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Insanité d’esprit de l’ex-époux et responsabilité du notaire

Stessy Tetard


1Suite à un divorce, l’acte de partage dressé par le notaire a été annulé en raison de l’insanité d’esprit de l’ex-époux. Cette annulation est préjudiciable à l’ex-épouse en raison notamment de la réévaluation à la hausse d’un bien immobilier et de l’indemnité d’occupation dont elle est redevable. Elle décide donc d’engager la responsabilité du notaire à l’origine de l’acte. Elle estime en effet qu’il a d’une part commis une faute de négligence au sens de l’article 1382 du Code civil, en ce qu’il n’a pas été suffisamment diligent lors de l’accomplissement de l’acte, et qu’il a d’autre part manqué à son obligation d’information en ne mentionnant pas l’existence d’une indemnité d’occupation dont son ex-époux était le créancier.

2Les juges de première instance ont accueilli favorablement la demande de l’ex-épouse. Le notaire interjette donc appel et conteste successivement les deux fondements sur lesquels sa responsabilité a été engagée. D’abord, sur la responsabilité civile délictuelle, il soutient qu’il n’a commis aucune faute lors de la signature de l’acte liquidatif car son client était en mesure de comprendre ce à quoi il s’engageait. En effet, il n’était soumis à aucun régime de protection et son médecin avait confirmé que son état de santé ne faisait pas obstacle à la régularité de l’acte. De plus, il conteste l’existence d’un lien de causalité entre la prétendue faute et le préjudice financier de l’ex-épouse. Il réfute également l’existence d’un préjudice indemnisable car le nouveau jugement « ne fait que rétablir les parties dans leurs droits ».

3Ensuite, sur le manquement à l’obligation d’information, il estime qu’elle n’a aucune conséquence financière puisque si l’ex-épouse ne s’était pas fait attribuer le bien pour lequel elle est aujourd’hui redevable d’une indemnité d’occupation, elle « aurait dû engager des frais pour son propre logement ».

4La cour d’appel infirme le jugement et rejette la responsabilité du notaire. Elle estime, concernant l’insanité de l’ex-époux, que rien ne permet d’affirmer que le notaire n’a pas été diligent lors de la rédaction de l’acte. À propos de l’indemnité d’occupation, elle considère que l’absence de mention dans l’acte ne suffit pas à constituer un manquement du notaire à son obligation d’information. De plus, comme la responsabilité du notaire n’a pas été caractérisée suite à l’annulation de l’acte, il n’y a pas de lien de causalité entre l’absence d’information délivrée par le professionnel et la fixation d’une indemnité d’occupation dans le nouvel acte de partage. Si cette décision ne suscite que peu de critiques concernant le manquement à l’obligation d’information du notaire, elle est discutable quant à la solution retenue à l’égard de l’insanité d’esprit de l’époux (I). Quant à la motivation des juges, elle est insuffisante à justifier leur position (II).

I/ Une solution incohérente

5L’insanité d’esprit d’une personne varie-t-elle en fonction des acteurs concernés ? Une personne pourrait-elle d’un côté obtenir l’annulation d’un acte sur le fondement de la théorie des actes juridiques, par la reconnaissance de l’altération de ses facultés mentales au moment de l’accomplissement de l’acte ? Et de l’autre, voir cette même altération écartée à l’égard des personnes ayant participé à l’acte ? C’est en tout cas le sentiment à la lecture de cette décision. L’insanité d’esprit de l’ex-époux a été caractérisée puisqu’elle a permis l’annulation de l’acte de partage, mais elle est niée en ce qui concerne la responsabilité du notaire à l’origine de l’acte. De ce point de vue, la solution semble doublement incohérente : d’une part, au regard des faits, d’autre part, au regard de l’application de la théorie des actes juridiques.

