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Responsabilité d’un opérateur téléphonique en cas de dégroupage abusif

Adrien Bascoulergue


1Opération technique permettant l’ouverture du réseau téléphonique local à la concurrence, la procédure de dégroupage n’est pas sans poser certaines difficultés pratiques comme le savent désormais la plupart des utilisateurs d’Internet. Elle donne lieu aussi depuis plusieurs années à des actions en justice comme celle introduite par M. C., le 15 janvier 2010.

2Artisan plombier de profession, ce dernier avait été privé par deux fois, du 22 au 28 septembre 2009 puis du 2 au 12 novembre 2009, de tout service de communication téléphonique et électronique en raison d’une demande de dégroupe total effectuée par une voisine auprès de la société Neuf Cegetel, devenue SFR. Sa ligne avait été rétablie dans chacun des cas par son opérateur mais dans un délai jugé trop long par l’intéressé.

3C’est la raison pour laquelle il avait décidé d’engager une action en responsabilité contre France Telecom aux fins d’obtenir en paiement des sommes de 6 000 euros au titre du préjudice commercial, 447,57 euros au titre des frais d'annonce induits par ces coupures et des factures de la société France Telecom pour les périodes litigieuses, et 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile. Dans une décision en date du 30 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Roanne lui avait donné pour partie gain de cause, condamnant la société France Telecom à réparer les préjudices seulement démontrés. Prenant appui sur le contrat d’entreprise passé entre les deux, la juridiction du fond avait alors rappelé à l’opérateur téléphonique qu’il s’engageait à mettre en œuvre les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l'accès au réseau, et à rétablir le service téléphonique dans les 48 heures (jours ouvrables) suivant le signalement par le client du dérangement, le client étant en droit, en cas contraire, de réclamer une indemnité forfaitaire d'un montant égal à deux mois d'abonnement au service téléphonique souscrit.

4Ce que contestait, une nouvelle fois, devant la cour d’appel de Lyon, la société France Telecom estimant que cette rupture de ligne était d’abord le fait de l’autre opérateur et de sa négligence à vérifier les informations fournies par son abonné, ce qui l’exonérait de toute responsabilité.

5L’argument ne convainc pas ici la juridiction lyonnaise qui rappelle que la société France Telecom est tenue, vis à vis de son abonné, d'une obligation de résultat quant aux services souscrits et qu’elle ne peut s'exonérer de sa responsabilité à l'égard de son client qu'en cas de force majeure ou de cas fortuit, soit un événement imprévisible et irrésistible, cet événement fut-il le fait d'un tiers. Ce qui n’est pas le cas en l’espèce pour le juge d’appel.

6Reprenant les termes de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique qui prévoit de la même manière, dans son article 15, que le fournisseur d'accès internet « est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services [...] et qu’il peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure », la décision n’a, sur ce point, rien d’étonnant

7S’agissant des conditions requises pour qualifier un événement de force majeure, l’arrêt n’est que le rappel de la solution adoptée par la Cour de cassation le 30 octobre 2008. Désormais, « seul un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d'un cas de force majeure » (Cass. civ. 1re, 30 oct. 2008, Bull. civ. I, n° 243 ; D. 2008. AJ 2936, obs. Gallmeister ; RTD civ., 2009. 126, obs. Jourdain). Imprévisibilité et irrésistibilité sont deux conditions à remplir pour qualifier un évènement de cas de force majeure. En l’espèce, ce sont précisément ces deux critères qui faisaient défaut. Pour reprendre les termes de l’arrêt, le fait que les opérateurs téléphoniques et la société France Telecom aient mis en place des systèmes automatisés qui ne permettent pas à cette société de protéger ses propres clients contre des demandes de dégroupage faites par erreur soit par l'opérateur alternatif lui-même, soit par le client de ce dernier, « ne constitue pas un cas de force majeure car cette situation est prévisible et non irrésistible: elle ne résulte que d'un état de dispositions techniques qui n'assurent pas la protection requise. »

8Autrement dit, l’inconvénient majeur d’une procédure automatisée est justement son caractère automatique qui accélère la mise en place du service au détriment cependant de tout contrôle.

9Sur ce point, on pourra trouver la solution sévère à l’encontre de France Telecom. Elle se rapproche de celle rendue le 19 novembre 2009 (Cass. civ. 1re, 19 novembre 2009, D. 2009, p. 2927, obs. Guiomard) par la première chambre civile de la Cour de cassation qui dans le cadre d’une procédure de dégroupage total s’était déjà prononcée en faveur d’un abonné, estimant que le fait de ne pouvoir recevoir la télévision en raison d’un mauvais raccordement du réseau n’avait dans le même sens rien d’imprévisible au moment de la conclusion du contrat.

10On pourra aussi la tempérer en notant, que par le jeu d’un appel en garantie, la société France Telecom n’a finalement été condamnée dans cette procédure qu’à indemniser un quart des préjudices constatés.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre 6, 6 septembre 2012, n° 10/08937, JurisData n° 2012-019978



Citer ce document


Adrien Bascoulergue, «Responsabilité d’un opérateur téléphonique en cas de dégroupage abusif», BACALy [En ligne], n°2, Publié le : 17/01/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1468.

Auteur


À propos de l'auteur Adrien Bascoulergue

Docteur en droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3


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