Néologie et / ou évolution du lexique ?
Le cas des innovations sémantiques et celui des archaïsmes

DOI : 10.35562/elad-silda.231

Résumés

Une des voies du changement lexical est la néologie sémantique, branche de la néologie générale. Cette approche traditionnelle, reprise par le cognitivisme, est concurrencée par d’autres qui privilégient des évolutions insensibles du sens quand elles apparaissent. Ces deux modes de changements du sens coexistent probablement. Inversement le temps rend obsolètes des lexies, parfois jusqu’à leur disparition. Leur résurgence, comme paléologisme, a le même effet qu’un néologisme et s’oppose en cela à l’archaïsme, connu mais désuet.

One manifestation of lexical change is semantic neology, a branch of general neology. This traditional approach, taken up by cognitive linguistics, finds itself competing with other analyses which stress shifts in meaning that are imperceptible when they occur. These two modalities of change probably coexist. On the other hand, time renders some lexical items obsolete, sometime to the point that they disappear. When they resurface, as paleologisms, they have the same effect as neologisms, contrary to an archaism, which is recognized, but obsolete.

Index

Mots-clés

néologie sémantique, évolution de sens, diachronie, archaïsme, paléologisme

Keywords

semantic neology, shift in meaning, diachrony, archaism, paleologism

Plan

Texte

Introduction

Le cadre du colloque « La néologie lexicale à travers les âges » qui place la néologie dans une perspective historique invite à se pencher, entre autres, sur deux points dont le premier a déjà été largement débattu et le second beaucoup moins. Le premier a trait au traitement par la néologie sémantique ou par des évolutions de sens d’emplois de lexies qui paraissent nouveaux. Nous plaiderons pour la co-existence des deux procédés, en tentant de voir les propriétés de chacun des deux et dans quelles situations ils sont effectivement à l’œuvre. L’autre point concerne les rapports entre les néologismes et les archaïsmes et nous montrerons que le débat est biaisé du fait de la polysémie du mot archaïsme sous la bannière duquel on enrôle des réalités disparates, voire opposées.

1. Néologismes sémantiques ou évolutions insensibles du sens

Alors que Stephen Ullmann ([1952] 1969) recourt, dans le ch. XI « Comment les mots changent de sens » de son livre Précis de sémantique française, aux tropes pour expliquer les changements de sens (créateurs de néologismes sémantiques), comme le fait également la sémantique cognitive avec la place fondamentale accordée à la métaphore1, d’autres linguistes, anciens, comme Michel Bréal, Antoine Meillet ou contemporains comme Vincent Nyckees, François Rastier, Mathieu Valette… privilégient des évolutions de sens non figurées. Nous nous trouverions devant deux systèmes explicatifs concurrents et exclusifs l’un de l’autre. Mais c’est précisément cette alternative que nous récusons. Si nous pensons que les évolutions de sens jouent un rôle primordial, comme c’est largement reconnu dans des travaux contemporains divers qui s’appuient sur le concept de contexte de transition (voir, entre autres, Christiane Marchello-Nizia [2005]), ce n’est pas pour autant qu’il n’existerait pas de néologie sémantique.

1.1. Une opposition nette

Les évolutions de sens, déjà exposées par Bréal2, Meillet, et revenues sur le devant de la scène traitent des données bien connues dont nous rappellerons rapidement certaines avant de présenter des cas de néologie sémantique et de recenser les caractéristiques qui les opposent, assez systématiquement.

1.1.1. Rappel des mécanismes des évolutions de sens

La « discontinuité de la transmission du langage » (Meillet [(1905-1906) 2005 : 235‑236]) fait qu’un récepteur peut attribuer à un mot un sens différent de celui émis par le locuteur et le réemployer ensuite avec ce sens nouveau. Un exemple traditionnel est celui de saoul « rassasié de nourriture » qui devient « ivre », après des emplois où les personnes en question étaient aussi et surtout rassasiées de boissons alcoolisées3. En fait la charge sémantique construite par le récepteur interprétant, pour reprendre les analyses et termes de Blanche-Noëlle et Roland Grunig [1985], n’est jamais complètement identique à celle que le locuteur a émise. Plusieurs mécanismes contribuent à ce qu’ils ont nommé la « fuite du sens à droite ». On interprète en fonction de ses propres préoccupations du moment ou de son caractère, de l’idée, juste ou non, que l’on a du locuteur, de la manière dont on analyse le contexte, des connaissances que l’on a, etc. Ainsi, pour prendre à nouveau un exemple classique, arriver employé par ou pour un marin ou un pêcheur parvenu à destination après avoir touché la rive peut-il être compris et réemployé dans le sens général de « parvenir à destination » par un interprétant ignorant que ce verbe contient le mot rive et ne s’employait que pour l’arrivée sur la terre ferme. À propos de équiper, dont l’origine vient également de la marine (v. anglais ship et all. Schiff), Meillet [(1905-1906) 2015 : 260] écrit :

Dans ces cas et dans les innombrables cas de ce genre, il n’est pas légitime de parler de figures, de métaphores, car tant que les mots sont restés dans la langue particulière, il n’y a pas eu figure à proprement parler, mais emploi d’une manière de s’exprimer où l’idée étymologique n’arrivait pas à la pleine conscience : pour un marin qui aborde, l’idée de rive va de soi, l’essentiel est qu’il arrive au but ; et quand les mots passent de la langue spéciale à la langue commune, ils y passent non avec une valeur étymologique qu’ils ont perdue, mais avec la valeur secondaire qu’ils ont acquise : l’idée d’arriver au rivage qui, pour un marin, subsiste obscurément dans arriver est alors éliminée sans même qu’on y prenne garde, car elle n’était plus aperçue.

