, traditional chiefs

Plan

Texte

« L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang ; l’or, nous ne songeons pas à lui réclamer, mais les hommes et le sang, elle doit nous le rendre avec usure ». Adolphe Messimy, éminent homme politique de la Troisième République française prit ainsi dans Le Matin du 3 septembre 1910 le relais d’une campagne qui venait de connaître son point d’orgue avec la publication par le colonel Mangin de La Force noire. Le futur général, qui participa à la mission Marchand, prononça dans ce livre un ardent plaidoyer pour faire de l’Afrique noire « le réservoir de la puissance française de demain » dans le contexte d’une guerre menaçante, voire attendue (Saletes, 2011, 130). Cette réaction de Messimy augure un tout petit peu les intentions de la France après la Grande Guerre. Dans cette lancée, l’entreprise coloniale rencontra outre la population, les chefs traditionnels qui dirigent les sociétés dans la partie orientale du Cameroun. Détenteurs du pouvoir traditionnel, ces chefs sous occupation allemande étaient des intermédiaires de l’administration coloniale, d’où la considération qui leur était accordée par les nouveaux occupants français. Dans le souci de donner une image valable de la connaissance historique de la collaboration et de la perception de la fonction de chef traditionnel, il serait important de nous poser certaines questions. La fonction de chef traditionnel à cette période permettait-elle à son détenteur de s’épanouir après la Grande Guerre ? Comment comprendre le rôle joué par les autorités traditionnelles, généralement relais de l’administration à cette époque ? Quelles avaient été les conséquences de leur adhésion sur leur pouvoir ? En rappel, ce sont presque toutes ces autorités traditionnelles qui avaient offert leur adhésion de collaboration à la partie coloniale une fois l’Allemagne vaincue.

C’est dans ce contexte de colonisation et cette philosophie de soumission qui pouvaient la caractériser que le continent africain s’est peu à peu reconstruit avec la politique des vainqueurs qui fut mise sur pied dans les territoires. Dans certaines subdivisions de la zone du Centre-sud Cameroun, la présence et le travail des chefs traditionnels furent indéniables malgré les mutations que cette fonction connut. Après la Grande Guerre, l’installation de la France profita à bien des parties, bien que n’étant pas restée sans conséquences surtout négatives pour ces autorités traditionnelles. L’on est d’avis avec l’historien Jean-Loup Saletes, que l’historiographie sur l’Afrique noire dans la Grande Guerre est abondante et très diversifiée (Saletes, 2011, 133). Mais, au niveau du rôle joué par les chefs traditionnels, et surtout de l’impact de la guerre sur leur pouvoir ou leur statut, cette histoire est méconnue, elle fait l’objet de silences gênés pour de nombreux chercheurs majoritairement africains qui s’intéressent à cette période. A travers une approche descriptive et analytique des faits, cette réflexion traite respectivement de la splendeur de la fonction de chef traditionnel (I) et des problèmes des chefs (II) au lendemain de l’occupation du Cameroun par la France en 1916.

I. Les splendeurs de la fonction de chef traditionnel

Le terme splendeur peut se comprendre comme la qualité de ce qui est magnifique, une distinction particulièrement belle (Dictionnaire Reverso, 2018). Ainsi, parler de la splendeur de la fonction de chef traditionnel, revient dans cette contribution, à montrer l'éclat, la magnificence d'une fonction, d'une majesté, d'une excellence, qui va beaucoup plus loin que ce qui est connu jusque-là (Dictionnaire Reverso, 2018). C’est au terme de l’Accord franco-britannique du 4 mars 1916, entériné par le Traité de Paix du 28 juin 1919 et renforcé par la Déclaration du 10 juillet de la même année, que la France reçut mandat de la SDN de gérer une partie du territoire camerounais. Ainsi, de l’occupation allemande à l’installation française, les chefs traditionnels camerounais jouissaient d’importants privilèges dont l’origine provenait en partie du fait qu’ils étaient des proches collaborateurs de l’administration coloniale. Les conditions dans lesquelles devait s’exercer le mandat ayant été clairement définies, il ne restait plus qu’à la France d’entrer en action. Face à des autorités traditionnelles dont la fonction offrait un prestige et qui bénéficiaient d’importantes retombées de la proximité avec le nouvel administrateur, il y a lieu de se pencher sur les techniques et modes de gestions mise sur pied par la France vis-à-vis des détenteurs du pouvoir traditionnel. Des quelques traits qui expliquent la splendeur de la fonction de chef traditionnel, on peut citer le prestige issu de la collaboration avec les nouveaux maîtres, les retombées issues de cette collaboration ou voire et la stabilité et l’ancrage socio-culturel du pouvoir traditionnel.

I.1 Le prestige lié à la collaboration avec l’administration française

Après le départ des Allemands, il importe de se demander comment le nouveau pouvoir colonial représenté par un personnel extrêmement réduit a pu se faire accepter comme autorité dans la colonie. Ainsi, il apparait vraisemblable que l’autorité européenne avait besoin de complicités que celles-ci fussent ou non souhaitées par la population (Ngomsu, 1982, 9). Comme le souligne l’historien camerounais Raymond Ebale, la collaboration entre autorités coloniales françaises et les chefs locaux s’était exercée à la fois sur le plan politico-administratif, socio-économique et culturel (Ebale, 2011, 201). Cette large collaboration s’imposait dans la mesure où le nouvel administrateur tenait à prendre des précautions pour une bonne gestion de ce territoire qu’elle avait déjà eu à prospecter dans les années 1890. Engelbert Mveng nous apprend que le but de l’exploration des terres camerounaises et des pays alentours par la France, était de découvrir de nouvelles terres et concurrencer l’Islam (Mveng, 1984, 25) d’où sa volonté même de s’approprier le pays ayant très tôt perçu son potentiel.

Une fois maîtresse des lieux, il était opportun pour la France d’asseoir une collaboration étroite. Ainsi, à partir de leurs expériences antérieures de la pratique coloniale, les Français savaient déjà quel genre de relations établir avec le pouvoir indigène. Ils savaient par exemple qu’il valait mieux utiliser « les chefs indigènes » dans leurs relations avec les populations locales que de se passer d’eux. Ils savaient en outre qu’en utilisant ces « chefs indigènes », il était nécessaire de les contrôler étroitement afin d’éviter toute velléité de contestation de leur suprématie au sommet du commandement central (Abwa, 1994, 1034). La splendeur des chefs était perceptible dans cette incontournable collaboration qu’ils offraient au nouvel administrateur.

Par ailleurs, la population relativement importante ne pouvait pas être contrôlée par l’effectif réduit de la nouvelle administration. C’est pourquoi le choix de prendre comme collaborateurs les chefs traditionnels permettait à l’administrateur d’enregistrer une importante économie financière. Aux yeux des colons, l’utilisation des chefs locaux comme auxiliaires de colonisation revêtait de nombreux avantages. L’entretien de ce personnel était peu coûteux contrairement à une élite française difficile à prendre en charge si elle était déplacée depuis la métropole. En outre, l’avantage de l’emploi des chefs résidait aussi dans l’assurance d’efficacité pour garantir leur statut. Ainsi, en cas de difficulté, le poids de leur responsabilité, leur rang social et leur influence les empêchaient de « s’évanouir dans la nature ». De même, les ressources financières non négligeables à cette époque qu’ils tiraient de leur collaboration, étaient de nature à conforter la plupart des chefs sur le bien-fondé de leur appui.

Pour beaucoup d’observateurs de l’époque, les chefs traditionnels étaient la solution à l’insuffisance des cadres européens envoyés depuis la métropole (Suret-Canale, 1962, 96). En effet, « faute de disposer du personnel, des moyens financiers et techniques et des forces de pression suffisants, les métropoles eurent d’abord pour souci de faire passer leur désidérata au travers d’alliés politiques bien choisis et bien éduqués. Ce fut ce qu’on appela la politique indigène, chargée en dernière analyse, de sélectionner des chefs soumis, susceptibles d’opérer la reconversion des mentalités. » (Coquery-Vidrovitch, 1985, 115).