6Comment expliquer que pour un même acte, à un même moment, une même personne soit considérée comme n’étant pas saine d’esprit, de sorte que le juge prononce l’annulation de l’acte, et parfaitement saine d’esprit, rendant vaine toute tentative pour engager la responsabilité du notaire ? La réponse réside sans doute dans le fait que deux juges différents sont à l’origine de ces décisions contradictoires. On peut donc imaginer que le juge qui s’est prononcé sur la responsabilité du notaire ait étudié l’affaire sous un angle différent, ce qui l’a conduit à écarter l’insanité d’esprit. On ne peut d’ailleurs pas nier que l’enjeu n’était pas le même pour les deux juges. Le premier a pu facilement admettre l’insanité d’esprit dans un souci de protection de l’ex-époux, quand le second a pu la refuser pour ne pas jeter le discrédit sur le notaire. Mais quelles que soient les raisons invoquées, ces deux vérités judiciaires antinomiques ont pour effet de rendre imperceptible la réalité des faits. Il est donc impossible de déterminer si l’ex-époux était ou n’était pas – réellement – sain d’esprit.

7L’incohérence de cette décision ne se limite pas à l’appréciation de l’insanité d’esprit, elle s’entend également de l’application de la théorie des actes juridiques. En effet, les conditions pour obtenir l’annulation d’un acte lorsque la personne n’est pas placée sous un régime de protection sont très rigoureuses. Outre le fait d’apporter la preuve matérielle de l’insanité d’esprit, il faut également en apporter la preuve temporelle (art. 414-1 C. civ.). Autrement dit, il faut démontrer qu’à l’instant de la conclusion de l’acte, la personne concernée souffrait d’une altération de ses facultés. Si cette preuve est libre, elle est en pratique très difficile à rapporter. Pour remédier au risque de ne jamais pouvoir obtenir l’annulation des actes, les juges ont admis l’existence d’une période suspecte pendant laquelle la personne est présumée de pas être en pleine possession de ses facultés. La prise en compte de cette période est subordonnée à l’existence d’un état de fébrilité (la personne n’était pas saine d’esprit juste avant et juste après la conclusion de l’acte) qui laisse penser qu’au moment de l’accomplissement de l’acte litigieux, elle n’était pas en état de le conclure (Paris, 10 janv. 1969 ; Paris, 5 juill. 2007, AJ fam. 2007. 480, obs. L. Pécaut-Rivolier ; Dr. et patr. mai 2008, p. 80, obs. H. Fulchiron). En l’espèce, lorsque l’acte de partage a été dressé par le notaire, l’ex-époux était hospitalisé dans un centre psychothérapique. Cette situation laisse penser que les juges statuant sur l’annulation de l’acte ont présumé son état de faiblesse et admis que l’acte avait été conclu pendant la période suspecte afin de facilité son annulation. Or, cette décision aurait dû être prise en compte par les juges de la cour d’appel qui, procédant de la même manière, auraient dû imposer au notaire de rapporter la preuve que l’ex-époux, malgré son état de santé, avait bien été apte à consentir à l’acte. À l’inverse, ils mettent la preuve à la charge de l’ex-épouse et refusent de reconnaitre la responsabilité du notaire parce « qu’aucun élément n’établit l’insanité d’esprit de ce dernier lors de la signature de l’acte ». Deux remarques peuvent alors être formulées : les juges de la cour d’appel de Lyon n’ont pas tenu compte de la décision d’annulation d’acte pour insanité d’esprit rendue antérieurement ; en outre, ils ont ignoré le placement de l’ex-époux dans un centre psychothérapique laissant présumer l’altération de ses facultés mentales.

8Cette double indifférence des juges d’appel conduit à une solution incohérente que sa motivation ne parvient pas à éclairer.

II/ Une motivation insuffisante

9Le rejet de la responsabilité du notaire n’est pas sans éveiller un étonnement chez le lecteur, mais ses justifications auront pour effet de le rendre perplexe.

10Concernant l’insanité de l’ex-époux la cour d’appel retient quatre éléments à même, selon elle, de justifier l’absence de faute du notaire.

