De Marivaux à Scribe : les illusions de l’identité

DOI : 10.35562/marge.250

Résumés

Du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux (1730) au Valet de son rival de Scribe (1816), quelles évolutions connaît la représentation de l’identité ? Si les deux intrigues s’avèrent déceptives pour les personnages, marqués par un déterminisme social et psychologique certain, l’émergence d’un sujet pluriel, déjà latente chez Marivaux, trouve chez Scribe à se manifester dans le recours à la métathéâtralité du faux valet mais vrai rival, dont le jeu avec la fiction révèle un espace de mouvance identitaire qui préserve quelque peu la légèreté d’une comédie marquée par ailleurs d’un cynisme éclatant et de codifications sociales et genrées très figées.

From Le Jeu de L’Amour et du Hasard of Marivaux (1730), to Le Valet de son rival of Scribe (1816), what are the evolutions of the representation of identity? If both intrigues are disappointing for the characters, who are determinated socially and psychologically, the plural subject, already present in Marivaux’s writing, appears through the theatre in the theatre of the wrong jack but real rival, whose playing with the fiction reveals a mobile identity which protect a little the lightness of a cynical comedy where social and gendered codifications are motionless.

Plan

Texte

En 1816, Scribe fait jouer Le valet de son rival, comédie inspirée du Jeu de l’amour et du hasard (1730) de Marivaux. Dans cette pièce, un colonel, Senneville, devance Beauclair, militaire de ses amis, appelé à épouser Lise, en usurpant son identité. Beauclair, ayant de son côté décidé de se faire passer pour valet après avoir vu la comédie de Marivaux et découvrant son rival dans la place, joue alors le rôle de valet de ce dernier. Le canevas est donc similaire à celui de Marivaux mais recouvre cependant des différences importantes : Lise notamment, contrairement à Silvia, n’use d’aucun stratagème et se trouve confrontée à deux prétendants également séduisants. Écartant Beauclair qui ne saurait trouver grâce à ses yeux sous son identité usurpée, Lise choisit Senneville qu’elle prend pour un bandit (ce qui est conforme à ses rêves romanesques) et qu’elle découvre au dénouement être le neveu d’un ministre.

De Marivaux à Scribe, quelles évolutions connaît la représentation de l’identité ? Chez Marivaux, c’est l’amour-propre qui semble sous-tendre la construction identitaire1, tandis que l’inconstance, corollaire de l’homme sensible, passionné, inquiet et en quête de soi parmi les autres, s’avère désormais indissociable de l’amour : la comédie a donc désormais partie liée avec le caractère insaisissable du « moi » et de ses désirs. Qu’en est-il chez Scribe ? En amenant les personnages, masculins notamment, à changer de costume, de nom, la dramaturgie permet-elle que se déploie en filigrane, dans cette comédie d’intrigue somme toute assez légère, un questionnement sur les soubassements et les enjeux des différentes composantes de l’identité personnelle ? Si certains personnages paraissent de fait très figés au point que toute découverte d’une identité autre, voire toute rencontre avec l’altérité de manière générale paraisse compromise ou illusoire, l’espace de la métathéâtralité ouvert par le jeu de l’échange des identités demeure peut-être le biais par lequel une identité composite, échappant à aux déterminations et aux catégories fixistes, bref au type même du personnage de jeune premier, puisse se manifester.

I. Le jeu de l’amour-propre exacerbé

Dans Le Jeu de l’amour et du hasard, la question de l’identité est au cœur de l’intrigue, puisque les deux jeunes premiers décident de jouer à être valets afin d’épier à son insu celui à qui ils sont destinés. Il s’agit donc à la fois de dérober son identité individuelle et sociale, de jouer à être autre et de découvrir qui est l’autre. On le sait, ce jeu aboutira à une surenchère dans l’illusion, Dorante découvrant dans un dénouement pour le moins grinçant que la soubrette pour qui il était prêt à tout risquer est en réalité la jeune fille de la maison qui l’a manipulé, sous les yeux de son père averti par le propre père du jeune homme de la machination prévue. Impossible en ce cas d’affirmer que l’échange des identités a pu éclairer les personnages sur leur identité personnelle, puisque chacun se montre au fond prisonnier de configurations familiales, sociales et fantasmatiques interdisant toute véritable rencontre avec soi ou avec l’autre2. Les constructions identitaires apparaissent bien comme ce qui constitue l’individu et ce qui se dérobe constamment.