Pour la majorité des chefs traditionnels « indigènes », le sentiment de collaborer aux côtés de l’homme blanc ou pour le Blanc était un privilège. En effet, le contact et les échanges avec cet administrateur étaient des occasions rares, c’est dire que cette proximité était une opportunité qui n’était pas accordée à n’importe quel autre frère, sœur ou fils du village. C’est ainsi qu’il était important pour les chefs de maintenir ce prestige et surtout d’être vus aux yeux de leur population comme privilégiés et comme collaborateur indispensable par l’administration coloniale. Il convient d’insister sur un aspect tout aussi important dans l’appréhension de la « splendeur du travail ou de la fonction de chef traditionnel », à savoir le privilège d’être collecteur d’impôts.

I.2. Un privilège adossé sur le rôle de collecteur d’impôt dévolu aux chefs traditionnels

La fonction de chef traditionnel au Cameroun permettait aussi de collecter l’impôt. Avec le travail forcé, la perception de l’impôt faisait partie du train des obligations dont les populations eurent à souffrir sous l’administration de la France mandataire. Ce furent des tâches privilégiées des chefs indigènes (Temgoua, 2011, 171 : A.P. Temgoua pense que c’est pour des raisons de personnel, de frais et surtout d’efficacité, que l’administration coloniale eut recours aux chefs traditionnels pour le recouvrement de l’impôt). Contrairement aux Allemands qui l’avaient institué dans le but avoué de contraindre leurs sujets à investir leur force dans des travaux d’intérêt public ou privé, les Français se montrèrent plus déterminés par le souci de l’auto-suffisance économique d’un territoire dont ils n’avaient pas la propriété pleine et entière (Emog, 1988, 241). Dans sa politique d’exploitation des territoires conquis, l’administration coloniale préférait puiser dans les ressources locales, une taxe fiscale pour l’économie de la métropole généralement aussi utilisée pour les besoins de fonctionnement de l’administration de la colonie. Comme le souligne Albert Pacal Temgoua, l’impôt fut institué pour résoudre les difficultés d’ordre budgétaire. L’administration devenant plus intensive et par conséquent plus coûteuse, il fallait de l’argent ailleurs et pas toujours attendre que la métropole finance tout (Temgoua, 2011, 171). Il convient de relever que la perception de l’impôt et sa généralisation à l’étendue du territoire fut une décision de l’autorité allemande de 19081. Comme ses prédécesseurs Allemands, la France trouva en l’impôt une source non négligeable de revenus. Convoquant la théorie ou le principe de « l'impôt moralisateur » tel que décrit Galienni prenant le cas de Madagascar, l’objectif ici était de mettre au travail les « indigènes » pour le développement. L’on serait tenté de penser que cette taxe fut instituée pour inculquer aux « indigènes » le goût du travail et le culte de l’effort, considérés à la fois comme des facteurs indispensables de développement et comme source d'enrichissement individuel chez le colonisé noir. Ce qui ne fut pas évident lorsque l’on revisite l’histoire et les raisons de la poussée impérialiste en Afrique.

En effet, il a été démontré que les puissances coloniales ne s’y rendaient pas par philanthropie, mais beaucoup plus par intérêt. Ainsi, pour parvenir à leurs fins, l’administration coloniale avec la collaboration des chefs, ne manquait pas d’user de toutes formes d’approches pouvant leur être bénéfiques. C’est pourquoi lorsque le général Gallieni mit en place cette fiscalité qui reposait essentiellement sur la taxe personnelle ou de capitation, le non-dit de cette initiative était sans conteste de booster l’économie de la métropole. Toutefois, cette fiscalité, dans la perspective du colonisateur, avait quelquefois été un succès lorsqu'elle entraînait la recherche du travail salarié et la croissance des exportations. Le plus souvent, un échec : dans les territoires et cercles isolés où elle avait pour conséquence la chasse aux contribuables qui remplissaient les prisons et la disette monétaire. Mais, dans le cas qui nous intéresse, les résultats de l’instauration ou la reconduction de l’impôt sous le mandat français ont souvent été mitigés contrairement au temps des Allemands2.

Cependant, la splendeur qui en découle ici tient au fait que la responsabilité d’être un intermédiaire du « blanc » dans la perception de l’impôt relevait de l’extraordinaire. C’était une marque de confiance qui n’était pas accordée à n’importe quel Camerounais. Malgré le fait que le percepteur apparemment ne sache pas qu’il était utilisé à des fins quasi exploitatrices, outre l’honneur de collecter l’impôt, il y avait le sentiment de fierté de percevoir une commission proportionnelle à ce qu’ils avaient collecté auprès des populations. Les intérêts personnels desdits chefs étaient liés à ceux du colonisateur. Ces derniers misaient sur leurs intéressements qui allaient les pousser à encaisser le plus possible, afin d’augmenter leur propre part. Ainsi, dans l’exercice de leur fonction, la motivation venait surtout du pourcentage qu’ils touchaient après le versement de l’argent perçu à l’autorité coloniale (Temgoua, 2011, 174). C’est dire que la perception de l’impôt représentait pour les chefs traditionnels, une source de revenus non négligeable, nonobstant le fait que ce travail nécessitait beaucoup d’efforts de la part des chefs, pour amener leurs sujets à s’en acquitter.

A côté de ce rôle dans la perception de l’impôt, la fonction de chef traditionnel offrait aussi de nombreux avantages. Le chef qui se déployait avec loyauté et abnégation était gratifié. Dans ce labeur, l’administration coloniale française reconnaissait la nécessité de reconstituer l’armature des villages et subdivisions et d’en limiter la désagrégation, en renforçant le prestige des chefs (Ebale, 2011, 207). Ceci passait par un certain nombre d’actions en faveur des chefs traditionnels dont les plus significatives furent :

  • la distinction vestimentaire en vue de différencier le chef du reste de la population ;

  • la politique de promotion financière et sociale en vue de donner aux chefs des moyens de vivre et leur garantir certains avantages propres à maintenir la considération qui devait s’attacher à leurs fonctions3

Ainsi, il est évident que la fonction prestige de chef traditionnel revêtait un attrait à nul autre pareil à cette période. Reconnaissant l’importance du rôle des chefs, les autorités françaises allaient opter d’améliorer leurs conditions de vie et leur autorité d’une certaine manière. Ces mesures n’allaient pas être sans incidence sur la considération et le respect de leurs sujets, tel que visé par l’administrateur colonial. Car, pour espérer avoir un rendement efficace de l’administration, il était nécessaire pour la France d’asseoir un climat de stabilité et d’harmonie sociale dans les territoires. Ce qui permettait de mener à bien un des objectifs politiques notamment la mise en valeur des territoires, le travail et le suivi des populations. Un autre aspect mérite d’être examiné, il s’agit de celui relatif à un autre type de privilège, à savoir la garantie de la stabilité et de maintien au pouvoir.

I.3. La stabilité et le maintien du pouvoir traditionnel

La politique française eut une conséquence immédiate : traiter avec les anciens dirigeants, mieux avoir le contrôle des sujets, faire des économies. Tout ceci était relativement apprécié des chefs qui se complaisaient de leur proximité avec le nouvel administrateur, du privilège de collaborer avec « le Blanc » au détriment de ses compatriotes du même groupement ou pas. Toute chose qui donnait une vue rayonnante du travail de chef traditionnel après la Grande Guerre. Mais, il convient de souligner que la proximité et l’acceptation de travailler avec le nouvel administrateur offrait un minimum de garantie au chef. D’une part, en affirmant sa loyauté, le chef gagnait la sympathie de l’administrateur qui avait une assurance de la franche collaboration du chef dans le suivi de la zone de compétence. La chefferie, en tant qu’institution, aurait pu perdre tout crédit du fait du rôle que l’on cherchait à lui faire tenir. Certains chefs, généralement ceux qui ne devaient leur existence qu’au bon vouloir de l’administrateur colonial acceptèrent de bon gré de faire ce que l’on attendait d’eux4, profitant même de l’occasion pour pressurer à leur propre profit ceux qui étaient placés sous leur autorité. Ce procédé ou cette soumission en retour permettait au chef en question, de bénéficier de la confiance et de certaines faveurs d’ordre matériel et sécuritaire pour son maintien en fonction.

