La circulation des emprunts néologiques dans le domaine de la mode en tchèque et en français dans une perspective diachronique

DOI : 10.35562/elad-silda.324

Résumés

L’objectif de cette communication est de comparer un échantillon d’emprunts néologiques du domaine de la mode en français et en tchèque. L’idée de la conception comparative évoquée dans le titre de l’article puise dans le projet international intitulé « EmpNéo » (Emprunts Néologiques), projet visant à confronter et à examiner la diffusion des emprunts néologiques dans diverses langues. Dans cette étude, nous analyserons les termes récents de la mode vestimentaire apparus respectivement dans les deux langues. Le corpus est fondé sur nos propres connaissances et expériences quotidiennes du thème et sur un lexique repéré dans la presse écrite. Cette restriction méthodologique – ne travailler que sur un corpus issu des périodiques – correspond à l’esprit du projet en question. L’objectif principal est de décrire la présence des lexèmes choisis dans les deux langues et de comparer leur existence dans les différents types de documents, leur diffusion, ainsi que leur nature et leur place dans les deux langues étudiées.

The main goal of this paper is to compare a sample of neological loanwords from the fashion sector in French and Czech. The idea of the comparative conception mentioned in the title of the article is based on the international project entitled “EmpNéo” (Neological Loanwords), which aims to compare the diffusion of neological loanwords in various languages. In this study, we would like to present only a part of this project and analyze the new terms related to the fashion industry that appeared in the two respective languages. The corpus is based on our own knowledge and personal experiences. All lexemes were selected from the press, so it represents the written form of language. This methodological restriction – i.e. work only on a written corpus of on-line journals – corresponds to the aim of the mentioned project. The main objective is to describe the presence of selected lexemes in both languages and to compare their existence in the different types of documents, their diffusion as well as their nature and their place in the two languages.

Index

Mots-clés

lexicologie, circulation, fréquence, néologisme, mode

Keywords

lexicology, circulation, frequency, neologism, mode

Plan

Texte

Introduction

L’essor de la langue anglaise, ainsi que sa position en tant que lingua franca, a fait couler beaucoup d’encre lors des dernières décennies, et les opinions des linguistes français ainsi que tchèques à propos des anglicismes ne sont pas toujours unanimes. Néanmoins, la perception et le parcours de la langue anglaise dans les deux milieux linguistiques choisis pour notre étude ont varié d’un point de vue historique, et ils continuent d’évoluer de nos jours. Pour ce qui est de la langue tchèque, la présence des emprunts anglais augmente au cours du XXe siècle. Les anglicismes ont été apportés en tchèque en trois vagues classées comme étant les plus importantes, et ont trait à différents domaines, à savoir le sport (au tout début du XXe siècle), la musique (durant l’époque d’après-guerre) et la technique / l’électrotechnique (dans les années quatre-vingts). Dans ce contexte, il faut souligner le fait que les barrières du régime communiste imposé en Tchécoslovaquie ont freiné l’influence de l’anglais et l’afflux de nouvelles dénominations anglophones ; ces dernières ne sont donc réapparues qu’après la chute du mur de fer en 1989 (voir Fidelius [2009]).

En ce qui concerne le français, ses liens avec l’anglais ont suivi un chemin complètement différent. Loubier [2011] souligne que dans l’histoire linguistique des liens entre le français et l’anglais, nous sommes témoins de plusieurs vagues d’anglomanie, et l’impact de l’anglais sur le français – via les emprunts – est parfaitement accepté jusqu’en 1940 (Rey [2008]). La vraie lutte explicite contre l’anglomanie apparaît dans le discours des Français dans les années cinquante, provoquée notamment par la publication du « pamphlet » de René Étiemble Parlez-vous franglais en 1964. En revanche, la République tchèque n’a connu, et ne connaît aucun ouvrage « contre l’anglais ». Idem pour la loi qui protège l’emploi de telle ou telle langue sur un territoire donné. Tandis que la France dispose de la loi Toubon, la Tchéquie n’a aucun acte officiel de protection linguistique.