Nyckees [1998 : 141], s’inscrivant dans cette tradition, écrit :

Nous poserons comme hypothèse que la plupart des évolutions sémantiques sinon toutes se produisent sans que les promoteurs du changement de sens aient le sentiment d’un usage déviant et nous rapporterons cette « inconscience » à un écart structurel, – non pas constant, mais toujours possible –, entre ce que l’on peut appeler la « signification du locuteur » et la « signification du récepteur », c’est-à-dire entre ce que le locuteur entendait transmettre expressément par les mots qu’il a employés et l’image que le récepteur lui-même se fait de cette intention sur la base des mots entendus.

Ces distorsions entre sens émis et sens construit expliquent des incompréhensions et divers échecs de la communication, que l’on constate et auxquels les linguistes ne se sont sans doute pas intéressés autant qu’ils l’auraient dû. Mais, le plus souvent, ces distorsions sont minimes et les charges sémantiques intégrées par chacun des membres de la communauté linguistique s’harmonisent dans les nécessités de l’interaction, avec aussi d’éventuelles rectifications de charges sémantiques intégrées, au cours du temps, pour se conformer aux nouvelles occurrences dans lesquelles on a été en contact avec les signifiants, si celles qui avaient été construites avant se révélaient inadéquates, du moins en partie. Par ailleurs les différences ne sont pas telles qu’il n’y ait pas le plus souvent un socle commun qui permette l’intercompréhension et l’interaction (Sablayrolles [2000b]).

Néanmoins, il arrive que les écarts entre le sens émis et le sens construit se reproduisent à l’identique dans des situations analogues et finissent par faire en sorte que le sens construit remplace le sens initial. L’innovation passe ainsi, à la faveur de ce qu’on appelle un contexte de transition, entre deux membres de l’échange langagier et ni l’un ni l’autre ne sont conscients du changement qui s’opère, au moment où il s’opère. Marchello-Nizia [2005 : 35‑36] présente les trois étapes généralement reconnues dans la chronologie interne du changement, et ce qui vaut pour la morphologie vaut aussi pour les évolutions sémantiques :

  • étape 1 : seul l’ancien morphème existe (ex : moult) « ancienne grammaire » ;

  • étape 2 : la forme ancienne et la forme nouvelle coexistent : phase de variation (ex. : XVe siècle moult et beaucoup) ;

  • étape 3 : la forme nouvelle subsiste seule (« nouvelle grammaire ») (ex. : beaucoup).

Repensant le stade que H. Andersen (1989, 1999) a nommé « actualisation », B. Heine (2002) a proposé un scénario en quatre étapes, fondé sur la syntaxe et la sémantique plus que sur la morphologie, contrairement au modèle précédent :

  • le stade I, stade initial où dans tous ses emplois le mot a son sens originel ;

  • le stade II, « contexte de transition » ; à cette époque apparaît un contexte permettant la construction d’une inférence qui conduit à une nouvelle signification, cette nouvelle signification apparaissant au premier plan ;

  • le stade III est l’étape du « contexte nouveau » : apparaît un type de contexte incompatible avec la signification originelle du terme, c’est-à-dire impossible au stade I ; dès lors le stade initial est relégué à l’arrière plan ;

  • le stade IV enfin est celui de la « conventionnalisation » des nouveaux contextes qui marque la primauté du sens nouveau qui seul subsiste ; à partir de cette étape, ce nouveau sens permet au mot d’apparaître dans des contextes tout à fait nouveaux et pas seulement dans des contextes ambigus qui avaient permis son apparition. (B. Heine, « On the role of context in grammaticalization », in I. Wischer and G. Diewald 2002 New Reflexions on Grammaticalization, Amsterdam and Philadelphia Benjamins (TSL 49) : 86‑92).

Ce n’est que rétrospectivement que l’on constate que le sens a changé. À côté d’extensions de sens comme arriver, ou de modifications comme saoul (de la nourriture à l’alcool et de la satiété à l’ivresse), il y a aussi des restrictions de sens, qui opèrent au sein de groupes particuliers. Il n’est pas étonnant que dans le monde rural traire « tirer » se soit restreint à « tirer le lait » de mammifères ou que pondre « poser » se soit restreint aux volatiles qui « posent leurs œufs », etc. En donnant comme exemples les multiples acceptions du mot opération selon les activités pratiquées par ceux qui emploient ce mot, Meillet [(1905-1906) 2015 : 245] écrit :

Le fait fondamental est donc qu’un mot qui, dans la langue commune d’une société, a un sens étendu s’applique, dans un des groupes restreints qui existent à l’intérieur de cette société, à des objets plus étroitement déterminés, et inversement ; M. Meringer dit très bien, dans Indogermanische Forschungen, XVIII, 232 : « un mot élargit sa signification quand il passe d’un cercle étroit à un cercle plus étendu ; il la rétrécit quand il passe d’un cercle étendu à un cercle plus étroit.