Il ne serait pas inintéressant de prendre quelques exemples de cette collaboration. Le chef supérieur des Ewondo et Bene, Charles Atangana, se distingua par un soutien ferme au Commissaire Paul Marchand qui essuyait les multiples plaintes des populations de Yaoundé et des environs. En effet, à partir de 1928, souligne Daniel Abwa, la présence et l’œuvre de Marchand au Cameroun étaient sujets à de nombreuses plaintes, tant des populations camerounaises que de la presse métropolitaine de la droite et de gauche. C’est le chef supérieur des Ewondo qui vola au secours de Marchand à travers un témoignage de satisfaction qu’il adressa au ministre des colonies le 8 février 1929. Dans ce témoignage, Atangana, contrairement à l’opinion qui recommandait le départ de Marchand, exprima toute la joie des Ewondo et Bene, d’avoir ce gouverneur comme commissaire de la République au Cameroun (Abwa, 1994, 831). D’autres chefs indigènes à l’instar de Edjoa Mvondo, chef supérieur Boulou, profitèrent aussi de leur collaboration affichée qui en faisait des quasi intouchables pour exploiter outrageusement les populations placées sous leur autorité (Abwa, 1994, 1042).

En cas de menace ou de révolte quelconque, le chef loyal pouvait compter sur le soutien matériel et l’appui moral inconditionnel de l’administration. C’est le cas des privilèges accordés au chef Machia à Bafia dans le Mbam, à la suite de la main forte qu’il prêta aux Français pour mater les différentes résistances qui éclatèrent partout dans le Mbam contre la pénétration française. Par cet acte, il reçut un important soutien de la France, l’ayant non seulement permis de se maintenir au trône, mais surtout de se livrer à de nombreux abus5 (Berika Benaume, 1979, 54).

Cette absence de garde-fou conduisit les autorités traditionnelles à de plus en plus d’abus et l’administration coloniale n’était pas sans ignorer cette situation qu’elle avait davantage accentuée. En outre, sur le plan judiciaire, toutes les plaintes formulées contre le chef loyal étaient sans suite. Le chef agissait sous l’œil tolérant de l’administration par ailleurs trop éloignée des habitants (Fogui, 1980, 64).

Malgré cette collaboration qui malheureusement heurta l’esprit nationaliste de certains Camerounais qui fustigeaient la politique impériale menée par la France, les chefs loyaux à l’instar d’Atangana, Machia et Edjoa Mvondo, recevront la gratitude des autorités françaises. Le profit tiré fut la permanence et la consolidation toujours accrue de leurs pouvoirs. A aucun moment, il ne fut question de supprimer leurs chefferies de leurs vivant, ni de réduire leur audience (Mballa Nguele, 1998, 843).

Toujours dans le cadre du rayonnement de la fonction de chef supérieur et de village, il serait intéressant de relever la mutation observée par le successeur du Commissaire de la République Marchand à partir de 1933, Auguste François Bonnecarrère. En effet, une fois arrivé au Cameroun, ce nouveau Commissaire se démarqua de la politique de son prédécesseur qui consistait à caporaliser les chefs comme nous le verrons dans la seconde partie de cette contribution. Ainsi, parmi les faits confortant l’influence de cette fonction au temps de Bonnecarrère, on a l’adoption de l’Arrêté du 4 février 1933, fixant le statut des « chefs indigènes »6 avec en filigrane, les prescriptions d’un certain nombre d’égards à l’endroit des autorités traditionnelles camerounaises7.

Malgré les quelques mutations apportées par cet administrateur des colonies en faveur des chefs, il faut souligner que dans la pratique, les chefs supérieurs et de village sans exception, restaient toujours comme le souligne Robert Kpwang, « de simples auxiliaires de l’administration ». Dans ce rôle et malgré la splendeur qu’offrait la fonction de chef, il serait important de relever que les détenteurs de la fonction n’étaient pas toujours été épanouis sous le mandat français. Quelques mobiles n’étant pas restés sans conséquences dans le travail et la fonction de chef indigène furent l’adoption d’une réforme de l’autorité, la création du conseil des notables, l’effritement de l’autorité du chef et la crise de l’autorité : ce fut le début des problèmes pour lesdits chefs.

II. Les problèmes des chefs

La Guerre terminée en 1916, le poids des événements demeurait. La majorité des chefs traditionnels investis par les Allemands avaient trouvé la mort soit par le poids de l’âge ou de la maladie. Les plantations, les villes et villages de Lolodorf, des banlieues de Yaoundé, Yoko ou un peu plus loin comme à Mora, étaient abandonnés lorsqu’ils n’avaient pas été détruits. Avec ce changement de régime et surtout la disparition des indigènes engagés comme chefs ou soldats, tout cela fit régner l’insécurité totale (Bell Bell, 1979, 17). Dans un tel contexte, il est évident que presque tout était à réorganiser. La France, comme le relève Baba Kake, allait, faute de cadres administratifs, s’appuyer sur les chefs locaux, auxquels elle donna de moins en moins de pouvoir possible (Baba Kake, 1990 :63). C’est dans ce cadre qu’intervinrent les mesures qui viendront fragilisèrent la fonction de chef traditionnel.

II.1. L’adoption d’une réforme de l’autorité

Après son installation, la France trouva un mode d’organisation local un peu particulier. En effet, l’Allemagne qui s’en était allée avait implémenté un mode d’administration mixte8. Ainsi, les multiples décès de chefs traditionnels observés au départ des Allemands9, avaient justifié que la nouvelle administration procéda à des remplacements. Dans un premier temps le choix fut porté sur les fils des chefs supérieurs jadis dénommés « Oberhautplingen » (chefs supérieurs), qui ne parvinrent pas à se faire respecter par les populations de leurs unités de commandement (Kpwang, 2011, 50). C’est dans ce contexte, cette philosophie de refus et de contestation des nouveaux et surtout jeunes chefs que la France s’installait progressivement dans la partie orientale du territoire où la question de l’autorité des héritiers des anciens Oberhautplingen se posait avec acuité (Kpwang, 2011, 50). Les autorités françaises d’une façon générale avaient respecté l’organisation administrative laissée par leurs prédécesseurs. Ne pouvant exercer directement leur autorité sur les populations, comme leurs prédécesseurs allemands, les Français avaient intégré les détenteurs de l’autorité traditionnelle dans leur mission d’administration et d’exploitation des richesses du vaste territoire, malgré le changement de dénomination des chefferies10.

Toutefois, au lieu de suivre la voie de la sagesse qui voulait que l’administration coloniale choisisse les interlocuteurs locaux valables, c’est-à-dire des gens ayant la même audience auprès des populations placées sous leur commandement que leurs prédécesseurs, l’administration française soucieuse de se démarquer des Allemands en tous points de vue, se livra à des désignations n’obéissant plus au respect des réalités sociologiques locales desdits chefs traditionnels. Pour les nouveaux maîtres, les Oberhautplingen (chef supérieur) et hautplingen (chef de village) d’hier devinrent les chefs indigènes. Le souci de la France consistant à effacer toute trace de quelque nature que ce soit qui rappelait le passé allemand, il était nécessaire de promouvoir par tous les moyens des mutations aussi bien des manières de penser, d’agir et de sentir.

