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Preuve par tout moyen d’une copropriété forcée

Flora Vern


1Dans le silence des titres, les propriétaires de deux parcelles contiguës se disputent l’usage d’un chemin. Les premiers intentent une action négatoire tendant à faire constater l’absence de servitude de passage de leurs voisins sur leur fonds. Ces derniers répondent, en défense, que la cour située entre les deux parcelles serait une propriété indivise. Or, les titres ne sont probants ni d’un côté ni de l’autre.

2Les deux parcelles formaient anciennement un tènement unique dont la division en plusieurs fonds apparaît sur le cadastre rénové, qui ne fait mention d’aucun passage commun. Toutefois, si les énonciations cadastrales peuvent constituer un indice de propriété, elles ne permettent pas, en elles-mêmes, d’en rapporter la preuve. La cour d’appel de Lyon rappelle opportunément que « la propriété immobilière se prouve par tous moyens et [qu’]il n'existe pas de hiérarchie entre les modes de preuve. [Ainsi] les juges du fond doivent se déterminer en fonction des présomptions qui leur apparaissent les meilleures et les plus caractérisées au vu des titres, documents, actes, expertises, énonciations du cadastre qu'ils apprécient souverainement. »

3Les juges se livrent donc à l’étude d’un acte du 10 août 1891 mentionnant l’existence d’un passage commun longeant le mur d’une école. Les juges de la cour d’appel de Lyon retiennent, après étude de la configuration des parcelles et de photographies révélant l’existence d’un portail, qu’il s’agit nécessairement des ouvrages désormais litigieux. Toutefois, et c’est le mérite de cet arrêt, les juges ne s’arrêtent pas au constat de l’existence de ce « passage commun ». Ils notent, en effet, que cette expression « ne correspond à aucune définition juridique et peut recouvrir des situations très différentes ».

4La qualification de servitude est écartée par la cour d’appel. Si l’existence d’un chemin desservant un ou plusieurs fonds évoque, en effet, la figure de la servitude de passage, celle-ci ne pouvait être retenue dans cette espèce. La parcelle qui en aurait bénéficié n’était pas enclavée, excluant la qualification de servitude légale (art. 682 C. civ.). Par ailleurs, la servitude conventionnelle de passage est discontinue ; elle ne peut s’établir que par un titre (art. 691 C. civ.). Celui-ci faisait défaut en l’espèce puisque, contrairement aux indications cadastrales, les titres mentionnaient le chemin comme limite des propriétés.

5En l’absence de servitude, le « passage commun » désigne plus probablement une copropriété forcée et perpétuelle, subsistant après la division d’un tènement unique en plusieurs parcelles. Les juges rappellent que cette qualification peut être retenue lorsqu’un tel chemin constitue l’accessoire indispensable à l’usage commun d’immeubles appartenant à des propriétaires différents. La propriété se prouvant par tout moyen, les juges peuvent se contenter de présomptions, d’indices contenus dans les titres ou des actes matériels de jouissance caractérisant la possession promiscue invoquée par les défendeurs.

6La difficulté, en l’espèce, n’était pas de prouver l’existence d’une copropriété forcée, mais d’en délimiter l’assiette. Les deux parcelles étaient, en effet, séparées par une cour non-bâtie dont les défendeurs prétendaient qu’elle constituait une « cour commune » indivise. Ils ont été suivis en ce sens par le tribunal de grande instance de Lyon. La qualification alors retenue de « cour commune » est inexacte : cette expression désigne, techniquement, une servitude non ædificandi ou non altius tollendi, établie par voie conventionnelle ou judiciaire pour se conformer aux règlements d’urbanisme (art. L.471-1 C. urb). Une telle « cour commune » est exclusive de toute indivision entre les parcelles concernées et ne désigne, d’ailleurs, pas nécessairement une cour au sens ordinaire. Sous cette réserve terminologique, les juges de première instance avaient considéré que la cour était, en totalité, indivise.

7Leur décision est réformée sur ce point : en l’absence de titres, la cour d’appel considère que seul le chemin permettant l’exploitation agricole des fonds est soumis au régime de la copropriété perpétuelle et forcée, car le reste de la cour n’est pas un accessoire indispensable à l’usage des parcelles limitrophes. L’assiette du chemin est fixée à trois mètres de largeur, aux dimensions de l’ancien portail auquel il permettait d’accéder.

8Cette forme particulière de copropriété perpétuelle et forcée, absente des textes et souvent méconnue des civilistes, se fonde sur la théorie de l’accessoire pour faire échec à l’exclusivité du droit de propriété. Cette institution coutumière est néanmoins d’un grand secours pour trancher les litiges dans le silence des titres. Elle reçoit régulièrement des applications judiciaires en Provence, où elle est appelée patecq (CA Aix-en-Provence, 4e ch. A, 10 mars 2016, n° 13/17242).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re ch. civ. B, 30 octobre 2018, n° 16-06418



Citer ce document


Flora Vern, «Preuve par tout moyen d’une copropriété forcée», BACALy [En ligne], n°12, Publié le : 01/02/2019,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1767.

Auteur


À propos de l'auteur Flora Vern

Docteur en droit privé, ATER à l’université Jean Moulin Lyon 3


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