Notons encore d’autres phénomènes de changements de sens qui ne nous retiendront pas ici car ils n’entrent pas en concurrence avec l’explication par la néologie sémantique. Il s’agit des phénomènes de grammaticalisation comme le substantif pas qui devient adverbe négatif, d’abord dans la locution nepas, puis souvent seul. Il y a aussi l’évolution des référents alors que les dénominations restent intactes pour des objets nouveaux qui remplissent la même fonction que ceux auxquels ils se substituent. Un camion du XVIIe siècle n’a rien à voir avec les poids lourds modernes, mais il s’agit toujours de moyens de transport munis de roues destinés à déplacer des charges lourdes.

Les emprunts entre groupes sociaux expliquent l’expansion de nouveaux sens dans d’autres groupes que ceux où ils sont apparus comme traire originellement « tirer » spécialisé dans la traite du lait de mammifères dans les milieux ruraux, sens qui a été emprunté par toute la population et a fait disparaître le sens premier. À ce sujet Meillet [(1905-1906) 2015 : 253‑254] écrit :

Un mot peut porter toutes les marques phonétiques et morphologiques auxquelles on reconnaît un mot non emprunté ; il peut même avoir subsisté sans interruption dans la langue, et être néanmoins au fond un mot emprunté, si, pendant un temps plus ou moins long, il n’a plus fait partie de la langue commune et s’il a été employé seulement dans des groupes sociaux particuliers. Sans parler des autres causes qui ont pu intervenir, c’est sans doute pour n’avoir subsisté que dans le langage rural que des mots latins comme ponere « placer », cubare « être couché », trahere « tirer », mutare « changer » ont pris des sens tout particuliers et techniques et ont fourni au français actuel pondre, couver, traire, muer. […]
À prendre le terme dans un sens strict et rigoureux conforme à l’esprit même de la définition, les mots français pondre, etc., sont encore des mots empruntés, bien qu’ils n’aient peut-être jamais cessé d’exister à Paris et qu’ils aient tous les caractères phonétiques et morphologiques de mots français.

Quant au mot opération, de sens vague étymologiquement, il se spécialise, comme on vient de le signaler ci-dessus, selon les métiers / occupations de ceux qui emploient ce mot (militaire, chirurgien, instituteur ou comptable, boursier, et même œnologue), et ces sens sont ensuite disponibles pour tous les membres de la communauté linguistique dans toutes ces acceptions, sauf le dernier, vin d’opération, qui semble avoir disparu.

Les points communs de toutes ces évolutions résident dans le fait qu’elles se réalisent au fil du temps qui passe, à l’insu des membres de la communauté linguistique qui les emploient. Ce n’est que rétrospectivement qu’un changement de sens est constaté. L’explication par des emplois figurés ne semble dès lors pas adéquate, puisque ceux-ci impliqueraient un mécanisme de changement de sens ponctuel, volontaire et créateur d’effets stylistiques, propriétés qui sont caractéristiques de la néologie sémantique.

1.1.2. Les caractéristiques de la néologie sémantique

Le néologisme sémantique est en effet l’emploi volontaire d’un mot dans un sens différent de son sens conventionnel, avec une figure (métaphore, métonymie, euphémisme, paradoxe, etc.) et une intention énonciative : attirer l’attention, amuser, séduire… Il y a des néologismes sémantiques dans « une voiture incontinente » (« qui a des fuites d’huile »), par personnification de l’automobile ; dans « un candidat formaté pour un poste » (par réification, comme s’il était une disquette), dans une escorteuse (« call girl ») par une sorte d’euphémisme car il ne s’agit pas d’une dame de compagnie, mais d’un type de prostituée4

Ces emplois innovants ne passent pas par une distorsion entre le sens émis par le locuteur et le sens construit par le récepteur. La « discontinuité de la transmission du langage » ne joue aucun rôle, bien au contraire. Pour que le néologisme sémantique fonctionne bien dans l’échange langagier, il faut que le changement de sens donné volontairement à une lexie par le locuteur soit perçu comme tel par le récepteur. Il est conduit à s’en rendre compte du fait de l’inadéquation du sens traditionnel, tel qu’il est plus ou moins identiquement intégré par les membres de la communauté linguistique. Elle est généralement perceptible, comme dans les cas cités plus haut, et oblige le récepteur à construire le sens convenable en contexte, en identifiant le procédé de déformation du sens employé par le locuteur. On reconnaît à l’œuvre dans ces déformations et inadéquations de sens propre, les différents tropes de la rhétorique classique.

1.1.3. Des oppositions systématiques

Les deux mécanismes explicatifs concurrents que sont les évolutions de sens et la néologie sémantique s’opposent généralement par un certain nombre de traits concomitants.

Il y a d’abord un problème de fréquence : les évolutions de sens ont été (et sont) nombreuses au cours du temps alors que les néologismes sémantiques le sont probablement beaucoup moins.