1. La mode et les anglicismes

Avant de présenter notre recherche sur les lexies étudiées dans cet article, nous aimerions faire un point sur l’étymologie du terme « mode » et aborder la relation entre les anglicismes et la mode à notre époque.

Le lexème « mode » date du XVe siècle, et provient du latin modus. Le dictionnaire le Petit Robert contient cinq entrées dans l’article « mode ». Les deux premières entrées sont caractérisées par les adjectifs « vieux » et « vieilli », dans le sens « manière individuelle de vivre, d’agir, de penser » ou « manière collective de vivre, de penser, propre à une époque, à un pays, à un milieu ». Ces deux acceptions correspondent aux synonymes « convenance », « façon », « fantaisie », « manière ». La définition, qui suit : « goûts collectifs, manières de vivre, de sentir qui paraissent de bon ton à un moment donné dans une société déterminée », est indexée comme « moderne » (d’usage actuel). Dans ce sens, le dictionnaire propose un équivalent, celui de « vogue », et cite l’expression « à la mode » en introduisant les synonymes suivants : « in (cf. c’est à la page, le dernier cri, dans le coup, dans le vent) », « branché », « câblé ». La quatrième entrée comporte l’indication « absolument » introduite par la définition suivante : « les habitudes collectives et passagères en matière d’habillement ». La dernière acception est celle du commerce, de l’industrie du vêtement, renvoyant à trois synonymes : « confection », « couture », « prêt-à-porter ».

Notre étude touche l’industrie de la mode telle qu’elle est définie par le Petit Robert, mais en même temps l’acception retenue correspond à la définition notée comme « moderne », c’est-à-dire que l’on traite de nouveaux produits et de nouvelles dénominations nés au sein du commerce de la mode.

Le secteur de la mode lui-même connaît une croissance des emprunts dès la deuxième moitié du XXe siècle. Cette hausse devient de plus en plus importante à partir de 1990, ce qui correspond, en citant Barbier [2012], à l’époque où nous sommes devenus tous égaux devant la mode. La mode est devenue un phénomène mondial et a commencé à envahir nos quotidiens, d’abord avec les phénomènes du shopping de masse dans les grandes surfaces, puis elle a marqué des points avec le commerce en ligne récemment développé sur et grâce à Internet, où nous sommes souvent confrontés aux vlogs des youtubeuses/youtubeurs présentant leurs hauls – les commentaires vidéo des derniers cris de la mode. Cette invasion dans notre quotidien a également des conséquences sur le langage de la mode qui ne cesse de s’enrichir de nouvelles désignations provenant en majorité de l’anglais. Or, la mondialisation et les nouvelles technologies permettent d’accélérer la diffusion des termes néologiques dans d’autres langues, le tchèque ou le français y compris.

Les professionnels de la mode viennent des cinq continents, et afin de pouvoir communiquer et effectivement échanger leurs idées, ils doivent maîtriser la langue de la mondialisation : l’anglais. Il n’est donc pas surprenant que les nouvelles créations relatives au domaine de la mode reçoivent des noms anglais, car elles ont été créées et discutées, a priori, dans les échanges linguistiques uniformes, ceux de l’anglais.

Pour renforcer notre affirmation sur la dominance de l’anglais dans le milieu de la mode, nous citerons un article publié par l’Académie française soulignant dans son discours, avec un ton un peu exagéré, la présence des lexèmes anglais dans la fashion.

Pour une soirée chez les fashionistas
Conseils d’une coach au top 50 des people. Le dress code dit : casual chic. Adoptez la touche seventies boostée par le blouson customisé, shoppé à la brocante vintage du quartier. Une headband dorée dans les cheveux pour glamouriser la tenue. Le must-have de l’hiver qui assure la sécurité des girlies est le bijou self-defense, un sifflet doré. Les trendy n’oublieront pas le it bag, indispensable quand on assiste à une performance en live.
Propos glanés dans la presse féminine française par la It girl de l’Académie.1

Parmi les termes cités par l’Académie française, nous apercevons des lexèmes d’origine anglaise qui font déjà partie du corpus métalinguistique (nous les avons vérifiés dans le dictionnaire le Petit Robert 2016), par exemple : people, coach, booster. Néanmoins, nous pouvons également distinguer des termes absents des dictionnaires généralistes, notons par exemple la formation avec it (it girl, it bag) désignant des produits, voire des personnes, à la mode, ceux qui sont in, branchés.

