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Application de la notion d’équivocité

Victor Poux

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1En droit des biens, l’équivocité est un concept disputé dont l’application pratique n’est pas forcément chose aisée. Au départ, il s’agit d’une affaire de voisinage où il est fait grief à une partie d’avoir clôturé une parcelle sur laquelle elle avait pourtant un juste titre de propriété depuis 2005. La contestation provient de ce que cette parcelle, en forme d’impasse, comportait un puits commun auquel les propriétaires voisins avaient directement accès au titre d’un droit de passage et de puisage. Dans ces conditions, aucun d’eux ne pouvait s’octroyer la possibilité de clôturer ladite parcelle.

2Le jugement en référé donne raison aux demandeurs en estimant que si le propriétaire actuel a acquis la parcelle par juste titre en 2005 et que cette dernière était déjà mentionnée dans l’acte d’acquisition du précédent propriétaire, il n’en n’était en revanche pas fait mention dans les actes antérieurs. Le juge souligne cependant que ces actes précisaient qu’il s’agissait d’une impasse commune comportant des droits de passage et de puisage au profit des usagers. C’est dans ce contexte que le propriétaire actuel de la parcelle a interjeté appel en arguant du fait que, quand bien même la propriété de la parcelle pourrait lui être contestée dans un premier temps, les mécanismes de la prescription abrégée et de l’usucapion permettraient de faire reconnaître sa propriété exclusive. Ainsi en se fondant sur l’article 2272 du Code civil, le propriétaire souhaite faire reconnaître la prescription abrégée de 10 ans puisqu’étant titulaire d’un juste titre, tout en répondant aux conditions imposés par l’article 2261 afin de pouvoir prescrire à savoir une possession continue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.

3La cour d’appel de Lyon reconnaît la possibilité d’invoquer la prescription abrégée de 10 ans afin que la propriété exclusive de la parcelle ne puisse être contestée. Toutefois, les juges déboutent l’appelant au motif que la possession serait équivoque et donc viciée du fait que les voisins usaient quotidiennement de la parcelle en forme d’impasse ; ils ont également reconnu que les propriétaires riverains à la parcelle ne pourraient pas être sans droit sur cette dernière et évoquent ainsi la notion d’enclave complète et relative.

4Malgré la concision de l’argumentaire des juges, il est intéressant de percevoir dans leur jugement une application stricte de la règle de droit reposant sur une assise théorique profonde. En se fondant sur l’équivocité et l’article 2261 du Code civil, les juges opèrent au sein même de leur cheminement intellectuel un retour à la théorie de la possession et donc aux composantes qui en font la substance : le corpus et l’animus. Au même titre que le corpus, la place de l’animus dans la réalisation de la possession est fondamentale puisqu’elle est le reflet de la volonté du sujet. Ainsi, pour que la possession soit reconnue, il faut que le possesseur démontre par son comportement la nature du droit dont il prétend pouvoir être titulaire, en l’espèce un droit de propriété exclusif. Si le contentieux concernant le corpus de la possession est fréquent dans nos juridictions, le cas de l’animus fait également les choux gras de la jurisprudence notamment au travers du concept d’équivocité, concept permettant d’invoquer un vice de la possession puisqu’entraînant une perte de l’animus domini. Toutefois, l’équivocité repose sur l’appréciation de l’état d’esprit du possesseur ce qui impose une analyse teintée de subjectivisme rendant le concept difficilement saisissable en pratique.

5L’équivocité est très souvent prônée par les parties aux procès pour espérer que le flou conceptuel qui l’entoure jouera en leur faveur. Dans le cas présent, il semble que les juges d’appel ont élaboré un raisonnement juridique qui ne peut soulever la controverse puisqu’ils ont appliqué la règle jurisprudentielle qui veut qu’une possession soit équivoque si des actes sont accomplis sur le bien par le possesseur en concurrence avec d’autres. Ainsi, les juges ont relevé le fait que l’appelant invoquait sur la parcelle une propriété exclusive, or l’exclusivisme se définissant comme une protection face aux tiers notamment par la possibilité d’interdire, le fait que les voisins aient pu user quotidiennement de la parcelle démontre bien qu’il n’y avait pas, durant la durée de la possession, un état d’esprit dénotant l’intention d’agir en tant que propriétaire exclusif. Il s’agit donc ici d’un arrêt qui, à défaut d’éclaircir véritablement le concept d’équivocité, en retient néanmoins une lecture quasi objective là où bien souvent le subjectivisme domine.

Arrêt commenté :
CA Lyon, chambre civile 8, 3 septembre 2013, n° 12/02410



Citer ce document


Victor Poux, «Application de la notion d’équivocité», BACALy [En ligne], n°4, Publié le : 13/02/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1157.

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