Alors que les premières échappent à la conscience des membres de l’échange langagier où le phénomène se produit, et qu’elles ne sont identifiées qu’a posteriori par des tiers, les seconds sont volontaires, perçus comme tels et cela au moment même de leur emploi. À ce propos, ce que Bréal [(1897) 2005 : 101] écrivait de la métaphore vaut aussi pour toutes les autres figures :

À la différence des causes précédentes [responsables des extensions et restrictions de sens], qui sont des causes lentes et insensibles, la métaphore change le sens des mots, crée des expressions nouvelles de façon subite.

Alors que les réemplois des premières contribuent à leur diffusion et à leur installation en langue (avec élimination ou non de leur sens originel5), les seconds demeurent souvent des hapax, liés aux situations d’énonciation précises qui les ont fait naître et leurs éventuelles nouvelles occurrences sont le plus souvent des citations. Sans être impossible, leur intégration durable dans le lexique de la langue reste l’exception. Et, dans ce cas, la valeur stylistique qui était la leur lors de leur émergence risque petit à petit de s’émousser. C’est à ce type de cas, du moins à certains d’entre eux, qu’était appliqué le terme de catachrèse. La réflexion de Bréal [(1897) 2005 : 101] à propos de la durée des métaphores peut être étendue à tous les emplois tropiques :

Mais la métaphore ne reste telle qu’à ses débuts : bientôt l’esprit s’habitue à l’image ; son succès même la fait pâlir, elle devient une représentation de l’idée à peine plus colorée que le mot propre.

Sans compter que certains de ces emplois analysés comme métaphores usées n’ont peut-être pas été créés par métaphore. François Gaudin [2000 : 312], s’inscrivant dans la lignée des travaux de Vincent Nyckees [1997, 1998], conclut ainsi, avec beaucoup de pertinence :

Sans doute que mieux on connaîtra l’histoire des significations, plus l’analyse en termes de tropes verra son domaine de pertinence limitée.

1.2. Une frontière pas si tranchée que ça et des cas délicats

Les grands corpus désormais disponibles permettent d’étudier plus précisément les emplois d’une lexie et ses infléchissements (voir Cahiers de lexicologie 1006). Mais on se heurte parfois à des cas difficiles d’interprétation à propos du caractère volontaire ou non de telle ou telle innovation. Si l’emploi de l’adjectif toxique pour les emprunts financiers (Reutenauer) résulte probablement d’un simple élargissement de sens (c’est nocif) plutôt que d’une métaphore (« aperception instantanée d’une ressemblance entre deux objets » pour Bréal [(1897) 2005 : 98]) de champignons ou de tout autre substance nocive, l’origine figurée semble préférable pour caviar « excellente passe » au football, dans la mesure où il y a un saut inattendu entre deux domaines. Il y a en effet continuité dans les extensions ou restrictions de sens mais rupture dans les tropes. Mais, dans la pratique, le départ entre les deux n’est pas toujours évident7. Comment analyser les inflexions de sens d’un mot en contexte alors que :

  • leur emploi fait rarement surgir l’image concrète de ce qui est évoqué (comme le note Meillet8) ;

  • demeure un flou certain des définitions intégrées par chacun (qui serait capable de définir très précisément et exactement tous les mots qu’il emploie spontanément ?) ;

  • celles-ci sont différentes, comme l’ont établi les trois types de tests opérés, à propos du mot abeille par Robert Martin [1990 : 91‑95] dans l’élaboration de la « définition naturelle », dans une perspective stéréotypique ;

  • qu’il est impossible que le même mot soit employé exactement de manière identique, même par le même locuteur au fil du temps, comme le faisait remarquer Destutt de Tracy9 ;

  • et qu’on manque de la pierre de touche que serait une définition, exacte, précise et identique de chaque mot pour mesurer les écarts. Il faudrait que les dictionnaires explicatifs et combinatoires théorisés par Mel’çuk dans la théorie Sens-Texte soient achevés, ce qui est loin d’être le cas. Et les conceptions qu’on se fait de la langue et de son fonctionnement jouent également un rôle.

1.3. Des solutions variables en fonction des cadres théoriques

En tout état de cause, l’explication de ces phénomènes de changements de sens – pour employer un terme qui ne préjuge pas de la manière dont ils se passent – dépend du cadre théorique adopté, de la conception de l’unité lexicale qu’est la lexie, de la polysémie, de l’homonymie, etc. Que ce soit dans les approches de type structuraliste (avec les concepts de perte ou d’ajout de sème(s) pour Robert Martin [(1983) 1992 : 76sq] ou aussi de métasémie développé par Rastier et Valette [2009]), de type guillaumien (avec le signifié de puissance de Picoche [1986] ou le schéma conceptuel intégré de Marie-Luce Honeste [2005]), ou encore de type médiationniste de Nyckees [2007], c’est la voie des évolutions de sens qui est privilégiée par rapport à la néologie sémantique qui était l’approche classique. Cette dernière conception est également celle de la sémantique cognitive, comme le montre le rôle fondamental accordé à la métaphore par Lakoff et Johnson [1980]. Mais il faut prendre garde au sens large accordé au mot métaphore, qui englobe alors des cas d’« analogie vague », pour reprendre un terme de Meillet [(1905-1906) 2015 : 246] :

Beaucoup de ces désignations sont obtenues en attribuant à des objets le nom d’autres objets avec lesquels ceux-ci ont une ressemblance plus ou moins lointaine […] On n’entend marquer par là que des analogies vagues.