Dès 1918, un processus de réforme des « commandements indigènes » est mis sur pied. L’objectif, sommes-nous tentés de relever, consistait à « faciliter l’administration », voire diviser pour mieux régner. Cette réforme qui non seulement réorganise le fonctionnement du pouvoir traditionnel de manière hiérarchisée, décide de réduire les pouvoirs des chefs et de ne plus en faire des collaborateurs indispensables. Comme nous le verrons, cette principale innovation se matérialise par l’instauration du conseil des notables, nouveaux intermédiaires dans l’appareil décisionnel entre les subdivisions et l’administrateur colonial français. C’est surtout dans la partie sud du Cameroun français que cette mutation va connaître des répercussions négatives dans la nouvelle gestion, les larges pouvoirs d’hier sont désormais réduits.

Il convient de relever que les réformes opérées par la France s’inscrivaient dans le sens d’un meilleur suivi et un contrôle efficient des sujets et des territoires. Ces réformes n’étaient pas sans conséquence sur le travail des chefs, elles engendrèrent des problèmes. L’on sait en effet que lorsque les nouveaux maîtres de la partie orientale du Cameroun débarquèrent après le partage du territoire, ils se lancèrent dans une politique de destruction systématique des vestiges germaniques. Cette politique, connue sous le vocable de « dégermanisation »11 (Abwa, 1998, 95-105), fit de nombreuses victimes parmi les anciens collaborateurs des Allemands et leurs anciens soutiens locaux formés par ces derniers. (Kpwang, 2011, 161).

Au nom de la germanophobie, les Français choisirent de faire ressentir tout le poids de leur présence aux indigènes en accordant des pouvoirs extrêmes aux administrateurs coloniaux. Une initiative qui ne faisait que présager du début d’importantes difficultés pour l’autorité indigène (Kpwang, 2011, 140). Celles-ci n’allaient pas échapper aux subdivisions d’Ebolowa, Sangmélima et Kribi, où les commandements indigènes avaient été divisés en régions, chacune ayant à sa tête un chef de région, et en villages, commandés par des chefs de villages (Kpwang, 2011, 140). La raison de ce procédé d’administration était de permettre à la France de mieux suivre la vie et les activités de ses territoires par l’intermédiaire de divers représentants hiérarchisés. Comme principales conséquences de cette innovation pour les chefs, on eut la fragilisation et la réduction de l’autorité du chef traditionnel aussi bien vis-à-vis de ses multiples sujets, que dans l’étendue de son territoire de compétence. Ces chefs supérieurs et de villages qui hier étaient respectés de leurs sujets, mais aussi, considérés comme des collaborateurs indispensables pour l’autorité coloniale, ne bénéficiaient plus que d’un statut de seconde zone conditionné. Pour éviter tout abus éventuel ou trahison desdits chefs, la France préféra se doter de nouveaux collaborateurs qu’elle désignait et destituait au gré de ses intérêts au Cameroun.

Dans cette réforme de l’administration française au Cameroun, l’autorité du chef traditionnel, jadis forte et étendue, eut également des conséquences néfastes dans la vie des sujets et des villages12. Bien qu’ayant maintenu l’entité politique à base des chefferies, l’autorité coloniale procéda une sorte de réorganisation de l’appareil décisionnel traditionnel. Ainsi, dans tous les villages, les anciens chefs étaient soit tués, soit destitués et remplacés, soit purement et simplement légitimés au gré de l’autorité13. Les chefs reconduits au même titre que les nouveaux servaient plus comme auxiliaires de l’administration coloniale, et c’est à peine s’ils jouaient leur rôle de chef. Partout dans les villages, la France avait placé comme chefs des hommes de confiance, pour ainsi dire des marionnettes ; et, à l’occasion, elle divisait le groupe en plusieurs chefferies pour mieux asseoir son autorité (Abwa, 1998, 314).

Pour le nouvel administrateur, le souci d’obéissance, voire de soumission et d’entière collaboration, était un des objectifs de réussite de l’administration, une certitude de la maîtrise et du contrôle du territoire. C’est dans ce sens que la France permit à ses Commissaires à l’instar de Théodore Paul Marchand en 1924, de contraindre les chefs supérieurs et de villages à rendre compte aux chefs d’unités administratives de toute présence étrangère à leurs groupes. Cette mesure vint limiter la mobilité des populations. Le 7 août 1925, les chefs n’avaient plus le monopole du contrôle des déplacements de leurs sujets, l’autorité française s’en était accaparé, par l’usage d’un laissez-passer à la suite du Décret du 9 juillet 1925. (Abwa, 1998, 130). Les nouvelles mesures prises par l’administration française avaient rencontré la résistance d’une minorité de chefs. La réduction considérable de leurs pouvoirs, la proximité avec leurs sujets ou l’immixtion de l’autorité coloniale aux « affaires internes » seraient à l’origine de la difficile collaboration de plus en plus observée dans certaines localités comme à Nanga eboko, Sa’a ou Kribi. Face à ce comportement inquiétant et peu rassurant, les autorités françaises arrivèrent rapidement à la conclusion selon laquelle elles ne pouvaient pas trop compter sur eux, car, leur pouvoir était assez proche des valeurs ancestrales des populations dont ils avaient la charge de commander et avec lesquelles ils avaient des affinités claniques très poussées. (Kpwang, 2011, 140). L’on pense qu’il s’agissait de mobiles non fondées, et que la France voulait trouver des arguments pour amener les chefs à comprendre leur caractère peu serein et non indispensable.

En effet, la crainte de l’autorité coloniale tenait certainement au fait que les chefs pouvaient représenter une menace compte tenu de leur position privilégiée et surtout indispensables aussi bien vis-à-vis de leurs sujets que de l’autorité coloniale. Leur mise en minorité au détriment de collaborateurs choisis et dotés de missions clairement définis s’imposait comme une nécessité. Un projet qui fut bien mûri et appliqué par Théodore Paul Marchand.

En 1918, après l’occupation du Cameroun par la France, les chefs traditionnels éprouvèrent de la peine à asseoir leur autorité. A Sangmélima par exemple, un rapport du chef de la subdivision adressé à ses supérieurs en 1918, fait état d’une population palabreuse et turbulente à l’excès (Archives nationales de Yaoundé [ANY], Affaires politiques et administratives [APA] 12392, Sangmélima. Rapport des tournées 1918-1931, 51). Les chefs indigènes nommés par l’administration étaient contestés et n’étaient pas appelés coutumièrement à exercer cette fonction. Pour remédier à cet état des choses, l’administration gagnerait à choisir les chefs en accord avec la population concernée (Kpwang, 2011, 51).

Des éléments à même de justifier cette décision de procéder à des réformes, il est probable que la crainte, le respect, voire la soumission à l’endroit de l’autorité coloniale, devaient être une réalité sur le terrain pour les autorités françaises. Ce qui confirmait l’aspect rigide du commandement tel que prônée par la France. Une approche qui sous-tend qu’un chef ne doit pas être trop proche des populations, il doit être craint et respecté en vue d’un rendement efficient ; ce d’autant plus que la France avait pour ambition une prise en main et un contrôle effectifs des populations assujetties. Ce d’autant plus qu’en définitive, c’est la puissance coloniale qui investit les chefs. (Emog, 1988, 229)

Une approche du commandement difficilement assimilée par l’autorité traditionnelle (indigène) dont la nature du pouvoir est d’abord liée aux populations dont elle est aussi issue. Le chef ici est d’abord un bon père de famille et partage un ensemble de valeurs culturelles et ancestrales avec ses sujets, d’où sa proximité malheureusement décriée par l’administration française. C’est peut-être une des raisons de la création du conseil des notables, une institution qui fragilisera davantage la fonction de chef supérieur et de village.

