BACALy

Plantations d’arbres et hauteur légale : peut-on renoncer au bénéfice de la prescription acquisitive ?

Ariane Gailliard

Index

Index thématique

1La renonciation ne se présume pas dit l’adage mais peut-on renoncer au bénéfice d’une prescription acquisitive ? C’est la question à laquelle répond cet arrêt, qui illustre bien les liens entre usucapion et relations de voisinage. Dans les faits, un couple assigne son voisin afin d’obtenir la réduction de la hauteur des frênes bordant leur propriété à une hauteur maximale de deux mètres et l’élagage des branches. L’article 671 du Code civil donne en effet la règle pour la distance séparant des arbres de la limite de la propriété voisine : il faut d’abord se référer à la distance fixée par les règlements et à défaut de règlements, à une distance légale de deux mètres. Cet article a un caractère supplétif et la règle qu’il pose doit être rejetée en cas d’usage local. Or, en l’espèce, c’était cette distance légale de deux mètres qui n’avait pas été respectée et le tribunal d’instance condamna sous astreinte le propriétaire à la réduction des arbres à une hauteur de deux mètres. Son voisin opposa l’une des exceptions à l’action en réduction des arbres prévues par l’article 672 qui dispose que « le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l’article précédent, à moins qu’il n’y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire ». Il s’agissait en l’espèce de la prescription acquisitive. Tenant compte de cette exception, la cour d’appel ordonna une expertise par un jugement avant dire droit. Elle mandata l’expert afin de constater si les branches avançaient réellement ou non sur la propriété voisine, mais également si ces plantations occasionnaient ou non des troubles anormaux de voisinage.

2Le rapport d’expertise conclut à un dépassement effectif des arbres depuis plus de trente ans au jour de l’assignation, et au bénéfice de la prescription acquisitive. La partie ayant planté les frênes interjeta donc appel et demanda la réformation du jugement rendu par le tribunal d’instance et l’application des articles 2251 et suivants du Code civil relatifs à la prescription acquisitive, en démentant toute renonciation à invoquer la prescription de l’article 672. Les intimés soutenaient en effet que la partie adverse avait renoncé au bénéfice de la prescription acquisitive, car elle avait proposé de façon amiable à ses voisins de rabattre la hauteur des arbres litigieux. Il s’agissait d’un courrier par lequel la partie mentionnait « rabattre le bouquet d’arbres ». Mais cet élément était-il vraiment probant ? On sait que la renonciation, de par sa nature abdicative, doit résulter d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; c’est pourquoi elle prend le plus souvent la forme d’un acte juridique unilatéral. L’objet de la renonciation était ici une faculté, c’est à dire une liberté d’agir ou de ne pas agir.

3La cour d’appel infirme le jugement, déniant l’existence de la renonciation soulevée par les intimés. Elle se prononce d’abord sur la durée du dépassement, qui était bien supérieure à trente ans, rappelant une jurisprudence constante selon laquelle le point de départ de la prescription trentenaire pour faire jouer l’exception à l’action en réduction des arbres de l’article 671 est la date du dépassement effectif des arbres, et non celle à laquelle ils ont été plantés (Cass. civ. 3e, 8 déc. 1981, Bull. civ. III, n° 207 ; RTD civ., 1982. 436, obs. Giverdon). Enfin, elle estime que le courrier ne constituait pas une renonciation aux dispositions de l’article 672 mais une « proposition d’arrangement faite par l’intéressé, consistant en une coupe à une hauteur totale de cinq mètres soit bien au-delà de la hauteur prévue par l’article 671 » et « qu’il ne résulte pas de ce courrier la volonté sans équivoque » de l’appelant de se prévaloir de la prescription acquisitive. La cour d’appel montre bien la frontière entre une proposition faite entre voisins dans un souci d’apaisement ou de prévention des tensions et l’émission d’une volonté ayant de réelles conséquences juridiques. Ainsi, bien qu’exempt de tout formalisme, l’acte de renonciation doit toujours résulter d’une manifestation de volonté non équivoque : la cour d’appel n’a fait ici qu’appliquer une jurisprudence exigeante et abondante de la Cour de cassation. On peut toutefois regretter qu’en se contentant d’affirmer que la prescription trentenaire était acquise, elle ne soit pas prononcée sur les conditions et les éléments de preuve de la prescription acquisitive litigieuse.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 6e chambre, 28 mars 2013, n° 09-03031



Citer ce document


Ariane Gailliard, «Plantations d’arbres et hauteur légale : peut-on renoncer au bénéfice de la prescription acquisitive ?», BACALy [En ligne], n°3, Publié le : 04/07/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1298.

Auteur


À propos de l'auteur Ariane Gailliard

Doctorante contractuelle


BACALy