2. Le corpus et la méthodologie de recherche

La méthodologie de notre recherche réside dans l’idée du corpus ouvert concentré sur le domaine de la mode dans son sens le plus large ; c’est la raison pour laquelle nous y avons inclus les sujets de la beauté et de l’esthétique. Nous effectuons des recherches régulières dans les rubriques « mode » des magazines féminins, sur des blogs, dans les archives de presse. Nous travaillons également avec le Anopress (l’ensemble de la presse tchèque disponible en ligne), avec le Corpus national tchèque (korpus.cz) ou la plateforme Néoveille dont les résultats seront présentés dans la dernière partie de cet article. Les termes choisis pour notre corpus sont notés dans un dossier Google disponible en ligne, dans lequel nous proposons des lexèmes candidats à des études plus avancées suivant la méthodologie du projet EmpNéo (« Emprunts Néologiques »). En effet, la méthodologie du projet en question fonctionne avec des « fiches » qui sont respectivement remplies pour chaque langue et pour chaque lexème considéré comme néologique (cf. notamment Hildenbrand, Kacprzak, Sablayrolles [2016], Mudrochová [2016]).

Au-delà, la partie de l’équipe tchèque (Radka Mudrochová et Jan Lazar) s’est concentrée depuis 2015 plus précisément sur l’étude des emprunts dans le domaine de la mode. Dans le cadre de cet article, nous avons choisi cinq lexèmes qui seront étudiés dans une perspective diachronique ; nous sommes conscients de l’intervalle temporel limité, mais notre objectif est d’observer si les lexèmes choisis peuvent changer de fréquence et de perception dans un temps aussi limité, et si la saison joue un rôle dans ce procédé.

Les vocables sélectionnés de manière subjective désignent des vêtements (crop-top, coatigan) des accessoires (hobo bag) et des chaussures (loafers, wedges). Nous avons tout d’abord vérifié la présence des termes dans les dictionnaires de référence des deux langues respectives (Petit Robert 2016, Larousse 2016 / Databáze heslářů en ligne2) ainsi que ceux en ligne (Wikipédia, Wiktionnaire / Wikipédie, Wikislovník), pour ensuite passer à la mesure de la circulation dans des périodiques retenus. Nous avons opté pour une diversité de périodiques, et c’est la raison pour laquelle, nous avons inclus dans l’étude un périodique a) général, b) général gratuit ou people, c) thématique – féminin (rubrique mode). Pour le français, nous avons analysé les archives de Libération, de 20 minutes et de Madame Figaro. Pour le tchèque, la recherche concernant la circulation et la fréquence a été effectuée dans les archives de Idnes, Blesk et Joyonline. Dans la dernière partie de notre étude, nous avons vérifié la fréquence de tel ou tel lexème sur Google, ce qui permettra de nous prononcer sur la circulation globale sur Internet. Bien sûr, nous sommes conscients de la fiabilité relative de ce moteur de recherche ou des moteurs de recherche en général. Néanmoins, cette vérification nous donne au moins une mesure approximative de présence dans chaque langue.

Pour conserver une dimension diachronique, nous avons mesuré la circulation entre deux intervalles temporels distincts. La première recherche a été effectuée les 27-28/01/2017 et la seconde le 30/05/2017. Par ces deux datations, nous avons voulu savoir 1) si le temps a un impact positif ou négatif sur la circulation du lexème choisi, 2) si on peut percevoir un changement de circulation, même dans une période plutôt courte, et 3) si un terme peut connaître des hausses ou des baisses suivant les saisons et lors des lancements de tendances. Pour mener à bien une recherche diachronique, Picton et Dutry [2009] recommande de travailler avec un corpus supérieur à 10 ans. Pourtant, il est difficile de trouver un tel corpus pour le français, et les chercheurs en néologie sont confrontés à de nombreux obstacles d’ordre technique. Il est à noter que plusieurs corpus diachroniques sont disponibles pour l’anglais, mais encore très peu de corpus diachroniques existent pour la langue de spécialité ou la néologie. Étant donné la récente création de notre équipe – elle existe depuis moins de deux ans – nous n’avons malheureusement pas été en mesure d’établir une fenêtre temporelle plus large. Ainsi, notre corpus peut-il être considéré comme la première phase de la construction d’un corpus en continu dont l’objectif sera d’étudier les lexèmes choisis dans une fenêtre temporelle de 2 ans.

