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L’obligation propter rem à l’épreuve des servitudes

Victor Poux

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1L’article 637 du Code civil définit la servitude comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». À travers cette définition, le législateur de 1804 a proscrit toute possibilité de concevoir la servitude en dehors des biens, autrement dit de l’envisager comme un service à la personne. Ce texte possède en lui une idéologie forte, la lutte contre toute résurgence du droit médiéval.

2Au-delà de la rigidité du texte, la pratique imposait parfois que le propriétaire du fonds servant puisse se voir obliger personnellement afin d’assurer un usage optimal de la servitude. La notion d’obligation réelle ou obligation propter rem fut donc utilisée à cet escient.

3L’affaire est classique. Plusieurs personnes acquièrent un tènement immobilier en indivision. Une voisine les informe que son titre de propriété comporterait un droit de passage qui grèverait la propriété nouvellement acquise. Les indivisaires vont assigner devant le tribunal de grande instance les notaires ayant reçu l’acte authentique ainsi que la propriétaire de la parcelle voisine sur le fondement des articles 1116, 1147 et 1638. Ils réclament à l’ensemble des intimés une indemnité compensatrice pour diminution de jouissance liée à l’existence d’une servitude de passage. Les juges de première instance vont relever qu’il n’existe aucune servitude de passage mais une obligation propter rem et que la dissimulation de cette obligation lors de la vente de la parcelle entraîne bien une diminution de jouissance et donc une indemnité compensatrice en faveur des indivisaires.

4Appel étant interjeté, les notaires arguent du fait que le droit de passage ne peut constituer une servitude puisqu’il fut souscrit dans un acte antérieur à titre personnel, sans désignation d’un fonds dominant et sans emploi d’une clause intitulée « servitudes ». Selon eux, le droit de passage ne pourrait s’analyser que comme une obligation propter rem, laquelle était antérieurement l’accessoire d’une servitude de puisage. Néanmoins, le fait que ce puits soit aujourd’hui disparu et que les derniers titres de propriété ne fassent aucune mention de ce droit de passage permet de conclure que ce droit est éteint par prescription trentenaire puisque les obligations propter rem bénéficient du même régime que les servitudes.

5Les juges de la cour d’appel vont partiellement infirmer le jugement de première instance. Dans un premier temps, ils vont opérer une analyse des actes de vente relatifs à la parcelle et reconnaître la qualification d’obligation propter rem, les juges vont définir ce droit de passage comme une « charge réelle autonome et perpétuelle ». À ce titre, le droit de passage est transmis dans les actes à tous les propriétaires successifs. Les juges relèvent alors, que depuis les actes de ventes de 1957 et 1961, il est mentionné que le droit de passage n’est plus utilisé. Faute de preuves contraires, l’obligation propter rem se voit éteinte par prescription trentenaire. La durée de la prescription de l’obligation propter rem n’est pas alignée sur la prescription quinquennale des obligations personnelles mais bien, à l’instar des servitudes, sur la prescription trentenaire. Il est en effet logique que le régime des servitudes soit ici adopté puisque l’obligation réelle est accessoire à la servitude. C’est d’ailleurs sur ce fondement que la cour d’appel constate l’extinction du droit de passage puisque non utilisé depuis 1961.Le droit de passage étant éteint, il ne peut donc créer une privation de jouissance.

6Cet arrêt permet de s’intéresser à la notion d’obligation réelle, catégorie à la frontière entre les droits personnels et les droits réels. Le terme même d’obligation renvoie au livre III du Code civil et plus généralement à un rapport juridique entre deux personnes dans lequel l’une est tenue d’une prestation envers l’autre tandis que le terme « réelle » renvoie à l’idée d’un pouvoir sur une chose. On perçoit ici l’hybridité de la notion sauf que, comme le montre l’arrêt, l’obligation ne lie pas une personne en particulier mais un statut, celui de propriétaire. En effet, comme le souligne la cour d’appel à travers la lecture des différents actes de vente, l’obligation qui pesait sur le fonds était transmise aux propriétaires successifs. Cela touche ici la caractéristique principale de l’obligation propter rem, elle est liée au fonds et oblige l’ensemble des propriétaires successifs. La cour d’appel a pris en compte la transmission de l’obligation réelle mais s’est également interrogée, au contraire des juges de première instance, sur son extinction. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les juges se fondent uniquement sur la prescription trentenaire. En effet, comme le souligne l’acte de vente de 1961, le puits qui était au fondement de la servitude de puisage et donc de son accessoire, l’obligation réelle, a été supprimé. Or, comme dispose l’article 703 du Code civil « les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent dans un tel état qu’on ne peut plus en user ». A partir de là, la servitude de puisage ne semble plus être effective. Dès lors, si le droit de passage avait toujours été utilisé en dépit de la suppression de la servitude, les juges auraient-ils reconnu l’existence d’une obligation réelle alors que celle-ci ne serait pas l’accessoire d’une servitude ? Ici, la réponse semble claire. La cour d’appel définit le droit de passage comme une obligation propter rem et précise qu’il s’agit d’une « charge réelle autonome ». L’emploi du terme « autonome » n’est pas anodin et s’inscrit dans une mouvance jurisprudentielle qui tendrait à ne plus concevoir l’obligation réelle comme étant nécessairement l’accessoire d’une servitude (Cass. civ. 3e, 20 mai 2014, n° 13-11.801). Il est cependant loisible de penser qu’une telle autonomisation de la notion irait à l’encontre de ses propres fondements tout en laissant planer le spectre de l’Ancien droit.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre civile 1, 26 Mai 2015, n° 14/01620



Citer ce document


Victor Poux, «L’obligation propter rem à l’épreuve des servitudes», BACALy [En ligne], n°7, Publié le : 23/07/2015,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=754.

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À propos de l'auteur Victor Poux

Doctorant contractuel


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