II.2. La création du conseil des notables

C’est dans l’Arrêté du 9 octobre 1925 que figure la mise sur pied du conseil des notables (Archives nationales de Yaoundé [ANY], Affaires politiques et administratives [APA] 11326, Arrêté du 9 octobre 1925). Cette nouvelle institution coloniale est implémentée par le Commissaire Théodore Paul Marchand, dont l’objectif est de réduire le caractère indispensable des chefs indigènes en créant des nouveaux centres de décisions des problèmes indigènes (Abwa, 1998, 170). En effet, bien que reconnaissant l’utilité desdits chefs, l’administration française à travers le Commissaire Marchand, se rendit compte que certains d’entre eux, surtout ceux dont le pouvoir reposait sur des bases coutumières légitimes, constituaient une menace et pouvaient limiter grandement le champ d’influence française. Parallèlement à la logique de subordination des chefs indigènes, il fallait donc trouver une formule qui eut permis à la fois de conserver les chefs tout en ayant la possibilité de se passer d’eux sans avoir nécessairement à les destituer (Abwa, 1998, 171).

La nécessité du système d’administration directe prisé par la France, ne tolérait pas d’intermédiaire entre la population locale et l’autorité coloniale. Conséquence, l’existence d’un pouvoir indigène fort n’était pas appréciée. Il fallait l’affaiblir pour le rendre plus compatible avec les desseins français au Cameroun. Comme formule trouvée, Marchand décida à cet effet d’instituer de nouveaux intermédiaires du pouvoir colonial qui feraient ombrage au pouvoir indigène, d’où l’avènement du Conseil des notables. Par cette nouvelle institution, les chefs supérieurs et de villages cessent d’être les seuls interlocuteurs de l’autorité coloniale en ce qui concerne les problèmes indigènes.

Dans l’acte originel instituant le conseil des notables, les chefs supérieurs et de village ne siégeaient pas. C’est tout juste avant son entrée en vigueur et compte tenu des risques que présentaient l’exclusion desdits chefs que la nécessité de les intégrer se fit sentir14. Ainsi, au cours de la tenue de son premier conseil le 16 février 1926 à Yaoundé, on constate la présence de 19 membres majoritairement de la subdivision du Nyong et Sanaga.15.

Dans la pratique, cette nouvelle institution fonctionnait comme un parlement. Composée de représentants des groupements ethniques, elle avait un président qui était l’autorité coloniale et deux vices présidents choisis parmi les indigènes. Charles Atangana (Chef supérieur des Ewondo et Bene) et Hubert Manga (Chef supérieur des Yekabas) étaient les deux vice-présidents élus par acclamation du tout premier conseil des notables dans le Nyong et Sanaga. Deux jeunes conseillers figuraient aussi dans ce conseil, Awana Abana et Belinga M’bele, respectivement chef de village de race Eton-Est et chef du village Mengang.

Une raison du caractère fondamental du travail desdits conseillers qui s’apparentait à celui des parlementaires, est que ceux-ci formulaient des avis et doléances sur les questions économiques et sociales16 de leurs contrées respectives. L’autorité coloniale profitait de la tenue de ce Conseil pour s’assurer de la bonne marche de ses initiatives économiques et sociales dans les circonscriptions. Pour plus de réussite de leur entreprise, les fonctionnaires d’autorité devaient désormais faire passer les messages essentiels au Conseil en question. Et pour ce faire, les membres du Conseil des notables devaient être auréolés d’un prestige au moins égal à celui des Chefs supérieurs et de villages, une preuve de la volonté de Marchand de se passer du caractère jadis indispensable des chefs.

Toutefois, comme le souligne l’historien Daniel Abwa, le Conseil des notables qui siégeait par session malgré la finalité et les résultats visés, contribua à mieux subordonner les Chefs indigènes qui savaient que leurs points de vue ne pouvaient compter que s’ils soutenaient celui de l’administration coloniale. En outre, ce conseil relève l’historien Abwa, a permis à l’autorité coloniale d’avoir de nouveaux intermédiaires dans ses relations avec les populations locales, et par ce fait même de donner à leurs nouveaux partenaires une parcelle des pouvoirs des chefs indigènes (Abwa, 1994, 419).

En marge de cette réduction considérable de l’autorité du chef indigène, la France avait usé d’autres moyens pour rendre moins indispensables la fonction de chef supérieur et de village. Dans la poursuite des mesures de l’Arrêté de 1925, on assista à un effritement de l’autorité du chef.

II.3. L’effritement de l’autorité du chef traditionnelle

Un autre malaise de l’autorité traditionnelle peut s’expliquer par le fait que, hormis la réduction et la fragilité de son pouvoir, on aboutit à la contestation de la philosophie de la nouvelle administration. D’un côté, on a une partie de la population constituée majoritairement de chefs qui semblaient accueillir favorablement la politique de centralisation et d’assimilation de la France. De l’autre côté, il y a les populations victimes de la politique coloniale française généralement marquée par l’implémentation d’une autorité fortement charpentée et des abus de toutes sortes (Bell Bell, 1979, 37).

Fidèles à leur formule administrative de centralisation du pouvoir pour reprendre Daniel Abwa, les Français ne purent supporter le partage de celui-ci avec les chefs indigènes. Le pouvoir devant demeurer la possession exclusive des autorités françaises qui pouvaient, à leur guise, en déléguer quelques parcelles aux chefs indigènes. Pour cela, il fallait réaliser une révolution copernicienne en transférant le pouvoir jadis détenu par les chefs indigènes aux autorités françaises (Abwa, 1998, 158).

Ne pouvant se passer des chefs supérieurs et de villages qui constituaient « les intermédiaires obligés » entre l’autorité administrative et la masse de la population qu’ils dirigeaient, et n’ayant que partiellement réussi à se substituer à eux en s’arrogeant tous les droits qui étaient les leurs, les autorités françaises entreprirent de les soumettre à leur bon vouloir. L’administration française avait certes besoin du chef indigène mais elle voulait totalement les inféoder à sa cause. (Abwa, 1998, 158). Pour le « rayonnement des subdivisions », la France décida de déposséder, comme souligné plus haut, une bonne partie du pouvoir du chef supérieur et de village. Ce dernier devint un agent de l’administration française après la réforme de l’autorité administrative, tout en gardant une position traditionnelle vidée de ses fondements politiques et religieux. Ce chef avait perdu aussi son rôle de protection et d’assistance au profit des « hommes nouveaux » désormais représentants de l’administration coloniale dans les régions.

Nommés et révocables par l’administration, les chefs supérieurs et de village devaient accepter les nouvelles méthodes qu’avait plantées Théodore Marchand, et qui consistaient à devenir un simple exécutant dans son territoire de commandement, l’essentiel dudit pouvoir étant détenu par un fonctionnaire français d’autorité (Abwa, 1998, 158).

Avec cet effritement de l’autorité du chef, on assiste à des malentendus entre chefs traditionnels qui occasionnent quelques débordements. C’est ainsi que, dans la subdivision de Nanga Eboko, Pierre Rouvillois signale en 1939 que le chef Yezoum, Angoula Abada ayant demandé à Engongono, chef du village d’Endoum de lui envoyer des prestataires, celui-ci lui fit répondre de venir les chercher lui-même. Mais, quand Angoula Abada se présenta, Engongono le fit frapper par ses policiers (Tanga Onana, 2011, 277). Sans toutefois généraliser la situation à partir de ce cas, l’on peut affirmer que la réduction de l’autorité avait eu un impact dans la gestion du pouvoir des chefs.

L’effritement de l’autorité du chef et la pratique frustrante qui mettait en mal certaines autorités n’allaient pas faciliter l’harmonie dans la gestion des territoires. C’est ainsi qu’on ne saurait oublier le problème de la perte d’influence des chefs vis-à-vis de leurs sujets et sur leurs terres. Qu’ils l’eussent transféré de plein gré ou qu’ils y fussent contraints par la force de l’occupant, la soumission au pouvoir du nouvel administrateur enlevait du même coup aux chefs supérieurs et de village toute possibilité de décider d’eux-mêmes de leurs affaires (Ngomsu, 1982, 136). Ces chefs qui jadis étaient dotés d’une marge de manœuvre17 sous les Allemands devenaient quasi dépendants.