La dernière partie de cet article présente les résultats issus de la recherche effectuée via la plateforme Néoveille, plateforme permettant de mesurer la fréquence des termes d’une manière plus systématique et schématisée.

3. Étude des lexèmes retenus

3.1. Crop(-)top

Le premier lexème que nous avons retenu est celui de crop(-)top, ayant une courte définition dans le Dictionnaire des anglicismes de Goursau [2015] : « haut court qui montre le nombril », avec l’écriture séparée crop top. Néanmoins, le terme est absent des dictionnaires traditionnels tels que le Petit Robert ou Larousse, ainsi que du Wiktionnaire et de Wikipédia. Sa première apparition dans la presse française est datée du 24 juin 2013, selon les périodiques de notre choix.

Les pièces qu’il vous faut
1. Le crop top : toutes les it girls les plus branchées du moment ont déjà adopté les hauts nombril apparent. Ce modèle flashy et audacieux se portera avec une jupe crayon assez stricte pour un effet décalé (14,55 €, sur www.hm.com).3

Pour ce qui est de la présence du crop(-)top dans la langue tchèque, il est également absent des dictionnaires généraux du tchèque, et nous ne trouvons aucune indication dans le Wikislovník. Cependant, il fait partie de l’entrée « top » de Wikipédia avec la définition suivante : « un haut, généralement avec des manches courtes ou un débardeur ne couvrant que les seins ». D’ailleurs, l’article de Wikipédia cite d’autres catégories de cette tenue classée comme étant estivale : tank top, halter top, etc., l’orthographe conservant les deux termes séparés étant privilégiée. Dans la presse tchèque consultée, le terme est apparu pour la première fois le 2 juillet 2013.

Zkrácený top
...nebo taky "crop top", jak mu říkají v anglicky mluvících zemích. Je trendy, odvážný a nebezpečně sexy. Nebudeme si ale nic nalhávat, tenhle módní výstřelek je jen pro dámy, které se pyšní plochým bříškem.
Noste s: džínovými šortkami nebo sukní do pasu.4

Crop(-)top représente un terme général, qui peut avoir d’autres vocables dits concurrentiels. Pour le français, citons : cropped top, crop, haut crop, débardeur crop, crop débardeur top, t-shirt crop. Le tchèque en partage un avec le français : cropped top mais en possèdent d’autres qui ne se retrouvent pas en français : crop topík, topík crop, crop tričko (« t-shirt ») / triko (« t-shirt ») / tílko (« débardeur ») crop. Les variantes avec tílko/tričko/triko changent de genre. À savoir, crop(-)top étant du genre masculin dans les deux langues, devient neutre s’il est accompagné de triko/tričko/tílko. Le tchèque comporte également une variante orthographique avec « k » : krop. Le pluriel est formé par un simple rajout d’un -s à la fin de chaque lexème du composé ou à la fin du dernier élément : crop(-)tops, crops(-)tops. Toutefois, le tchèque possède des formes « tchéquisées » correspondant à la déclinaison du genre masculin top/topík (« petit top ») selon le modèle « hrad » : crop/krop(-)topy/topíky.

Pour ce qui concerne le point de vue diachronique, le tableau n° 1 présente le changement de fréquence dans la presse, tandis que le tableau n° 2 présente la fréquence relevée via Google.

