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Limites du devoir de conseil de l’expert-comptable

Aurélien Rocher

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1La responsabilité de l’expert-comptable ne saurait être engagée pour manquement à son devoir de conseil, si la liquidation judiciaire de son client résulte d’erreurs de gestion commises par ce dernier et que le professionnel avait déjà signalées. Cet enseignement déjà bien connu ressort de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 10 avril 2014, sur des faits dont la simplicité permet de rappeler les contours des obligations contractuelles à la charge de l’expert-comptable.

2Il apparaît ainsi qu’une société a été constituée par deux personnes physiques, Madame N et son compagnon Monsieur R, aux fins d’acquérir et exploiter un fonds de commerce de « presse – loto », l’expert-comptable étant intervenu exclusivement pour établir un projet prévisionnel en vue de l’obtention d’un financement bancaire sans être associé à la rédaction et la signature du compromis de vente.

3La société ayant été déclarée en liquidation judiciaire moins de deux ans après sa constitution, ses deux associés ont assigné l’expert-comptable en dommages-intérêts pour violation de son obligation de conseil. Déboutés en première instance, ils reprennent leurs arguments en cause d’appel, savoir :

4Le défaut de conseil envers l’exploitante, Madame N, du fait d’un prévisionnel incohérent au regard des précédents résultats de l’entreprise et des ratios habituels du secteur, du fait d’un manque de précisions quant à la particularité de ce commerce réputé pour sa faible rentabilité ;

5Le défaut de conseil envers le compagnon de l’exploitante, Monsieur R, puisque ce dernier aurait dû être conseillé, dans une optique d’économie fiscale, d’investir via sa société existante et non personnellement par apport en compte-courant.

6L’expert-comptable réplique en soulignant les nombreuses diligences effectuées par ses soins dans l’accompagnement de son client, en rappelant que son prévisionnel a été établi sur la base des seuls documents transmis, soit ceux relatifs uniquement au dernier exercice comptable, en insistant sur le mode de gestion inadéquat retenu par les associés.

7Au surplus, l’expert-comptable conteste avoir une quelconque responsabilité contractuelle envers Monsieur R.

8La cour d’appel rejette les prétentions de ce dernier au motif qu’il n’a pas établi avoir donné mission à l’expert-comptable de le conseiller sur ses investissements et manque donc à démontrer le caractère contractuel de son obligation.

9S’agissant du devoir de conseil envers Madame N sur les rendements de son investissement, il ressort des éléments produits que le professionnel du chiffre n’est pas intervenu dans la signature du compromis de vente du fonds et que sa cliente avait nécessairement été informée de la faible rentabilité de l’investissement, dès lors que le prévisionnel établissait, pour une rémunération mensuelle de 1 000 €, un bénéfice variant seulement de 764 € à 3 903 € entre la première et la troisième année d’exploitation.

10Au surplus, la pertinence de l’analyse chiffrée rendue par l’expert-comptable ne peut être remise en cause au motif qu’elle ne s’est fondée que sur les éléments comptables du dernier exercice clos, en prévoyant, pour la première année, un chiffre d’affaires de 75 000 €, avec bénéfice de 764 € et une rémunération chargée de la gérance de 16 200 €. Le dernier exercice avait enregistré un chiffre d’affaires de 74 507 €, avec résultat bénéficiaire de 8 746 et 3 224 € pour la rémunération chargée du personnel.

11Or, la liasse fiscale du premier exercice fait ressortir un chiffre d’affaires bien supérieur aux prévisions prudentes de l’expert-comptable de 112 809 €, le déficit constaté de 5 922 € s’expliquant par l’augmentation significative de la rémunération et des charges de la gérance, s’établissant à 32 876 €.

12Au surplus, l’expert-comptable produit des documents à même d’étayer qu’il a cherché à identifier les causes des mauvais résultats tout en formulant des conseils pour y remédier. Sont ainsi mentionnés des courriers de mission, des rapports d’audit identifiant les lacunes et précisant les actions à engager en termes de paramétrage et de gestion de la caisse, des stocks, inventaires et approvisionnements.

13L’expert-comptable a ainsi valablement informé la gérante « de la situation alarmante de l’entreprise, la nécessité de réduire les charges d’exploitation et d’assurer elle-même l’exploitation de son entreprise ».

14L’arrêt sous examen, s’il n’est pas particulièrement novateur, a le double intérêt de rappeler que tout expert-comptable doit pouvoir prouver :

- l’étendue contractuelle de la mission qui lui a été confiée ;

- la réalisation effective des diligences nécessaires à la bonne exécution de son obligation de conseil du client.

15Cette solution pouvant être étendue à tous les professionnels du chiffre et du droit, cet arrêt peut ainsi être utilement confronté à une récente décision de la Cour de cassation relative au devoir de conseil de l’avocat fiscaliste et qui avait pu considérer que ce dernier avait valablement informé son client des conditions à remplir pour bénéficier d’un régime fiscal de faveur, non pas au seul moyen d’une consultation officielle, mais au travers des divers documents qui lui avaient été remis, incluant notamment une présentation PowerPoint (Cass. civ. 1re, 9 avr. 2014, n° 13-14598)…

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e ch. civ., section A, 10 avr. 2014, n° 12/07837



Citer ce document


Aurélien Rocher, «Limites du devoir de conseil de l’expert-comptable», BACALy [En ligne], n°5, Publié le : 14/07/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1041.

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À propos de l'auteur Aurélien Rocher

Élève-avocat, DJCE de Lyon


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