BACALy


1L’œuvre de l’esprit ne peut donner prise à la protection par le droit d’auteur que si elle procède d’une activité créative. L’attribution de cette activité créative à une personne est déterminante pour l’identification du titulaire ab initio des droits. Elle peut néanmoins s’avérer délicate, notamment lorsqu’une personne intervient dans la réalisation matérielle d’une œuvre conçue par une autre. Parallèlement, faut-il souligner que le droit d’auteur protège les créations de forme. Ainsi, seule la forme issue de l’activité créative déployée par l’auteur est protégée, et non pas seulement le déploiement d’une telle activité lorsqu’aucune forme identifiable et individualisable n’en est issue.

2Ces constats résument les problèmes soulevés par l’arrêt de la 1re chambre civile de la cour d’appel de Lyon, n° 15/05327 du 11 janvier 2018.

3Les faits de l’espèce sont les suivants. À partir de 2004, Jean Michel O, un « artiste contemporain » (JMO), a commandé à la société Verrerie Saint-Just (société VSJ) la fabrication de verres bariolés répertoriés dans le catalogue de cette dernière. Il lui spécifiât notamment de faire argenter les pièces commandées en vue de la réalisation de plusieurs exemplaires d’un verre qu’il nommera par la suite « miroir nuage ». Lesdites pièces ont été utilisées par l’artiste pour la réalisation de certaines œuvres : entre autres, une table de nuit et un coffre à secret.

4En 2009, l’artiste JMO reprochait à la société VSJ d’avoir utilisé le verre « miroir nuage » pour la réalisation d’autres opérations et d’utiliser des photographies d’œuvres réalisées à partir de celui-ci, sans son consentement, ni mention de son nom. Ainsi, il l’assigna devant le TGI de Lyon pour violation de ses droits d’auteur.

5Par un jugement du 11 juin 2015, le TGI de Lyon accueillit favorablement sa demande. Il constatait notamment, l’originalité du « miroir nuages » qui serait caractérisée par le « changement en nuages de taches blanches préexistantes », bariolées sur le verre préexistant, ainsi que « la combinaison générale » des choix de l’artiste « suggérant un ciel de nuages ».

6La société JMO interjeta appel de cette décision. Devant la cour d’appel de Lyon, elle contestait notamment l’originalité du « miroir nuage », prétendant entre autres que l’aspect particulier du verre bariolé suggérant un effet de nuage « résulte d’un procédé technique et non d’une création ». Par ailleurs, le concept même de la création du « miroir nuage », celui de la création d’un verre dont l’aspect suggère « un ciel de nuage », ne saurait être protégé par le droit d’auteur. Selon elle, seuls les œuvres incorporant le « miroir nuages » sont protégeables.

7La cour d’appel, confirmant les premiers juges, rejette ces prétentions. Elle constatait notamment l’originalité du « miroir nuage » aux motifs qu’elle procède d’un « effort créatif » résultant de la combinaison de choix créatifs et esthétiques qui consistent, d’une part, à « transformer en nuages » des tâches préexistantes bariolées sur des feuilles de verres, d’autre part, à « transformer en miroir des verres simplement transparents ».

8Cependant, force est de constater que si la cour relève les éléments lui permettant de caractériser une activité créative (I), elle omet d’identifier les caractéristiques spécifiques d’une forme individualisable et protégeable par le droit d’auteur (II)

I/ Une activité créative caractérisée

9Afin de vérifier si le « miroir nuage » est bien sous l’emprise du droit d’auteur, la cour d’appel relève que sa réalisation procède d’un « effort créatif ». Ce qu’elle apprécie à l’aune « des choix esthétiques » qui reviennent à l’artiste JMO.

10L’œuvre de l’esprit ne peut donner prise au droit d’auteur que si elle procède d’une activité créative. (I. Cherpillod, L’objet du droit d’auteur, Cedidac, Lausanne, 1985, n° 16.) L’expression « activité créative » étant préférée en doctrine à celle d’« effort créatif » couramment utilisée par les juges, en ce qu’elle prendrait mieux en compte « l’extrême diversité des processus de création ». (A. Lucas, A. Lucas-Schloetter, C. Bernault. Traité de propriété littéraire et artistique, 5e éd. 2017, n° 51, p. 68.).

11L’activité créative résulte le plus souvent en pratique, des choix librement opérés par l’auteur. En l’espèce, ces choix consisteraient, d’une part, à « l’assemblage de feuilles de verre », avec « incrustation d’émaux », permettant de « transformer en nuages des taches qui n’avaient pas cette vocation à l’origine ». D’autre part, la cour d’appel distingue le « choix de transformer en miroir des feuilles de verre » qui, à l’origine, étaient « seulement transparents ».