Tableau n° 1 : Fréquence de crop(-)top dans la presse en ligne

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

40

49

+ 9

Tchèque

29

29

0

Tableau n° 2 : Fréquence de crop(-)top sur Google

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

1 060 000

1 020 000

- 4 %

Tchèque

643 000

518 000

- 24 %

En observant les deux tableaux, nous remarquons qu’il y a une augmentation de fréquence dans la presse française, le tchèque reste inchangé. Pour ce qui est de la fréquence sur Google, il y a une baisse de fréquence dans les deux cas pour les deux langues, cependant, celle du tchèque est plus importante. Ce fait peut être expliqué par une simple suppression de pages parlant du crop(-)top. Il faut également souligner la faible fiabilité des moteurs de recherche et des résultats affichés dont la vérification est presque impossible pour un si grand nombre. Néanmoins, la presse française témoigne de la tendance croissante concernant l’utilisation du lexème en question.

3.2. Coatigan

Le vocable suivant que nous avons retenu est celui de coatigan : il s’agit d’un hybride, un mot-valise, de manteau (coat) et de cardigan (coatigan < coat + cardigan). Il est absent du Wiktionnaire et de Wikipédia. Soulignons que la forme contractée est absente dans la presse analysée et nous ne notons que la forme de coat cardigan, qui comporte 34 résultats dans les trois périodiques retenus. Néanmoins, sur Internet, nous trouvons une dizaine de milliers de résultats, dont un ci-dessous qui nous fournit une définition :

LE COATI... QUOI ?
Le coatigan est un petit animal hybride né d’un manteau (coat) et d’un cardigan. En somme, c’est un manteau tout doux qui tient chaud sans la lourdeur d’un manteau classique. Si vous ne voyez toujours pas, regardez la blogueuse Natalie Suarez qui porte ici un joli spécimen à carreaux. Ça y est vous avez tout compris ? Ah, la mode c’est tellement compliqué des fois !5

En ce qui concerne la présence du terme dans la langue tchèque, comme pour le français, il est absent des dictionnaires traditionnels ainsi que de ceux en ligne, et c’est le même constat pour les archives de presse. Sa fréquence sur Google est moins importante qu’en français. Néanmoins, nous trouvons des résultats pertinents correspondant à sa définition supra.

Bundička, krátký trenčkot, khaki parka nebo nějaký coatigan. V tom, co přehodit na jaro přes tričko nebo na zimu přes svetr, máte docela na výběr. Některé basic bitches jsou elegantnější a volí proto trenčkot (zásadně béžový !), ale víc tomuto stylu odpovídá džínová nebo koženková bundička, khaki parka s umělým ochlupením na kapuci nebo coatigan, což je takový ten volný svršek na půli cesty mezi kabátkem a kardiganem. Mívá "vodopádové" cípy a jeho barva je zpravidla šedá nebo šedočerná.6

En ce qui concerne les lexèmes concurrentiels, nous notons en français la troncation coati et un composé de manteau(-)cardigan dans lequel le terme anglais coat a été remplacé par « manteau ». En tchèque, nous découvrons de nouveau la graphie avec « k » remplaçant celle de « c » en combinaison avec kabát (manteau) : kabát(-)k/cardigan. Le pluriel est formé à l’aide d’un -s à la fin pour les deux langues et le tchèque dispose également d’une forme tchéquisée respectant la déclinaison masculine de « hrad ».

Quant au point de vue diachronique sur le lexème coatigan, et éventuellement de sa variante de coat(-)cardigan pour la presse, il est présenté dans les tableaux n° 3 et n° 4.

Tableau n° 3 : Fréquence de coat(-)cardigan dans la presse en ligne

Langue

28/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

33

34

+ 1

Tchèque

0

0

0

Tableau n° 4 : Fréquence de coatigan sur Google

Langue

28/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

11 800

14 600

+ 19 %

Tchèque

1 570

1 450

- 8 %

La presse tchèque choisie ne contient aucune indication pour les termes en question, donc le changement reste à zéro ; pour le français il y a une augmentation d’une unité. Nous remarquons une fréquence en hausse sur Google français, cependant, celle du tchèque est en baisse.