Avec Jules Bell Bell, il convient de s’interroger s’il y a eu effectivement une administration indigène. A bien observer dans la pratique, le doute est profond car les chefs indigènes n’étaient que des personnages manipulés pour la plupart (Bell Bell, 1979, 39). En outre, leurs contacts avec l’administration française étaient étroits contrairement à la période allemande18. Se sentant surveillés, ces chefs, par peur de sanctions, étaient souvent obligés de se plier à la volonté des décideurs coloniaux.

Le travail de proximité et la surveillance des actions des chefs indigènes s’accentuèrent par la pratique des tournées qu’effectuait l’autorité coloniale. En effet, pour établir un contact direct avec les populations indigènes du Cameroun, dans l’optique de susciter leur sympathie et leur soumission, la France par ses administrateurs instaura des tournées. L’autre raison non négligeable des tournées soulignée par le Professeur Abwa, consistait à procéder à la marginalisation et au contrôle des chefs indigènes. Obéissant à leur système d’administration, il était important pour la France de se substituer au pouvoir indigène traditionnel afin d’établir un contact permanent et direct avec les populations locales d’une part, et de jouir des ressources économiques et financières du territoire d’autre part (Abwa, 1994, 364). Toutefois poursuit-il, en tenant compte des circulaires relatives au fonctionnement des tournées, l’objectif de la France à travers les tournées était également d’amener l’autorité coloniale française à se faire connaître et apprécier des populations locales (Abwa, 1994, 364).

Les difficultés ou problèmes des chefs indigènes atteignaient souvent leur paroxysme à travers ces tournées. En effet, au moment où elles se tenaient, l’autorité coloniale profitait de l’occasion pour imposer son pouvoir aux populations indigènes. C’est ce qui ressort de cette description que brosse l’administrateur de la France d’outre-mer Gérard Prestat :

Si la tournée avait pour base le recensement des populations devant servir à l’établissement de l’assiette de l’impôt, elle servait surtout à établir un contact étroit avec leurs chefs et les populations(…) logeant au village, les villageois profitaient de son passage pour lui présenter leurs problèmes, les litiges sur la dot, divorce et vol de bétail, etc. L’autorité se documentait sur les semailles, les moissons, les réserves de semences. Il prend ainsi le pouls de la population, ce qui lui permettait de résoudre les problèmes et de prévenir d’éventuels incidents (interview avec Gérard Prestat, dans Abwa, 1994, 366).

Grâce aux tournées, les autorités françaises pouvaient donc exercer une administration directe auprès des populations en se substituant au pouvoir du « chef indigène ». En outre, par ces tournées, la personnalité, l’autorité, le travail des chefs vis-à-vis de leurs populations étaient évaluées. Ce qui de toute évidence n’était pas du tout apprécié par ces derniers, mais beaucoup plus par crainte des représailles que par respect, ces chefs s’abstenaient de le manifester publiquement. (Abwa, 1994, 368).

Comme on peut le constater, les chefs traditionnels étaient appelés à jouer un rôle important dans l’administration coloniale. Seulement, ce rôle n’était jamais autonome, il ne fut pas déterminé par les institutions locales préexistantes. Ces chefs conservèrent plus ou moins leurs titres et attributions anciennes, mais aux yeux de la loi des colonisateurs, ils n’étaient que des agents de l’administration coloniale, agents non fonctionnaire dépourvus de tout statut et par conséquent titulaires de tout droits révocables ad nutum par l’administration supérieure, passibles de sanctions applicables aux autres sujets indigènes (Surêt-Canale, 1966, 462). Menées sans scrupules, ces pratiques allaient provoquer une crise de l’autorité des chefs indigènes dans certaines subdivisions.

II.4. La crise d’autorité

La crise de l’autorité survenue dès le lendemain de la Première Guerre mondiale peut s’expliquer par le fait qu’on enregistra un manque de respect de la hiérarchie indigène, une difficile collaboration entre autorités et parfois des abus divers perpétrés par certains chefs19.

Plusieurs raisons peuvent justifier le début de la crise d’autorité traditionnelle dans les territoires du Sud-Cameroun. Avec Tanga Onana, relevons les questions de l’État colonial et les contradictions ayant parfois entraîné des conflits entre les nouvelles autorités, les populations et les chefs traditionnels (Tanga Onana, 2011, 274).

Prenant le cas des subdivisions de Kribi et de Nanga Eboko, c’est au lendemain du départ des Allemands qu’on assiste à ce climat. En effet, après la Grande Guerre, la France soucieuse de mettre un terme au mode de désignation allemand des chefs, opte pour des désignations peu rassurantes. Elle tient compte du seul critère de fidélité absolue envers les nouveaux maîtres venus de la métropole (Kpwang, 2011, 140).

La crise de l’autorité fut aussi marquée par certains abus commis par l’administration francophone dans quelques territoires. Ainsi, dans certaines chefferies du Mbam, presque tous les « amis » des Allemands qui occupaient les fonctions de chefs étaient destitués. C’est le cas dans la chefferie de Kon-Kidun qui avait pour chef Ombolo Mokong, remplacé par Pese Y’ombolo, lequel fut désavoué peu de temps après par la France vers 1919. A Begui, c’est un ancien collaborateur des Allemands nommé Omang n’e Siadè. A sa mort en 1916, il fut remplacé par Pagong n’e Magn qui régna jusqu’en 1919 peu de temps avant sa mort (Berika Benaume, 1979, 79). Dans la chefferie Yambetta, c’est le chef Panda, après sa mort en 1917, qui fut remplacé par son fils Afiab’è Banda. Ce dernier fut relevé de ses fonctions de chef pour orgueil et non-respect des superviseurs hiérarchiques. (Berika Benaume, 1979, 79). Dans la chefferie Kiboum où règne une légère instabilité politique, à la suite du départ précipité du chef Pesome, son successeur Ambo, considéré comme illégitime par la population, fut contraint de démissionner en 1921(Berika Benaume, 1979, 79). Cette instabilité politique était difficilement maîtrisée par l’administration coloniale qui se distingua par des prises de décisions à la va-vite en nommant et destituant par exemple, des successeurs en moins de trois ans. Preuve d’un manque de collaboration total avec la population locale dans les choix des auxiliaires coloniaux.

II.5. Les autres formes de problèmes

Le travail du chef traditionnel était en butte à de multiples problèmes à l’instar de ceux liant parfois les chefs à leurs sujets. En effet, dans le cadre de la réorganisation et la reconstruction des territoires, le besoin en main-d’œuvre s’est souvent imposé. Et c’est dans les couches indigènes qu’il était opportun de recruter. Ainsi, cette réquisition de main-d’œuvre ne s’est pas souvent faite sans difficultés. Le chef se trouvait parfois tiraillé entre l’administration qui désirait une main d’œuvre et ses ressortissants qui dédaignaient. Ce d’autant plus que, une fois recruté, « l’indigène » avait obligation de servir, et quiconque désertait la plantation au profit de laquelle il avait été requis s’exposait aux sanctions disciplinaires (Surêt-Canale, 1966, 468). Une situation qui embarrassait parfois les chefs souvent soucieux de vouloir préserver l’harmonie des liens avec leurs sujets, mais aussi la collaboration avec l’autorité coloniale.

Sur un autre plan, le pouvoir colonial avait recours à toutes formes de pratiques pour s’implanter dans les territoires. Partout où il parut nécessaire, le nouveau pouvoir colonial n’hésitait pas à organiser la chasse ou l’élimination des chefs qui ne lui convenaient pas, soit en les exilant, soit en les emprisonnant s’ils n’étaient pas physiquement éliminés. Ces méthodes permettaient à la nouvelle administration de mettre en place des éléments qui lui semblaient favorables (Ngomsu, 1982, 134).