12Parallèlement, faut-il souligner que les choix créatifs de l’auteur ne sont pris en compte que s’ils procèdent de son arbitraire. (V° CA Paris, 4e ch., 11 juin 1990, RIDA, 4/1990, p. 293 ; CA Paris, 4e ch., 2 juill. 2004, RTD com, 2004, p. 720, obs. F. Pollod-Dulian). Ce constat ressort notamment de l’arrêt Eva-Maria Painer de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 1er déc. 2011, C-145/10). Fruits de l’arbitraire de l’auteur, les choix pris en compte dans l’appréciation de l’activité créative doivent être « libres et créatifs ».  En ce sens, ils ne devraient notamment pas être commandés par des contraintes techniques. (Cass. civ. 1re, 3 fév. 2004, n° 02-11400 : Propr. Intell., 2004, p. 630, obs. A. Lucas.).

13En l’espèce, le premier élément relevé par la cour d’appel, « transformer en nuages des tâches qui n’avaient pas cette vocation à l’origine », permet, à coup sûr, d’entrevoir un certain parti pris esthétique. À cet égard, ils participent sans doute à la caractérisation d’une activité créative.

14Toutefois, la lecture du second élément retenu par la cour pourrait susciter un certain embarras. Notamment au regard de l’importance qu’elle lui accorde dans la caractérisation de l’activité créative. La cour insiste particulièrement sur le « choix de transformer en miroir, des feuilles de verre qui sont seulement transparentes ».  Or, si l’on prend en compte le résultat escompté : donner un effet de miroir à des verres transparents, le choix d’incruster une feuille de verre argentée dans d’autres transparentes n’est-il pas simplement guidé par une contrainte technique ? En tout cas, la liberté créative de l’auteur sur ce choix reste discutable.

15Certes, il faut souligner dans la même ligne que la cour d’appel, que c’est la « combinaison » des choix créatifs qui caractérisent l’activité créative. Toutefois, on ne devrait prendre en compte dans l’appréciation de cette activité, que les choix de l’auteur qui en eux-mêmes sont « libres et créatifs ».

16Un autre aspect important de cette décision est relatif à la question de l’appréciation de l’activité créative, lorsque plusieurs personnes participent à la réalisation de l’œuvre. Dans une telle configuration, la problématique de l’activité créative se pose avec une certaine acuité. En effet, si en l’espèce la conception du « miroir nuage » revient à l’artiste JMO, ce dernier a eu besoin de l’intervention d’un technicien pour sa réalisation matérielle.

17L’enjeu du problème soulevé réside notamment dans la qualité de coauteur pouvant être reconnue à celui qui s’attèle à la réalisation matérielle de l’œuvre, dès lors que ce dernier conserve un minimum de liberté de manœuvre et donc, de liberté création. (TGI Seine, 19 juin 1970, Guino c/ Renoir : RIDA, avril 1971.). La qualité de coauteur ne saurait toutefois être reconnue à l’exécutant qui se limite à une simple prestation de service technique sans apport créatif. Par conséquent, si la décision sous commentaire souligne que la société VSJ « a réalisé les objets […] sur la base de directives précises » c’est justement pour souligner le défaut de participation de cette dernière à l’activité créative sur l’œuvre dont elle assure la réalisation matérielle (il ne faut pas omettre qu’une personne morale ne peut en soi être auteur.).

18Ainsi, la cour d’appel inscrit-elle cette décision dans la ligne des celles qui ont refusé toute protection par le droit d’auteur à « une banale prestation de service technique » (not. CA Paris, 4e ch., 4 mars 1987, Rutman : RIDA, 2/1987, p. 71 ; D. 1988, p. 204, obs. Colombet. Sur pourvoi, Cass. 1re civ., 29 mars 1989, n° 87-14895 : RIDA, 3/1989, obs. Colombet ; CA Paris, 4e ch. B, 13 mars 2009 : JurisData n° 2009-004612. ; CA Paris, 4e ch. A, 23 janv. 2008 : JurisData n° 2008-002126 ; CA. Paris, pôle 5, 26 mai 2010 : Propr. Intell. 2010, p. 966, Cass. soc., 14 nov. 2012, n° 11-25527 : Propr. Intell. 2013, p. 46, obs. A. Lucas). Par ailleurs, elle confirme la possibilité qu’une personne puisse être l’auteur et l’unique titulaire des droits sur une œuvre à la réalisation matérielle de laquelle il n’a aucunement pris part, mais qu’il dirige et contrôle. (V°, la célèbre affaire « Dunand », Cass. 1re civ. 13 oct. 1993, « Dunand », Bull. civ I, n° 285, p. 197 : D., 1994, p. 138, obs. B. Edelman ; RIDA, 3/1994, p. 267.)

19Pour justifier ce constat, la cour relève toutefois que la liberté laissée à la société VSJ, relativement aux « tolérances de fabrication » des verres était un apport technique. Elle y inclut aussi la liberté qui lui est laissée dans la détermination de la « dimension des taches bariolées » et de leur « densité ». Ces éléments qu’elle qualifie de « standards », seraient insuffisants pour caractériser un apport créatif de la société VSJ.