3.3. Wedges

Le lexème wedges sert à désigner des chaussures avec une semelle épaisse généralement fabriquée à base de gomme, de plastique ou de bois. Il faut rappeler que cette semelle est plus épaisse au dos qu’à l’avant, ce qui lui donne une forme particulière. Précisons que le terme anglais wedge correspond au français « cale » et au tchèque « :klínek ». Néanmoins, il faut souligner qu’à la différence de la langue tchèque où l’on emploie l’expression boty na klínku, l’équivalent français chaussures à cale n’est pas employé dans le milieu francophone. Il est surprenant que le lexème wedges soit absent du Wiktionnaire ainsi que de Wikipédia, les deux sources reflétant souvent les dernières tendances de la mode. Comme le montre l’exemple ci-dessous, la première apparition de wegdes dans la presse française est attestée dès le 21 septembre 2010 :

Un qui a bien grandi en revanche, c’est Charles Anastase qui, en restant fidèle à son univers, allège sa silhouette, plus féminine, plus fluide. Les filles à frange et coupe au carré (clones de la it girl Valentine Fillol-Cordier, creative consultant de la marque) enfilent des chemisiers en plumetis sous des vareuses à col Claudine, des pulls vert mint et des robes peau de pêche à manches tube, de longues tuniques en soie moka suspendues par des bretelles amande. Tandis qu’en bande-son Gainsbourg chante Haut, c’est haut (_New York USA_), elles s’effondrent chacune leur tour à cause de leur wedges Natacha Marro, instables mais ravissants au demeurant. Tandis qu’en bande-son Gainsbourg chante Haut, c’est haut (_New York USA_), elles s’effondrent chacune leur tour à cause de leur wedges Natacha Marro, instables mais ravissants au demeurant.7

La seule mention que l’on trouve sur Wikipédia est la définition du terme chaussure à semelle compensée ; toutefois il ne s’agit pas d’un équivalent précis car sa signification est beaucoup plus large que celle de wedges. En ce qui concerne la langue tchèque, le terme wedges est aussi absent du Wikslovník ainsi que de Wikipédia. Il nous semble important d’indiquer que ce terme ne figure pas dans la presse en ligne tchèque et en juin 2017, aucun exemple n’avait été trouvé dans les journaux dépouillés. Nous expliquons ce fait par l’usage répandu du terme boty na klínku, représentant un équivalent parfait pour le lexème wedges.

Tableau n° 5 : Fréquence de wedges dans la presse en ligne

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

15

17

+ 2

Tchèque

0

0

0

Tableau n° 6 : Fréquence de wedges sur Google

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

540 000

619 000

+ 19 %

Tchèque

65 600

101 000

+ 35 %

3.4. Loafers

Le lexème loafers est présent sur Wikipédia ainsi que sur le Wiktionnaire, pourtant il faut préciser que Wikipédia renvoie au terme mocassin en expliquant en bas de page que les loafers représentent une variante des mocassins. Néanmoins, il convient de souligner que les loafers se distinguent des mocassins par les traits suivants :

  1. les loafers sont dépourvus de lacet. Si le lacet est présent, il s’agit d’un élément purement décoratif ;

  2. les loafers sont toujours fabriqués en cuir. En revanche, les mocassins peuvent être fabriqués en d’autres matériaux ;

  3. les loafers peuvent avoir un petit talon. Les mocassins n’en ont jamais.

Pour ce qui est de la circulation dans la presse en ligne, le tableau ci-dessous montre que sa position en français est stable et qu’aucun changement dans la période concernée n’est attesté. Ce fait est également confirmé par le tableau n° 8 qui révèle que la fréquence de loafers sur Google n’augmente pas vraiment. Il nous semble que le terme connaît plus de succès en tchèque, car sa fréquence est en hausse constante dans la presse en ligne ainsi que sur Google. Ajoutons qu’il est possible de distinguer plusieurs types de loafers, p. ex. : Penny loafers, Gucci loafers ou Tassel Loafares. Généralement, c’est un élément décoratif concret permettant une distinction entre différents types de loafers.