Il en va de même pour l’analyse par « similarité métaphorique » et par « contiguïté » (métonymie) d’Esme Winter-Froemel [2009] dans des cas où le changement de sens (dans le cas d’emprunts) est dû à la distorsion entre sens émis et sens construit. C’est ce qu’elle fait avec les exemples analysés à la fin de son article [2009 : 111‑115] et dans sa présentation des perspectives cognitives de la sémantique de l’emprunt [2009 : 102‑104], qui commence ainsi :

Dans les recherches actuelles en sémantique cognitive, les relations sémantiques et les associations cognitives qui sont à la base des innovations lexicales ont reçu un intérêt particulier. Ainsi, les résultats qui ont été obtenus peuvent facilement s’intégrer dans une approche de l’emprunt linguistique qui place celui-ci dans le contexte plus général du changement linguistique.

Elle écrit aussi [2009 : 102‑103] :

Enfin, outre les associations par similarité métaphorique et par contiguïté, d’autres relations (le contraste et les relations taxinomiques essentiellement, Blank 1997) peuvent être exploitées dans les innovations lexicales.

et, à propos des emprunts et contacts de langue :

De façon générale, les recherches actuelles peuvent ainsi contribuer à mieux comprendre le fonctionnement cognitif des processus qui sont impliqués dans les différents types d’innovations induites par le contact linguistique. [Winter-Froemel 2009 : 104]

et

Cet ensemble de relations est universel dans la mesure où il est valable pour toutes les langues et toutes les innovations lexicales. [Winter-Froemel 2009 : 111]

On utilise alors les termes de la rhétorique classique alors qu’il n’y a pas à proprement parler emploi d’une figure, reconnue tant par l’émetteur que par le récepteur et créatrice d’effets. Il en va un peu de même en lexicologie explicative et combinatoire à la différence près que le point de vue est purement synchronique, fondé sur les intuitions de locuteurs indépendamment de l’étymologie et de notre éventuelle connaissance de l’histoire des mots. Elle ne traite ni des évolutions de sens ni des néologismes sémantiques, mais ses promoteurs classent avec un soin scrupuleux les liens entre différentes acceptions d’un même signifiant, à condition que soit identifiable un « pont sémantique » (une composante commune caractéristique dans la définition des lexies en question). Le concept de vocable permet de concilier la monosémie des lexies avec l’existence de la polysémie et de l’homonymie. Une hiérarchie est même instituée entre les diverses lexies d’un même vocable : pour les emplois dits « figurés », ce qui relève de rapports de contiguïté (du type métonymique) est moins éloigné que ce qui relève de ressemblances (du type de la métaphore). Mais là encore les termes métaphore et métonymie sont employés dans un sens large, et ne correspondent pas à des figures proprement dites.

Bref, l’unanimité ne règne pas au sein des linguistes, tant pour la description des rapports entre les différentes acceptions d’une même unité, que dans l’identification de l’origine de celles-ci. Néanmoins, même s’il se présente des cas délicats à trancher, il paraît souhaitable d’opposer des évolutions du sens, insensibles opérant dans la durée à de véritables néologismes sémantiques, ponctuels, volontaires et créateurs d’effet. Si les premières modifient le lexique de la langue, les seconds, restant le plus souvent des hapax, ont probablement un impact faible sur la langue, mais ils jouent un rôle important dans le discours. Un autre problème lexical lié à la néologie et à l’écoulement du temps est celui du rapport ente le néologisme et l’archaïsme.

2. Néologismes et archaïsmes : une opposition biaisée

La métaphore biologique des mots qui naissent, vivent et meurent – largement diffusée par Arsène Darmesteter [1887] – oppose, aux deux extrémités de la vie des mots (titre d’un de ses livres, souvent réédité, jusqu’au milieu du XXe siècle), leur naissance (la néologie) et leur vieillesse et mort (l’archaïsme). Outre que cette métaphore (comme celle de langue mère et de langues filles relevant également des sciences de la nature) est trompeuse et abusive comme le dénonçait déjà à l’époque Michel Bréal10 [1887], le problème de l’archaïsme n’est pas posé clairement. C’est un mot souvent employé, sans être clairement défini et sous lequel sont classées des réalités hétérogènes.

2.1. L’archaïsme antonyme du néologisme ?

On fait très souvent d’archaïsme un antonyme de néologisme, avec une conception large de l’antonymie. En quoi le vieillissement serait-il le contraire de la jeunesse ? De la même manière qu’on pourrait se demander en quoi l’aube serait l’antonyme du crépuscule. Il s’agit de successions temporelles plus que de contraires, à proprement parler (voir Duchacek [1965]).

Il est à noter aussi que, dans des dictionnaires ou des ouvrages lexicologiques, l’archaïsme est plus souvent défini comme antonyme du néologisme que l’inverse, néologisme antonyme d’archaïsme, pour lequel l’information n’apparaît quasiment jamais. Cette absence de parallélisme vient sans doute du fait que le concept d’« archaïsme » est difficile à définir, et qu’on prend appui sur le concept qui lui serait opposé, et qui est plus facilement définissable, quoi qu’on en dise (tout emploi innovant au niveau d’une unité lexicale). Mais, d’une manière quelque peu contradictoire, cet antonyme du néologisme que serait l’archaïsme est présenté, dans ces mêmes sources, comme fournissant les meilleurs néologismes.