11D’abord, elle affirme que le jugement d’annulation de l’acte de partage « n’a pas autorité de la chose jugée à l’égard [du notaire], qui n’était pas partie à la procédure ». Ce motif est une application de l’adage res inter alios juridicata aliis nec nocet nec prodest (la chose jugée entre les uns ne peut nuire ou profiter aux autres) qui traduit la relativité de la chose jugée. Ainsi, le notaire ne peut se voir reprocher l’insanité de l’ex-époux constatée dans un jugement qui fait suite à une procédure dans laquelle il n’a pas été appelé à s’exprimer. Sous cet angle l’argument paraît censé, car il serait anormal de faire supporter à un tiers les conséquences d’un jugement dans lequel il n’a pas été en mesure de défendre ses droits. Pourtant, cette règle ne doit pas avoir pour effet d’ignorer la teneur du jugement.

12Ensuite, les juges soutiennent que l’ex-époux « n’était soumis à aucun régime de protection ». L’argument est fallacieux car il laisse entendre l’évidence : si l’ex-mari avait été sous un régime de protection, la responsabilité du notaire aurait été engagée. Dans ce cas, la faute du notaire n’aurait été que plus évidente. Si un tel régime avait été mis en place la question de l’application de la théorie des actes juridiques ne se serait pas posée et l’acte aurait pu être remis en cause conformément aux règles prévues par chaque régime. Il s’agit donc ici d’un faux argument tendant à déplacer le problème sur un terrain qui lui est étranger.

13Elle retient au demeurant que même placé dans un établissement psychothérapique, « sa sortie d’hospitalisation est intervenue quelques mois après la régularisation de l’acte critiqué, ce qui laisse apparaître qu’il se trouvait alors dans une phase d’amélioration de son état ». Là encore l’argument laisse songeur. En quoi l’amélioration de l’état du patient est un gage de son aptitude à consentir valablement ? Une amélioration ne préjuge pas d’un rétablissement suffisant pour conclure un acte aussi grave qu’un acte de partage. La raison ici invoquée par les juges semble davantage rhétorique et tend à convaincre du bien-fondé de la décision, même si en réalité elle ne fait que conforter l’absence d’argument irréfutable pour écarter l’insanité d’esprit.

14Enfin, la cour refuse de constater l’insanité d’esprit de l’ex-époux faute de preuve rapportée par l’ex-épouse. Elle retient qu’aucune pièce produite par cette dernière ne permet d’apprécier l’état de santé de son ex-mari au moment de la conclusion, « ni d’ailleurs au cours des périodes antérieures ou postérieures ». Cette position des juges pose une double difficulté. En premier lieu, elle interroge sur le jugement d’annulation de l’acte de partage puisqu’on peut penser que les juges ont été en possession des mêmes éléments pour conclure à l’insanité d’esprit de l’époux. Que faut-il comprendre ? Qu’ils ont été trop laxistes ? Qu’ils ont facilement admis l’insanité pour protéger l’époux ? Quoi qu’il en soit, il est curieux – sauf à tenir compte des enjeux différents (cf. supra) – qu’en présence des mêmes éléments probatoires des juges parviennent à des solutions totalement antinomiques. En second lieu, comme nous l’avons déjà dit, la cour reproche à l’ex-épouse de ne pas avoir apporté la preuve de l’état de santé de son ex-mari avant et après la signature de l’acte. Cependant, son placement dans un centre psychothérapique ne suffit-il pas à présumer l’altération de ses facultés ? Les juges n’auraient-ils pas dû faire jouer la présomption d’insanité d’esprit pour faire peser la charge de la preuve sur le notaire ? Sans doute, mais ils ont opté pour une solution plus rigoureuse, quitte à s’affranchir de la question centrale : l’ex-époux était-il en mesure de contracter cet acte ?

15Pour conclure, il semble qu’aucune des raisons invoquées par la cour n’échappe à la critique. Au contraire, chacune d’elle est discutable et semble traduire une prudence des juges à l’égard de la responsabilité du notaire.

Arrêt commenté :
CA Lyon, ch. 1, 21 janvier 2014, n° 12/07290



Citer ce document


Stessy Tetard, «Insanité d’esprit de l’ex-époux et responsabilité du notaire», BACALy [En ligne], n°5, Publié le : 14/07/2014,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1034.

Auteur


À propos de l'auteur Stessy Tetard

ATER en droit privé à l’Université Jean Moulin Lyon 3.


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