Tableau n° 7 : Fréquence de loafers dans la presse en ligne

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

25

25

0

Tchèque

2

3

+ 1

Tableau n° 8 : Fréquence de loafers sur Google

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

544 000

584 000

+ 7 %

Tchèque

82 100

999 700

+ 18 %

3.5. Hobo bag

Le hobo bag représente le dernier lexème analysé dans notre corpus. Si on cherche la traduction de ce terme en français, on retrouve les termes « clochard » ou « vagabond ». Le hobo bag ressemble à un sac sur le bâton que les clochards portent sur leurs épaules. Le terme sert donc à désigner un grand sac à main en forme de croissant, généralement fabriqué en matériaux souples. Ainsi, il peut contenir des objets plus volumineux que le sac à main classique, ce dernier trait étant son principal atout. Le terme semble encore peu connu auprès du public français, car il n’est présent ni sur Wikipédia ni sur le Wiktionnaire. Soulignons aussi qu’aucune apparition de ce lexème n’est attestée dans la presse en ligne française. La situation se révèle être différente pour la langue tchèque où nous observons trois apparitions dans la presse en ligne, la première datée du 5 décembre 2013.

Pro plné kotníčkové boty, mokasíny nebo polobotky pak větší kabelu všech možných typů, jako je hobo bag, doktorská brašna, nebo také velké kabelky – tzv. tote nebo shopper bag.8

Néanmoins, nous supposons que le terme va circuler d’une manière plus importante dans les deux langues, comme l’indique le tableau n° 10, la fréquence du mot augmentant constamment sur le Google français ainsi que le Google tchèque.

Tableau n° 9 : Fréquence de hobo bag dans la presse en ligne

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

0

0

0

Tchèque

2

3

+ 1

Tableau n° 10 : Fréquence de hobo bag sur Google

Langue

27/01/2017

30/05/2017

Changement

Français

189 000

785 000

+ 76 %

Tchèque

131 000

430 000

+ 70 %

4. Recherche sur la plateforme Néoveille

Dans une dernière étape, et toujours dans une optique diachronique, nous avons soumis les lexèmes de notre corpus à une recherche sur la plateforme Néoveille, dont l’objectif est de « mettre en place une plateforme multilingue de veille et de suivi des néologismes à partir de corpus contemporains de très grande taille dans sept langues ». Néoveille nous a permis de mesurer la fréquence de tel ou tel lexème pour une période précise et de présenter des résultats dans une perspective diachronique schématisée.

Nous avons d’abord commencé par la recherche pour la langue française. Parmi les lexies, nous n’avons trouvé que 19 résultats pour loafers et 186 résultats pour crop-top/crop-tops, les deux données limitées à la presse féminine. La répartition et l’évolution temporelle sont résumées dans les graphiques n° 1 (loafers) et n° 2 (crop-top(s)).

Graphique n° 1 : Évolution temporelle de loafers (Néoveille)

Graphique n° 1 : Évolution temporelle de loafers (Néoveille)

Graphique n° 2 : Évolution temporelle de crop-top(s) (Néoveille)

Graphique n° 2 : Évolution temporelle de crop-top(s) (Néoveille)

En observant les deux graphiques, nous apercevons plusieurs points culminants témoignant de l’évolution des deux lexies. Premièrement, nous remarquons une hausse importante de loafers au début et au printemps de l’année 2017. Deuxièmement, le crop-top connaît plusieurs périodes d’augmentation pendant la période donnée par la plateforme Néoveille, notamment les printemps et les étés 2016/2017. Finalement, ces tendances confirment nos affirmations précédentes selon lesquelles l’emploi de tel ou tel phénomène est lié à son actualité par rapport à la saison à laquelle il est employé.

Malheureusement, nous n’avons pas pu effectuer la même étude pour la langue tchèque, car, à part un seul résultat pour crop-top, la plateforme n’a affiché aucune autre donnée.