2.2. L’archaïsme : le meilleur des néologismes ?

On trouve en effet ce paradoxe dans plusieurs pages de l’Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Le néologisme et l’archaïsme sont donnés comme produisant le même effet de nouveauté qu’un mot étranger, puisque tous partagent ce point commun d’« être inconnu[s] du lecteur » (tome XIII, 1re partie, p. 21). La même idée est exprimée encore plus directement p. 339 :

Pour des raisons historiques, nous distinguons artificiellement néologismes et archaïsmes. Au point de vue stylistique, l’effet produit sur le lecteur, averti ou non, est exactement le même.

Mais le discours est un peu contradictoire quand il est affirmé que

le vieux mot a une couleur et un prestige que le mot nouveau ne possède point.

On passe en effet, d’une manière non explicitée, à une autre acception ou conception de l’archaïsme, celle du mot vieilli, qui ne peut pas avoir le même effet que le mot nouveau. La distinction de ces deux acceptions est esquissée, mais n’est pas plus explicitée, dans la constatation que

Chateaubriand choisit ses archaïsmes non parmi les vocables morts, mais dans les mots vieillissants

et

Pour l’artiste et même pour le linguiste, l’archaïsme est d’ailleurs le meilleur des néologismes : le fait même qu’un mot a vécu prouve qu’il est viable et le vieux mot a une couleur et un prestige que le mot nouveau ne possède point. » (HLF tome XII, livre V, ch. 1 : 303).

Les dictionnaires des éditions Larousse de la fin du XIXe et du début du XXe siècle offrent des remarques du même type, dans leurs articles néologisme, assimilant néologisme et archaïsme. On peut ainsi lire dans le Nouveau Larousse Illustré que

Ces deux mots (bienfaisance et patriote) avaient, il est vrai, existé dans l’ancienne langue, mais leur résurrection constituait un véritable néologisme.

ou, dans le Grand Dictionnaire Universel :

Disons en passant que la plupart de ces néologismes sont, à proprement parler, des archaïsmes ; de vieux mots, excellents, qui donnent à la phrase de Montaigne ou de Rabelais leur saveur particulière, avaient été maladroitement expurgés des dictionnaires au XVIIe siècle ; le XIXe les y a fait rentrer et il a bien fait. Le vieux français est une mine inépuisable de ces mots, qui n’ont de nouveau que l’apparence. Mais telle est l’habitude des grammairiens de taxer de néologisme tout mot ignoré d’eux qu’il n’est pas de traité spécial où l’on ne rencontre cette affirmation : « démagogue a été créé par Bossuet ; vagissement, par Voltaire ; endolori, par J.-J. Rousseau, etc. » Or, il suffit d’ouvrir le dictionnaire de M. Littré pour voir que démagogue était employé au XIVe siècle, vagissement au XVe, et endolori au XVIe. Il en est le plus souvent de même des mots reprochés comme néologismes à Victor Hugo et à Théophile Gautier, les deux écrivains qui en ont le plus mis en circulation, Théophile Gautier surtout : leurs néologismes se trouvent le plus souvent dans Ronsard, dans Montaigne et dans Rabelais. Victor Hugo en a de plus emprunté quelques-uns à l’espagnol, Gautier à toutes les langues et spécialement aux vocabulaires spéciaux des métiers, du blason, de la vénerie, à l’argot des ateliers.

2.3. Une solution : opposition entre archaïsme et paléologisme

Le paradoxe des deux positions exposées ci-dessus n’est qu’apparent. Il repose sur l’absence de définition d’archaïsme et l’intégration sous cette étiquette de deux réalités entièrement différentes. Faute de deux dénominations distinctes pour faire la part des choses, cette confusion perdure, comme cela avait été montré au colloque « Stylistique de l’archaïsme » à Cerisy en septembre 2007. Juste avant la fin du colloque et notre propre intervention, Georges Molinié avait déclaré qu’il n’avait pas été convaincu, par les communications qui avaient eu lieu jusqu’alors, de la pertinence du concept d’archaïsme en stylistique. Ce qui n’est sans doute pas exact. Un archaïsme est une lexie que les locuteurs (du moins une frange non négligeable d’entre eux) connaissent dans leur compétence passive et n’emploient plus parce qu’elles sont senties vieillies, obsolètes, datant d’une ou plusieurs générations antérieures. On s’est gaussé en novembre 2016 de formulations d’Alain Juppé qui avaient cours quand il était jeune mais qui sont passées de mode et qui paraissent vieillies même pour des gens de sa génération ou à peine plus jeunes et qui sont quasiment ignorées des jeunes générations. Ce fut le cas de mettre toute la gomme ou avoir la (super) pêche. Quand des locuteurs jeunes emploient des formules de ce type, c’est avec une volonté marquée de recourir à une expression datée, qui sera reçue comme telle par leurs interlocuteurs du moins ceux d’une même génération et partageant une même culture. C’est actuellement le cas de l’emploi du mot poitrinaire face à tuberculeux. Mais beaucoup de jeunes ignorent le premier de ces deux mots et, quand ils disent le connaître, c’est parfois une erreur, puisqu’ils pensent que poitrinaire signifie « à la poitrine opulente » ! Yann Barthès s’amuse à faire rire de mots ou expressions datés regrette un lecteur de Télérama (20 mai 2017) citant comme exemples : poudre de perlimpinpin ou saut de cabri (et la rédaction a titré la lettre : « le français, c’est bath » en recourant à une expression datée).