Conclusion

En fin de compte, il n’y a point de doute qu’avec l’occupation du Cameroun par la France, l’autorité traditionnelle connut des moments d’instabilité. A certaines périodes, la fonction de chef traditionnel était perçue comme prestigieuse et suscitait l’admiration des populations autochtones. Le chef était craint, respecté et jouissait d’un nombre considérables d’avantages. Celui-ci avait même parfois droit de vie ou de mort sur ses sujets. Avec la mise sur pied de certaines réformes en 1918, cette splendeur tombait en désuétude. La fonction n’offrait alors plus la même gloire avec l’instauration de quelques mécanismes destinés à diluer le pouvoir traditionnel. L’autorité traditionnelle était désormais méprisée des populations, manipulée par l’administration, la haute personnalité qui hier était respectée était transformée en une sorte de laquais de l’administration coloniale française après la Grande Guerre.

1 Cf. Décret du 20 octobre 1908. Cet impôt avait d’abord été introduit dans la seule ville de Douala par Décret du 1er juillet 1903 (Emog., 1987-1988

2 « Les Allemands bien que visant aussi l’intérêt, faisaient travailler les indigènes mais les payaient de façon minimale. Avec l’arrivée des Français

3 Pour plus de détails à ces avantages et gratifications, lire Ebale, 2001, 185-215.

4 C’est le cas d’Edjoa Mvondo, Machia et Atangana.

5 Outre mater toute forme de revendication ou de contestation menaçant les intérêts de la France, Machia a eu à imposer le chef Mouté à Dol dans l’

6 Ce texte est le premier depuis l’installation de la France en 1916 à reconnaitre la grandeur de la fonction du chef indigène au Cameroun. Soulignons

7 François Bonnecarrère, demande aux administrateurs Français sur le terrain de ne pas adresser de reproches publics aux chefs, ni de leur infliger de

8 Il s’agissait en quelque sorte de l’administration directe appliquée par la France et l’indirect rule Britannique. C’est la fusion de ces deux

9 C’est par exemple le cas des chefs Pierre NGAK, chef supérieur des Bamvele, de Tsangamanga, chef supérieur des Eton-ouest ou de Max ABE FOUDA, chef

10 Les chefferies traditionnelles d’hier seront désormais appelées chefferies indigènes.

11 Ce concept de dégerrmanisation d’après Daniel ABWA, consistait à faire oublier le période allemande pour imposer le style français. Dans la

12 Comme nous le verrons par la suite, la réforme en question vint fragiliser l’autorité et la personnalité du chef vis-à-vis de ses sujets. Le chef

13 Les chefs étaient légitimés à cause de leur importance stratégique et leur franche collaboration. Ce sera par exemple le cas des chefs supérieurs

14 Il faut souligner en effet que, en excluant les chefs, ceux-ci pouvaient décider de ne plus collaborer avec l’autorité coloniale, ce qui n’était

15 Il s’agit de Charles Atangana, Albert Ateba, Zogo Fouda, Ze Mendouga, Bouremeke, Jean Tchanga Manga Elong Eyenga, Toulou Nkou, Machia à Anong

16 C’est le cas de la main-d’œuvre, l’impôt de capitation, les prestations, la taxe d’assistance indigène, les patentes, etc.

17 Le système d’administration allemand accordait une bonne marge de pouvoir aux chefs qui étaient de véritables collaborateurs. L’intervention

18 Au cours de la période allemande, les chefs s’occupaient des affaires judiciaires et de l’organisation de la vie dans leur territoire de

19 La crise trouve davantage son effet du fait que certains chefs « amis » des nouveaux maîtres bénéficiaient de certains appuis/faveurs au détriment

Bibliographie

Abwa D. (1998), Commissaires et Hauts- commissaires de la France au Cameroun (1916-1960), Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé et presses de l’UCAC.

Abwa D. (1994), Commandement Européen, commandement indigène au Cameroun sous administration française de 1916 à 1960, thèse de doctorat d’Etat de l’Université de Yaoundé, Cameroun.

Archives nationales de Yaoundé (ANY), Affaires politiques et administratives (APA) 11326, Arrêté du 9 octobre 1925.

Archives nationales de Yaoundé (ANY), Affaires politiques et administratives (APA) 11689, Inspection des colonies-Région Nyong et Sanaga.

Archives nationales de Yaoundé (ANY), Affaires politiques et administratives (APA) 12392, Sangmélima. Rapport des tournées 1918-1931, dans Kpwang R. (2011), « Pouvoir traditionnel et notion de « chefferies » au Cameroun : de la période pré coloniale à l’ère de la mondialisation(1850-2010) », dans Kpwang Kpwang R. (dir.), La chefferie « traditionnelle » dans les sociétés de la grande zone forestière du Sud-Cameroun (1850-2010), Paris, L’Harmattan, p.51.

Baba Kake I. (1990), L’Afrique coloniale, Paris, ACCT.

Coquery-Vidrovitch C. (1976), « La mise en dépendance de l’Afrique noire. Essai de périodisation 1800-1970 », Cahiers d’études africaines, vol. 16, n° 61.

Coquery-Vidrovitch C. (1985), Afrique noire : permanences et ruptures, Paris, Payot.

Cornevin R., et M. (1952), Histoire de l’Afrique des origines à la deuxième guerre mondiale, Paris, Payot.

Cornevin R. (1961), « Evolution des chefferies en Afrique Noire d’expression française », Recueil Penant, n°686, p. 235-250 ; n°687, juin-août 1961, p. 378- 388 ; n°688, sept.-oct. 1961, p. 539-556, disponible sur : http://lam.sciencespobordeaux.fr/sites/lam/files/td58-59.pdf, consulté le 24 mai 2018.

Dictionnaire Reverso (2018), Définition splendeur français, disponible sur : https://dictionnaire.reverso.net/francais-definition/splendeur , consulté le 21/03/2018.

Ebale R. (2011), « Pouvoir colonial et autorité traditionnelle dans la région de Sangmélima sous administration française : le cas des chefferies supérieures bulu (1916-1945) », dans Kpwang Kpwang R. (dir.), La chefferie « traditionnelle » dans les sociétés de la grande zone forestière du Sud-Cameroun (1850-2010), Paris, L’Harmattan, pp. 185-215.

Emog P. (1987-1988), Les pays Banen et Bafia de 1901 à 1945 : le poids de la colonisation. Essai d’étude historique, Thèse de doctorat de 3e cycle en histoire, Université de Yaoundé.

Fogui J.P. (1980), Autorités traditionnelles et intégration politique au Cameroun, thèse de doctorat d’État, Tomes I et II, Bordeaux.

Gomsu J. (1986), « La problématique de la collaboration », Afrika Zamani, n°16 et 17.

Mballa Nguele M. (1994), Charles Atangana et l’administration coloniale, mémoire de maîtrise, Université de Yaoundé, dans Abwa D., Commandement Européen, commandement indigène au Cameroun sous administration française de 1916 à 1960, thèse de doctorat d’État de l’Université de Yaoundé, Cameroun, p. 843

Rudin H. (1938), Germans in the Cameroons, 1884-1914. A case study in modern imperialism, New Haven, Yale Univerity.

Imbert J. (1973), Le Cameroun, coll. « Que sais-je ? », n° 1551, Paris, P.U.F.

Kange Ewane F. (1985), Semence et moisson coloniales : un regard d’Africain sur l’histoire de la colonisation, Yaoundé, Clé.

Ki-Zerbo J. (1972), Histoire de l’Afrique Noire, d’hier à demain, Paris, Hatier.

Lombad J. (1967), Autorités traditionnelles et pouvoirs européens en Afrique Noire. Le déclin d’une aristocratie sous le régime colonial, Paris, Armand Colin.

Michel M. (2003), Les Africains et la Grande Guerre. L’Appel à l’Afrique (1914-1918), Paris, Karthala.

