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Externalisation et reprise en gestion directe : non sans risque pour l’employeur

Annabelle Turc

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1La mise en œuvre du principe de maintien des contrats de travail a suscité un important contentieux. En effet, les tribunaux ont eu à connaître de nombreuses situations, pouvant ou non donner lieu à application de l'article L 1224-1 du Code du travail, comme dans cette affaire, jugée par la cour d’appel de Lyon.

2L’externalisation est l’action pour une entreprise de confier une partie de ses activités à un partenaire extérieur. Si cela ne présente pas de réelles difficultés, il en est autrement lorsqu’intervient la reprise en gestion directe d’une activité confiée précédemment à un sous-traitant.

3Les faits de l’espèce sont les suivants : le salarié, technicien de production a été embauché en CDD, par la société M, qui produit des vaccins pour animaux, du 5 juillet 2005 au 30 avril 2006.

4Dans le cadre d’une externalisation de la prestation de conditionnement des vaccins, il a été embauché le 5 octobre 2006 par la société T, sous-traitante de la société M, en qualité de technicien conditionnement.

5Contrainte de ne plus être autorisée à externaliser le conditionnement des vaccins à une société sous-traitante, la société M a mis fin à son contrat de prestation de services avec la société T, avec pour terme le 31 août 2011. La société M, donneur d’ordre, a ainsi repris cette prestation avec son propre personnel.

6Le 5 août 2011, le salarié a démissionné de ses fonctions exercées au sein de la société T, puis a été embauché par la société M à compter du 1er septembre 2011, en qualité d’assistant responsable d’équipe.

7Bien que son ancienneté ait été reprise à compter du 5 octobre 2006, fin de son CDD initial au sein de la société M, le salarié a été soumis à une période d’essai de 3 mois. Puis, à compter du 14 novembre 2011, malgré l’acceptation du salarié d’une modification de ses horaires de travail, en raison d’une baisse de production, la société M a mis fin à la période d’essai du salarié.

8Deux questions principales sont posées dans cette affaire. Premièrement, la période d’essai imposée au salarié, assurant des fonctions quasi similaires à celles exercées au sein de la société quelques années en arrière, est-elle abusive ? Deuxièmement, est-il possible de prévoir une période d’essai dans le cadre de l’application de l’article L 1224-1 du Code du travail ?

9Les juges du second degré considèrent que le salarié a démissionné à tort, dans la mesure où jouait le principe consacré à l’article L 1224-1 du Code du travail, alors que les juges du premier degré ont débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.

10Toute la difficulté est de déterminer, si l’activité assurée par le sous-traitant, constitue une entité économique autonome, permettant ainsi le transfert des contrats de travail en cas de reprise de l’activité par le donneur d’ordre, en application de l’article L 1224-1 du Code du travail.

11Selon une jurisprudence constante, l'article L 1224-1 du Code de travail s'applique à « tout transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise », (Assemblée plénière, 16 mars 1990, n° 89-45.730).

12En pratique, il y a transfert du contrat de travail lorsque deux conditions sont réunies.

13La première : l'entité transférée doit être une entité économique autonome. Rappelons qu’elle se définit comme « un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit des intérêts propres » (Cass. soc., 23 janvier 2002, n° 99-46.245, Cass. soc., 22 mars 2006, n° 03-44.941). Il découle de cette définition que le transfert peut aussi bien concerner une activité principale qu'une activité secondaire ou accessoire.

14La deuxième : l'entité transférée doit conserver son identité. Cette condition signifie que le nouvel exploitant doit poursuivre la même activité ou tout au moins une activité connexe ou similaire, susceptible de maintenir les emplois sans changement important des procédés de fabrication ou de commercialisation. En revanche, la condition n'est pas remplie si l'entreprise est cédée purement et simplement sans que l'activité ne soit reprise par le nouvel employeur ou si l'activité est éclatée entre plusieurs employeurs, (Cass. soc., 3 mars 2009, n° 07-45.641).

15En l’espèce, les juges ont reconnu que l’activité exercée par le sous-traitant représentait une entité autonome. L’entité transférée conserve son identité une fois reprise par le donneur d’ordre. Le recours à une entreprise extérieure par externalisation d’une activité et reprise de la gestion directe d’une activité confiée précédemment à un tiers, entre ici dans le champ de L 1224-1, dans la mesure où ces opérations s’accompagnent du transfert d’une entité économique autonome.

16Le salarié n’aurait donc pas dû démissionner.

17La rupture du contrat de travail est abusive dans la mesure où l’employeur a volontairement fait croire au salarié qu’il devait démissionner. Le transfert de l’entité économique autonome aurait dû s’opérer à la date à laquelle la Société M était en mesure d’en reprendre la gestion, soit au 31 août 2011, terme du contrat de la prestation de service. Ces dispositions sont d'ordre public et s'imposent donc à l'entreprise comme aux salariés, aucune des parties ne peut y déroger par un accord particulier.

18De surcroît, l’insertion d’une période d’essai au contrat de travail du salarié constitue également un abus de l’employeur, justifiant là encore, les dommages et intérêts dus pour rupture abusive et licenciement sans causes réelle et sérieuse. Non seulement, l’article L 1224-1 du Code du travail y fait obstacle, mais l’ancienneté du salarié au sein de la société et chez le sous-traitant démontre que le salarié avait les compétences requises pour exercer ses fonctions et que la période d’essai n’était pas légitime. La société M aurait pu en revanche, insérer au contrat une éventuelle période probatoire quant aux nouvelles tâches confiées au salarié, à savoir celle de management.

19La cour d’appel infirme le jugement rendu par le CPH. Elle condamne ainsi la société M au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, de congés payés y afférents, conventionnelle de licenciement et des dommages et intérêts pour violation des dispositions relatives au DIF, ainsi que des dommages pour licenciement sans causes réelle et sérieuse.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 16 avril 2014, n° 13/03670



Citer ce document


Annabelle Turc, «Externalisation et reprise en gestion directe : non sans risque pour l’employeur», BACALy [En ligne], n°5, Publié le : 24/07/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1108.

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À propos de l'auteur Annabelle Turc

Doctorante, chargée d’enseignement Université Jean Moulin Lyon 3


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