Un vrai problème qui se pose à la réception de lexies senties archaïques, quand on lit ou écoute des énoncés plus ou moins anciens, est d’attribuer une valeur obsolète à ces lexies qui le sont devenues mais qui ne l’étaient pas encore au moment de leur emploi. On commet alors un anachronisme. Il en va de même de la néologie, où des lexies nouvelles ou récentes à l’époque ne sont plus perçues comme telles par des récepteurs qui lisent ces textes bien après. Et, si les lexies ont disparu, on pourrait croire, faussement, que ce sont les auteurs qui les ont créées.

C’est précisément ce qui se passe avec des lexies qui ont existé dans la langue, qui ont disparu de l’usage et qui sont réintroduites, volontairement (comme le fait Richard Jorif en puisant dans le Littré des mots qui ont disparu de l’usage courant à l’époque où il écrit, à la fin du XXe siècle), ou involontairement, par création plutôt que par réemploi (l’adjectif décisionnaire utilisé au XVIIIe siècle n’est sans doute pas l’ancêtre direct du nom décisionnaire qui s’est développé dans la deuxième moitié du XXe siècle). Comme ces lexies sont inconnues et que les récepteurs n’ont pas de charges sémantiques préalablement construites disponibles dans leur mémoire, ces lexies font le même effet que des néologismes. Ce sont des lexies de ce type que nous avons proposé de nommer des paléologismes. L’adverbe sonica (« justement », « précisément »), le nom élixation (« action de faire bouillir une substance dans de l’eau et qui a pour but d’obtenir deux produits, l’un solide cuit et l’autre liquide. Le pot au feu des ménages est une élixation » Littré), l’expression la pelle se moque du fourgon (« l’hôpital se moque de la charité »), tous absents des dictionnaires monovolumaires contemporains courants, ont cet effet de nouveauté sur les lecteurs contemporains, du moins la grande majorité d’entre eux, qui les découvrent dans l’œuvre et dont ils ne se rendent compte qu’ils sont puisés dans le Littré que s’ils ont la curiosité d’effectuer la vérification dans ce dictionnaire.

Conclusion

La néologie s’inscrit nécessairement dans le temps qui passe, dans un temps court, celui du moment énonciatif pour un hapax conversationnel par exemple, ou dans celui d’une durée variable, de quelques mois ou quelques années, en fonction de l’ampleur et de la rapidité de la diffusion dans le corps social. La néologicité est ainsi d’ordinaire fugace : disparition rapide et quasiment immédiate du néologisme ou intégration plus ou moins rapide dans le lexique, la consécration étant l’entrée dans un ou des dictionnaires. Mais les néologismes littéraires, du moins certains d’entre eux, comme ceux de Rabelais par exemple, peuvent rester néologiques pendant des siècles.

Mais que l’on s’intéresse à l’évolution du lexique ou à la créativité lexicale des locuteurs, les innovations sémantiques posent des problèmes délicats : s’agit-il de légers infléchissements de sens de lexies dont les contours sont toujours plus ou moins flous (on n’a pas en tête des définitions comme celles des articles de dictionnaires), ou d’emplois nettement et volontairement transgressifs. S’il y a des cas clairs à chacun des pôles, subsistent des cas plus indécis, et des indices textuels peuvent aider à prendre des décisions à ce sujet.

Par ailleurs, il semble que la terminologie linguistique soit parfois insuffisante, parfois peu rigoureuse comme le montre l’emploi de « métaphore » ou de « métonymie » dans des cas où il n’y a pas d’emplois de figures créatrices d’effets. Des analogies vagues et différents rapports de contiguïté ne constituent pas nécessairement, à notre sens, des métaphores ou des métonymies. La polysémie du mot « archaïsme » est une autre manifestation d’une déficience terminologique dans le domaine des sciences du langage.

1 Comme en témoigne le livre à succès de Lakoff et Johnson [1980], Metaphors We Live By. À ce propos Nyckees [2007 : note 26] écrit : « […] Johnson

2 Dans Essai de sémantique [(1re éd. 1887, 2de éd. 1897) 2005], qui était alors l’étude non pas du sens des mots, mais celle de leurs changements.

3 Peut-être même que saoul était employé par plaisanterie, plus que par euphémisme, comme les emplois en français contemporain familier de plein comme

4 Cette lexie est également un néologisme formel, fabriqué par suffixation sur le radical verbal escorter, et sans lien avec escorteur, qui est un

5 Traire a perdu le sens de « tirer » qui est maintenu dans des mots de la même famille : trait, traction, attractif… de même que saoul a perdu le

6 Dont la partie thématique est constituée des actes du colloque de Tübingen, organisé en avril 2010 par Johannes Kabatek et Christophe Gérard.