Conclusion

Notre étude a mis en évidence que le domaine de la mode est particulièrement créatif, non seulement au niveau de son premier sens, mais également au niveau lexical, et qu’on y retrouve un grand nombre d’expressions néologiques. En raison de la mondialisation, les néologismes se propagent rapidement dans le monde entier et peuvent s’intégrer dans des langues différentes. À une époque où la civilisation anglo-américaine domine notre culture, il n’est guère surprenant de constater que tous les néologismes étudiés sont d’origine anglaise. En ce qui concerne leur circulation diachronique dans les deux langues en question, on peut constater qu’une certaine ressemblance se manifeste entre les deux corpus. Si la présence du terme augmente dans une langue, la situation se révèle souvent identique dans la deuxième. La seule exception représente le lexème coatigan qui semble avoir plus de succès en français où sa fréquence augmente dans la presse en ligne ainsi que sur Google. En revanche, la langue tchèque s’en sert rarement (aucune apparition dans la presse en ligne n’est attestée) et sa fréquence sur Google semble baisser. Si on compare la présence des lexèmes sur Wikipédia et le Wiktionnaire, on peut s’apercevoir que la version française est souvent plus actuelle que son correspondant tchèque. Il nous semble aussi important de souligner que la langue tchèque modifie souvent la forme graphique des néologismes anglais en essayant de les adapter au système graphique tchèque. Il s’agit notamment de la lettre c [k] qui trouve sa correspondance graphique dans la lettre k. Ainsi le lexème cardigan apparaît-il souvent sous la forme de kardigan. Ajoutons que l’adaptation des emprunts néologiques se déroule aussi au niveau morphologique, car certains termes de notre corpus changent aussi de genre en tchèque. À titre d’exemple, on peut mentionner les loafers, masculins en français, mais féminins en tchèque.

This work was supported by the European Regional Development Fund-Project „Creativity and Adaptability as Conditions of the Success of Europe in an Interrelated World“ (No. CZ.02.1.01/0.0/0.0/16_019/0000734)

1 Académie française [en ligne]. Disponible sur :http://www.academie-francaise.fr/pour-une-soiree-chez-les-fashionistas

2 Databáze heslářů est un ensemble de dictionnaires du type traditionnel ainsi que néologique (Slovník neologizmů 1, 2 ; Neomat), gérés par « l’

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Notes

1 Académie française [en ligne]. Disponible sur :
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2 Databáze heslářů est un ensemble de dictionnaires du type traditionnel ainsi que néologique (Slovník neologizmů 1, 2 ; Neomat), gérés par « l’Institut pour la langue tchèque » (Ústav pro jazyk český) et tous disponibles en ligne :
http://lexiko.ujc.cas.cz/heslare/

3 Madame Le Figaro [en ligne]. Disponible sur :
http://madame.lefigaro.fr/style/net-plus-ultra-de-lete-240613-391826

4 Blesk.cz [en ligne]. Disponible sur :
http://prozeny.blesk.cz/clanek/pro-zeny-trendy-moda/200919/vybraly-jsme-pro-vas-letni-topy-ktere-vam-nesmi-chybet.html?utm_source=prozeny.blesk.cz&utm_medium=copy

5 Asos.fr [en ligne]. Disponible sur :
http://www.asos.fr/femme/actu-mode/2013_november_5-tuesday/hit-refresh-coatigans

6 Modnipeklo.cz [en ligne]. Disponible sur :
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7 Madame Le Figaro [en ligne]. Disponible sur :
http://madame.lefigaro.fr/style/londres-so-lovely-210910-21746

8 Joyonline.cz [en ligne]. Disponible sur :
http://www.joyonline.cz/node/6144

Illustrations

Graphique n° 1 : Évolution temporelle de loafers (Néoveille)

Graphique n° 1 : Évolution temporelle de loafers (Néoveille)

Graphique n° 2 : Évolution temporelle de crop-top(s) (Néoveille)

Graphique n° 2 : Évolution temporelle de crop-top(s) (Néoveille)

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Référence électronique

Radka Mudrochová et Jan Lazar, « La circulation des emprunts néologiques dans le domaine de la mode en tchèque et en français dans une perspective diachronique », ELAD-SILDA [En ligne], 1 | 2018, mis en ligne le 01 mai 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/elad-silda/index.php?id=324

Auteurs

Radka Mudrochová

Université Charles de Prague, République tchèque : rfridrichova@seznam.cz

Autres ressources du même auteur

Jan Lazar

Université dʼOstrava, Université dʼOpole, République tchèque : jan.lazar@osu.cz

Droits d'auteur

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