Mveng E. (1984), Histoire du Cameroun, Yaoundé, C.E.P.E.R.

Ngongo L.P. (1982), Histoire des forces religieuses au Cameroun de la Première Guerre mondiale à l'Indépendance (1916-1955), Paris, Karthala.

Suret-Canale J. (1962), Afrique noire. L’ère coloniale 1900-1945, Paris, Éditions Sociales.

Temgoua A.P. (2011), « Les chefs traditionnels du Sud-Cameroun forestier dans le circuit de l’économie du marché », dans Kpwang Kpwang R. (dir.), La chefferie « traditionnelle » dans les sociétés de la grande zone forestière du Sud-Cameroun (1850-2010), Paris, L’Harmattan, p. 171-183.

Notes

1 Cf. Décret du 20 octobre 1908. Cet impôt avait d’abord été introduit dans la seule ville de Douala par Décret du 1er juillet 1903 (Emog., 1987-1988, 126).

2 « Les Allemands bien que visant aussi l’intérêt, faisaient travailler les indigènes mais les payaient de façon minimale. Avec l’arrivée des Français il n’y a pas de rétribution et il faut quand même payer l’impôt », Témoignage des missionnaires catholiques, Archives des pères du Saint-Esprit, Paris, boîte 187, n° 58, citées par Ngongo L.P., 1982,18.

3 Pour plus de détails à ces avantages et gratifications, lire Ebale, 2001, 185-215.

4 C’est le cas d’Edjoa Mvondo, Machia et Atangana.

5 Outre mater toute forme de revendication ou de contestation menaçant les intérêts de la France, Machia a eu à imposer le chef Mouté à Dol dans l’important village de Kiiki, village avec lequel il n’avait aucun lien. En outre le Chef supérieur Machia souligne Paul Valentin EMOG, pouvait se permettre de faire nommer ses favoris chefs, à travers lesquels il conservait la main haute sur leurs villages. (Emog, 1988, 228).

6 Ce texte est le premier depuis l’installation de la France en 1916 à reconnaitre la grandeur de la fonction du chef indigène au Cameroun. Soulignons que c’est la continuité respective des idées du gouverneur général de l’AOF, Joost Van Voollenhoven du 15 aout 1917, qui précise certaines directives aussi bien dans le choix des chefs, les garanties et avantages qui doivent leur être consentis, pour compenser la charge du commandement, leur situation matérielle et mode de rémunération, la considération qui leur est due, leurs attributions et obligations. Ceci se concrétise au Cameroun suite à la décision d’André Maginot, Ministre des colonies, ou encore Jules Brévié, qui dans diverses circulaires reprennent les principes de Joost Van Voollenhoven sur la considération et le traitement des chefs indigènes. Lire Cornevin, 1961, 539-556).

7 François Bonnecarrère, demande aux administrateurs Français sur le terrain de ne pas adresser de reproches publics aux chefs, ni de leur infliger de sanctions disciplinaires. (Abwa, 1998, 196).

8 Il s’agissait en quelque sorte de l’administration directe appliquée par la France et l’indirect rule Britannique. C’est la fusion de ces deux systèmes d’administration qui était appliquée par l’Allemagne.

9 C’est par exemple le cas des chefs Pierre NGAK, chef supérieur des Bamvele, de Tsangamanga, chef supérieur des Eton-ouest ou de Max ABE FOUDA, chef supérieur à Mbalmayo, etc. : Archives nationales de Yaoundé [ANY], Affaires politiques et administratives [APA] 11689, Inspection des colonies-Région Nyong et Sanaga.

10 Les chefferies traditionnelles d’hier seront désormais appelées chefferies indigènes.

11 Ce concept de dégerrmanisation d’après Daniel ABWA, consistait à faire oublier le période allemande pour imposer le style français. Dans la pratique, il s’agissait de rompre avec les manières de voir, de faire, de penser en créant des écoles où on enseignerait le français, généraliser l’usage de la langue française, modeler les populations afin d’obtenir une soumission. Bref, il fallait rompre avec les représentations allemandes pour instaurer les Françaises. Ceci devait permettre une meilleure exploitation de ce territoire afin de « payer » la France de tous les efforts qu’elle avait déployés pour le posséder.

12 Comme nous le verrons par la suite, la réforme en question vint fragiliser l’autorité et la personnalité du chef vis-à-vis de ses sujets. Le chef sera presque suppléé dans sa fonction de chef suprême et intermédiaire unique de l’autorité coloniale, mais auss, de garant du patrimoine traditionnel local. En outre, il ne rendra plus justice comme par le passé avec la réforme. Comme au temps de la colonisation allemande, ils avaient perdu leur autorité.

13 Les chefs étaient légitimés à cause de leur importance stratégique et leur franche collaboration. Ce sera par exemple le cas des chefs supérieurs Charles Atangana des Ewondo et Bene, Hubert Manga des Yékabas et Machia à Anong des Bafia et Bapé.

14 Il faut souligner en effet que, en excluant les chefs, ceux-ci pouvaient décider de ne plus collaborer avec l’autorité coloniale, ce qui n’était pas sans conséquences néfastes dans le rendement escompté par la France.

15 Il s’agit de Charles Atangana, Albert Ateba, Zogo Fouda, Ze Mendouga, Bouremeke, Jean Tchanga Manga Elong Eyenga, Toulou Nkou, Machia à Anong, Awana Abana, Zogo Fouda, Ambara, Martin Ekoto Mvoto,Tina Avonk, Onambele, Hubert Manga, Moume, Nkoa, Belinga M’bele et Vogumbi. Cf Annexe 12, conseil des notables, Procès-verbal de la séance du 16 février 1926. (Abwa, 1994, Annexe 12).

16 C’est le cas de la main-d’œuvre, l’impôt de capitation, les prestations, la taxe d’assistance indigène, les patentes, etc.

17 Le système d’administration allemand accordait une bonne marge de pouvoir aux chefs qui étaient de véritables collaborateurs. L’intervention étatique se réduisant à la présence de gouverneurs, de quelques fonctionnaires délégués et policiers et de Schutztruppen épaulées par des troupes indigènes (Askaris). Dans les possessions, les planteurs assuraient eux-mêmes la police de leur domaine en s’en remettant à des milices privées indigènes. Les véritables centres de pouvoir et de décision ne se trouvaient donc pas dans les demeures des gouverneurs impériaux mais dans les sièges des sociétés coloniales en Allemagne et dans les capitales coloniales.

18 Au cours de la période allemande, les chefs s’occupaient des affaires judiciaires et de l’organisation de la vie dans leur territoire de commandement, ce que Raymond Ebale confirme en relevant que ces chefs avaient des pouvoirs excessifs à peine contrôlés par l’autorité administrante (Ebale, 2011, 192).

19 La crise trouve davantage son effet du fait que certains chefs « amis » des nouveaux maîtres bénéficiaient de certains appuis/faveurs au détriment des autres chefs. Ce qui amène ces proches du nouvel administrateur à se livrer parfois à des exactions parfois sans raisons valables.

Citer cet article

Référence électronique

Georges Etoa Oyono, « Splendeurs et problèmes des chefs traditionnels des territoires du centre-sud au lendemain de la Grande Guerre », Revue internationale des francophonies [En ligne], 3 | 2018, mis en ligne le 20 juillet 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=624

Auteur

Georges Etoa Oyono

Georges Etoa Oyono est un Camerounais né le 26 mars 1976 à Ngoazip 1 par Ebolowa. Diplômé d’histoire-géographie de l’École normale supérieure de Yaoundé en 2004 et de sociologie et de sciences politiques en 2008, il soutient un Ph.D. en Histoire des relations internationales option diplomatie à l’Université de Yaoundé 1 en 2015. Enseignant vacataire au Département de diplomatie de l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC), il est auteur de plusieurs publications scientifiques.

Autres ressources du même auteur

Droits d'auteur

CC BY