7 Reutenauer note la présence de marques typographiques (des guillemets essentiellement) et de séquences introductives du type « qualifié », « 

8 « En ce qui concerne spécialement le changement de sens, une circonstance importante est que le mot, soit prononcé, soit entendu, n’éveille presque

9 « Il est impossible que le même signe ait exactement la même valeur pour tous ceux qui l’emploient, et même pour chacun d’eux, dans les différents

10 Dans ses réflexions inspirées par la lecture du livre de Darmesteter, La vie des mots, Bréal [1887 : 191‑192] écrit : « […] de dire que les mots

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Notes

1 Comme en témoigne le livre à succès de Lakoff et Johnson [1980], Metaphors We Live By. À ce propos Nyckees [2007 : note 26] écrit : « […] Johnson avait conscience d’étendre le sens du mot métaphore au-delà de sa valeur habituelle. Cet abus de langage délibéré nous semble révélateur d’une tendance générale de la linguistique cognitive à minimiser le rôle du langage dans les opérations de pensée. » Remarquons aussi que les lexicographes recourent volontiers à la marque « fig » pour rattacher un sens second à un sens premier.

2 Dans Essai de sémantique [(1re éd. 1887, 2de éd. 1897) 2005], qui était alors l’étude non pas du sens des mots, mais celle de leurs changements.

3 Peut-être même que saoul était employé par plaisanterie, plus que par euphémisme, comme les emplois en français contemporain familier de plein comme une barrique / un œuf / une vache ou bourré au sens de « ivre ».

4 Cette lexie est également un néologisme formel, fabriqué par suffixation sur le radical verbal escorter, et sans lien avec escorteur, qui est un type de bateau. L’anglais escort (-girl) a sans doute exercé une influence dans cette création. Pour la coexistence de trois aspects des évolutions lexicales, voir Gévaudan et Koch [2010].

5 Traire a perdu le sens de « tirer » qui est maintenu dans des mots de la même famille : trait, traction, attractif… de même que saoul a perdu le sens de satiété en dehors de l’alcool, mais ce sens s’est maintenu dans les expressions tout son saoul et être saoul de quelque chose. En revanche, à côté de ses diverses acceptions précises, opération garde son sens général comme dans opération chimique, opération de la raison, ou encore par l’opération du Saint-Esprit.

6 Dont la partie thématique est constituée des actes du colloque de Tübingen, organisé en avril 2010 par Johannes Kabatek et Christophe Gérard.

7 Reutenauer note la présence de marques typographiques (des guillemets essentiellement) et de séquences introductives du type « qualifié », « rebaptisé », etc. qui montrent la conscience du locuteur d’un emploi déviant, ce qui peut être utilisé comme argument pour un traitement par la néologie plutôt que par l’extension de sens. Notre intuition serait alors prise en défaut pour toxique qui est souvent accompagné de telles marques et séquences dans son nouvel emploi financier.

8 « En ce qui concerne spécialement le changement de sens, une circonstance importante est que le mot, soit prononcé, soit entendu, n’éveille presque jamais l’image de l’objet ou de l’acte dont il est le signe » (Meillet [(1905-1906) 2015 : 236]).

9 « Il est impossible que le même signe ait exactement la même valeur pour tous ceux qui l’emploient, et même pour chacun d’eux, dans les différents moments où il l’emploie » (dans Éléments d’idéologie t. 2, p. 379, cité par Évelyne Manna [2003 : 305]).

10 Dans ses réflexions inspirées par la lecture du livre de Darmesteter, La vie des mots, Bréal [1887 : 191‑192] écrit : « […] de dire que les mots naissent, vivent entre eux et meurent, cela est, n’est-il point vrai ? pure métaphore ? Parler de la vie du langage, appeler les langues des organismes vivants, c’est user de figures qui peuvent servir à nous faire mieux comprendre, mais qui, si nous les prenions à la lettre, nous transporteraient en plein rêve. M. Darmesteter ne s’est peut-être pas toujours assez défié de cette sorte de mise en scène » car « hors de notre esprit, le langage n’a ni vie ni réalité ». Quant à Meillet, il récusait aussi la conception biologique et insistait sur l’aspect social du langage. En 1905-1906, il écrivait : « l’on a présenté les changements de sens comme s’ils étaient l’effet des diverses sortes de métaphores. Le petit livre d’Arsène Darmesteter sur la vie des mots est encore tout dominé par ces conceptions a priori. Mais Michel Bréal, dans un compte rendu, a fait dès l’abord remarquer ce qu’il y a de scolastique dans ce procédé et a mis en évidence les réalités psychiques et sociales qui se cachent sous ces abstractions ».

Citer cet article

Référence électronique

Jean-François Sablayrolles, « Néologie et / ou évolution du lexique ?
Le cas des innovations sémantiques et celui des archaïsmes
 », ELAD-SILDA [En ligne], 1 | 2018, mis en ligne le 01 mai 2018, consulté le 19 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/elad-silda/index.php?id=231

Auteur

Jean-François Sablayrolles

Membre de la COMUE Sorbonne-Paris-Cité et du laboratoire HTL (Histoire des Théories Linguistiques, UMR 7597).

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