20L’option de la cour d’appel sur ces éléments parait discutable, dès lors qu’on les apprécie à l’aune de la nécessité d’identifier et d’individualiser de la création de forme protégée.

II/ Un objet de protection non identifié

21Après avoir constaté que l’artiste JMO avait bien déployé une activité créative consistant notamment à « transformer en nuages des taches qui n’avaient pas cette vocation à l’origine », la cour d’appel en conclut que « l’acte intellectuel » de ce dernier « qui ne relève pas de la mise en œuvre d’un savoir-faire s’est formellement exprimée dans une réalisation matérielle originale. Elle en conclut que le « miroir nuage » est protégé par le droit d’auteur.

22Fort bien, mais en quoi consiste cette « réalisation matérielle originale » ? Est-elle simplement dans les choix opérés par l’artiste, dans «la combinaison et l’agencement des éléments » ? En tout cas, c’est ce qui semble ressortir de la décision de la cour d’appel. Or, la réponse à cette interrogation est, à coup sûr, négative.

23En effet, le principe d’exclusion de la protection des idées implique qu’une simple technique artistique ne puisse être l’objet de protection. (CA Paris, pôle 5, 23 sept. 2011, RLDI, 2011/75). Or, le procédé ayant permis à l’auteur de « transformer des tâches préexistantes en nuages » et « le choix de transformer en miroir des verres simplement transparents » relèvent de la technique artistique. La création de forme originale issue de la mise en œuvre de ces techniques ne saurait s’identifier à celles-ci. Les critères retenus par la décision confirmée : « la combinaison générale suggérant un ciel de nuage », ne sont pas d’un grand secours.

24La propriété littéraire et artistique ne protège que les créations de forme déterminées, individualisées, et parfaitement identifiables. (TGI. Paris, 26 mai 1987, Christo, D. 1988, p. 201., obs. C. Colombet.) Elle ne protège pas « un genre ou une famille de formes ». Or, si en l’espèce les choix arbitraires relevées par la cour d’appel et par la décision qu’elle confirme peuvent permettre de déceler une activité créative, elles ne permettent pas d’identifier une forme individualisable issue cette activité.

25L’objet de protection, ne peut s’identifier aux choix de « transformer en nuages » des tâches préexistantes et celui de leur donner « un effet de miroir ». Même si ces choix esthétiques traduisent la personnalité de l’auteur, ils ne suffisent pas à identifier une œuvre protégeable. D’autant plus qu’il ressort des conclusions de l’auteur même que les mêmes choix ont pu donner naissance à différentes œuvres produites « grâce à ses instructions précises ».

26Lesdits choix procèdent de l’approche conceptuelle de l’auteur, alors que seule la forme originale issue de la concrétisation de cette approche conceptuelle peut être protégée. Comprise dans la sphère de l’idéelle, l’approche conceptuelle en elle-même n’est pas et ne devrait pouvoir être protégeable au risque de neutraliser la créativité. Chaque œuvre, chaque objet de protection doit s’incarner dans « une réalisation matérielle ». (Cass. civ, 1re, 13 nov. 2008, Paradis, D. 2009, p. 263, obs. B. Edelman, p. 266, obs. E. Treppoz.). De ce point de vue elle doit être individualisable et identifiable. Toutefois, force est de constater que ni l’arrêt sous commentaire, ni la décision qu’elle confirme ne répondent aux préoccupations relatives à ces exigences.

27À notre avis, l’exigence d’individualisation et d’identification du « miroir nuage » réalisée en 2004, devrait justifier que soient prises en compte des spécificités telles que la disposition, les dimensions des taches, leur densité, leur écartement… Autant d’éléments que la cour d’appel qualifie de « standards » pour exclure la participation de la société VSJ dans l’activité créative, mais qui auraient certainement permis d’individualiser l’œuvre protégée, contribuant ainsi à la définition de son originalité.

28Toutes constatations qui se justifient si l’on s’intéresse aux atteintes sanctionnées par la cour d’appel. Celles-ci ne concernent que les « reproduction serviles » du « mur nuage » créé en 2004. La formule rend compte d’une nécessaire prise en compte des caractéristiques spécifiques de cette œuvre afin de la distinguer d’autres qui ont pu être créées avec la même technique artistique. Caractéristiques qui n’ont malheureusement pas été définies en l’espèce.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. Civile A, 11 janvier 2018, n° 15/05327



Citer ce document


Falilou Diop, «Protection d’un miroir par le droit d’auteur», BACALy [En ligne], n°11, Publié le : 17/10/2018,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=931.

Auteur


À propos de l'auteur Falilou Diop

Doctorant à l’Université Jean Moulin Lyon 3, équipe de droit international européen et comparé (EDIEC), centre de recherche sur le droit international privé (CREDIP)


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