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Interdiction du changement de destination des parties privatives en copropriété

Simon Journet


1La destination des parties privatives, comme celle des parties communes, est déterminée par le règlement de copropriété (art. 8, 1er al.). Cet élément conventionnel doit toujours être conforme à une certaine finalité, soulignée par l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui précise que chaque copropriétaire use et jouit librement des parties privatives et des parties communes, à condition « de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ». Ces dispositions légales forment les conditions de l’acceptation de la modification de l’utilisation des parties privatives. Le présent litige en fait une application rigoureuse et illustre les limites aux tolérances jurisprudentielles habituelles en la matière.

2Les faits à l’origine du cas d’espèce apparaissent d’une grande simplicité. Une SCI est propriétaire d’un lot en rez-de-chaussée, visé par le règlement de copropriété comme un local à usage de garage et de dépôt.

3Après avoir constaté, sans en avoir été informé, la modification par la SCI de la destination du lot en local à usage d’habitation, le syndicat des copropriétaires a mis en demeure la société de régulariser cette situation. L’absence de démarche de la part de la SCI conduit le syndicat, représenté par son syndic, à l’assigner en référé devant le tribunal de grande instance de Lyon, qui prononce une condamnation sous astreinte à remettre le lot litigieux en état de local de dépôt et de garage.

4Appel étant interjeté, la SCI avance divers arguments. Elle considère d’abord qu’en l’absence de décision d’assemblée générale, le syndic ne pouvait agir en justice. Outre cette question de procédure, elle estime que cette modification de la destination de son lot en local d’habitation et de bureau constitue une « amélioration de l’immeuble ».

5Le syndicat des copropriétaires estime pour sa part que cette modification de la destination d’une partie privative sans autorisation préalable de l’assemblée constitue une violation du règlement de copropriété et porte atteinte aux droits des autres copropriétaires en ce que la SCI « ne paie pas les charges réelles correspondant à l’usage de son local ».

6L’intérêt de cet arrêt réside sans doute moins dans la réponse qu’il propose concernant les pouvoirs du syndic d’agir en justice, que dans l’application des conditions de conformité du changement d’affectation des parties privatives à la destination de l’immeuble.

7La cour d’appel, en se fondant sur l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965, estime que la modification de l’affectation du local porte atteinte tant à la destination de l’immeuble qu’aux droits des autres copropriétaires. Se faisant, elle rappelle fermement la double condition de l’admission du changement d’utilisation des parties privatives : au-delà du respect du règlement de copropriété définissant l’utilisation de chaque lot, les juges du fond se doivent de « rechercher en quoi les aménagements réalisés portaient atteinte aux droits des autres copropriétaires ou à la destination de l’immeuble » (Cass. civ. 3e, 25 janv. 1995, Bull. civ. III, n° 30).

8Cette décision tranche avec le développement par la Cour de cassation d’une jurisprudence libérale en la matière. On notera l’acceptation par le passé, de façon non exhaustive, de l’équipement d’un grenier pour permettre son habitation (Cass. civ. 3e, 10 déc. 1986, n° 82-15198 B), de la transformation d’un atelier à usage de remise en local à usage d’habitation (Cass. civ. 3e, 8 juill. 1987, Bull civ. III, n° 141) ou encore du changement d’un sous-sol en habitation (Cass. civ. 3e, 24 oct. 1990, n° 88-18193 B).

9Elle n’apparaît cependant pas comme une décision isolée, les juridictions du fond substituant souvent à une appréciation abstraite du respect des conditions de la transformation de la destination du lot une étude précise des cas d’espèce. A ainsi été ordonné « le rétablissement d’un garage transformé en local d’habitation eu égard à l’affectation claire et précise donnée au lot par le règlement de copropriété » (CA. Aix-en-Provence, 24 juin 1999, D. 1999. somm. p. 320, obs. Atias).

10Notons que la subjectivité induite par la nature contractuelle de la destination de l’immeuble prévue dans le règlement de copropriété (V. notamment Cass. civ. 3e, 17 mars 1976, JCP 1977. II. 18 542, note Guillot) est ici prépondérante. La cour d’appel prend d’ailleurs soin de rappeler que « le règlement de copropriété de l’immeuble […] prévoit que les trois bâtiments qui le composent sont à usage commercial, dépôt ou garage au rez-de-chaussée, et à usage d’habitation aux étages » et que le lot en cause, situé au rez-de-chaussée, est évidemment décrit comme un local à usage de garage et de dépôt. Dès lors qu’une grande complémentarité existe dans le règlement de copropriété entre la destination de l’immeuble et celle des parties privatives, on admet aisément que toute modification de l’usage des parties privatives fasse l’objet d’un contrôle plus strict.

11En outre, et dans l’hypothèse où la cour n’aurait pas constaté une contrariété de cette modification à la destination de l’immeuble, le seuil de tolérance de la modification de la destination du lot semble se concrétiser dans l’atteinte éventuelle portée aux droits des copropriétaires. Celle-ci est constatée en l’espèce eu égard à la modification occasionnée par l’usage d’habitation de la répartition des charges de copropriété tel que prévu dans le règlement.

12Reste que la Cour de cassation, dans un domaine où la casuistique est pourtant prépondérante, a pris l’initiative par le passé, dans des contentieux similaires, de substituer sa propre appréciation à celle des juges du fond (V. par exemple Cass. civ 3e, 7 avr. 2004, n° 02-12811). S’il est possible de considérer que le règlement de copropriété prévoit en l’espèce un usage mixte de l’immeuble, de dépôt et de garage pour le rez-de-chaussée, et d’habitation pour le reste qui pourrait inviter à une certaine tolérance, la solution proposée par la cour d’appel nous paraît fondée sur un raisonnement cohérent, faisant une application scrupuleuse de la clause du règlement de copropriété. On ne saurait reprocher au juge du fond, en l’absence de définition légale de la destination, d’user de son large pouvoir d’appréciation pour modeler une conception adaptée de la notion à chaque cas d’espèce.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 8e Chambre B, 24 juillet 2018, n° 17/06440



Citer ce document


Simon Journet, «Interdiction du changement de destination des parties privatives en copropriété», BACALy [En ligne], n°12, Publié le : 01/02/2019,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1743.

Auteur


À propos de l'auteur Simon Journet

Doctorant à l’université Jean Moulin Lyon 3


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