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Les éléments d’appréciation de degré de gravité de la faute

Anne-cécile Grosselin

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1En matière de licenciement, la faute grave est celle qui entraine la rupture immédiate du contrat de travail à compter de l’envoi de la lettre de notification. En l’absence de définition légale, la notion de faute grave a été précisée de manière prétorienne comme celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Cass. soc. 27 septembre 2007 n° 06-43.867). Ses conséquences sont particulièrement graves pour le salarié en ce qu’elle le prive de ses indemnités de préavis et de licenciement, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise.

2L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon peut apparaître assez surprenant, au regard des faits de l’espèce. Un salarié occupant l’emploi de conducteur-receveur de transport scolaire avait été licencié pour faute grave car il avait accepté la présence d’adulte dans le car sans autorisation et au mépris d’une note d’information diffusée et affichée sur l’ensemble des sites, mais également et surtout en raison de son comportement inapproprié vis-à-vis des enfants transportés (moqueries, plaisanteries grossières, ainsi que des faits d’attouchements).

3La cour d’appel, se livrant à une analyse précise des éléments versés au débat, va caractériser les deux fautes reprochées, jugeant, à l’inverse du conseil de prud’hommes de Lyon, que le licenciement repose bien sur une cause réelle et sérieuse.

4En revanche, rappelant au visa des articles L. 1232-1, L. 1232-6, L. 1234-1 et L. 1235-1 du Code du travail qu’« il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise pendant la durée limitée du préavis », elle va considérer que l’employeur ne rapporte pas, malgré la gravité des faits reprochés, la preuve de la faute grave, dans la mesure où la conduite d’un car scolaire n’était qu’« une attribution accessoire » (uniquement le mercredi) et qu’« il avait la possibilité d’affecter le chauffeur à temps plein sur une ligne régulière pendant le préavis ».

5Cette décision peut apparaitre surprenante à double titre. En effet, la cour d’appel s’est livrée à une appréciation rigoriste et objective, faisant ainsi abstraction de la nature de la faute, de son degré de gravité, voire même du trouble apporté dans l’entreprise (courriers de parents, récits manuscrits de fillettes, plainte pénale…) pour ne tenir compte que de l’emploi occupé par le salarié et la possibilité de continuer son activité professionnelle pendant la durée du préavis. Pourtant, cette notion de durée limitée du préavis a été abandonnée par la Cour de cassation depuis l’arrêt précité de 2007. Par ailleurs, le seul fait de pouvoir envisager le maintien du salarié dans l’entreprise n’est pas incompatible avec l’invocation de la faute grave puisque la Cour de cassation a déjà admis qu’un licenciement pour faute grave pouvait être prononcé lorsque le salarié refuse sa rétrogradation (Cass. soc. 11 février 2009 n° 06-45.897).

6Il est vrai qu’en l’espèce, la cour d’appel laissait entendre que l’affectation à temps plein sur une ligne régulière ne modifierait pas son contrat de travail, le transport scolaire étant une activité accessoire. Mais quand bien même devrions-nous adhérer à cette analyse innovante, les faits reprochés, et notamment les gestes déplacés du chauffeur sur des collégiennes de treize ans, sont suffisamment dérangeants pour constater la rupture irrémédiable du lien de confiance nécessaire à la poursuite de la collaboration. D’autant que le principe de précaution et l’obligation de sécurité pesant sur l’entreprise de transport justifiaient que l’employeur lui interdise la conduite de tout transport en commun même non spécifiquement réservé aux lignes scolaires, de tels faits pouvant intervenir à tout moment, sur toute ligne. Toutefois, ces éléments ne ressortaient pas de la motivation de la lettre et sans doute étaient absents des débats, tant les faits semblaient se suffire à eux-mêmes.

7Ainsi, quel que soit le caractère contestable de cet arrêt, l’analyse retenue par les magistrats doit encourager les rédacteurs de lettres de licenciement à étayer la motivation de la faute grave, non seulement au regard des faits commis mais également de leur retentissement dans l’entreprise.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre sociale A, 26 septembre 2012, n° 11/04064, JurisData 2012-021346



Citer ce document


Anne-cécile Grosselin, «Les éléments d’appréciation de degré de gravité de la faute», BACALy [En ligne], n°2, Publié le : 22/01/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1522.

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À propos de l'auteur Anne-cécile Grosselin

Avocat au barreau de Lyon


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