Notre réflexion sur l’identité peut ainsi nous mener au bilan suivant : de manière générale l’identité personnelle repose toujours, chez Marivaux, sur la prééminence de l’amour-propre, valeur cardinale d’où procèdent toutes les autres, pour le dramaturge-philosophe. Cet amour-propre est à la fois moteur de l’action et désir de rencontrer l’autre sous le masque (Silvia veut savoir qui est vraiment son futur mari pour se préserver de mauvaises surprises), et ce qui fait obstacle à cette rencontre puisque pour Marivaux tous les sentiments dérivent finalement de l’amour de soi. La quête d’un savoir sur l’autre ou sur soi mène à une impasse, l’autre ne constituant qu’un écran de projection de désirs illusoires et de constructions imaginaires. La noble attitude de Dorante ne constitue ainsi qu’un jeu de rôles dont il est la première dupe3. L’amour-propre de Silvia, quoique justifié selon Jean-Paul Sermain dans une certaine mesure par la situation totalement inégalitaire des femmes au XVIIIe et un désir légitime donc d’inverser temporairement cette configuration, ne peut l’amener à savoir qui est vraiment Dorante puisque chacun est pris au piège d’une fausse image de l’autre, sublimée.

En revanche, l’échange des identités peut mettre en évidence une complémentarité entre identité des maîtres et identité des valets : nous avons montré ailleurs4 comment les premiers accèdent ainsi au désir, tandis que les seconds découvrent le passage par la culture et la représentation. L’identité sociale et personnelle des uns et des autres se trouverait en somme complexifiée et étoffée par cet échange de costumes qui donne l’occasion aux valets de tenir un langage de maîtres et aux maîtres de découvrir l’immédiateté du désir. C’est donc en dernier ressort le jeu dramaturgique fondé sur le dédoublement qui déploie une extension possible de la notion de l’identité. Celle-ci devient véritablement « plurielle », pourrait-on dire, dans la mesure où chacune s’enrichit de possibilités offertes par l’autre, sans que la fin de la comédie ne mette véritablement de terme à ce jeu de résonances. L’identité est donc d’ores et déjà à comprendre comme un processus tandis que le sujet empirique apparaît bien comme un sujet en quête de soi, agi aussi bien par son désir d’évincer les autres que par l’amour-propre de l’autre qui cherche également à assouvir ses intérêts – autre constitué ici par M. Orgon. L’identité est bien à concevoir sur fond de lutte des individus pour leur « gloire », dans la lignée du combat social mis en évidence par Thomas Hobbes, combat qui fait se heurter entre eux les désirs concurrentiels5.

II. Construction genrée et fixités des constructions identitaires

Dans la comédie de Scribe, l’intrigue est recentrée sur le point de vue masculin. Lise est l’enjeu du duel masculin et la femme est manipulée cette fois par les deux prétendants. Ainsi, il s’agit de savoir qui obtiendra la jeune fille, de Beauclair ou de Senneville.

Senneville
Mon hôte, grand bavard, m’apprend que mademoiselle d’Estival doit se marier à M. de Beauclair, jeune officier français ; qu’on n’a jamais vu le futur ; mais l’amitié, la parenté, les convenances, que sais-je enfin ? que tout est d’accord, et qu’on n’attend plus que le prétendu… Je laisse notre hôte au milieu de son récit ; je remonte en voiture, j’entre au château, je me dis Beauclair, tout m’est ouvert ; tu m’introduis, et je te dois la réussite de mon projet6.

De plus, la ruse est présentée comme la conséquence d’une première lutte pour une conquête, dont Senneville était sorti perdant :

Senneville
Oui, j’ai connu dans mes campagnes un M. de Beauclair fort aimable ; je me suis même trouvé avec lui dans une situation assez piquante. Nous étions rivaux sans le savoir…, et, comme le chevalier de Grammont, il m’obligea de lui servir de domestique, et de garder son cheval pendant qu’il en contait à ma belle.
Germain
Je vous connais ; vous vous êtes fâché ?
Senneville
Point du tout ; le tour m’a paru plaisant, et je lui renvoyai son cheval, en lui promettant de lui rendre la pareille si j’en trouvais l’occasion.7

Ainsi la femme devient-elle pur objet du désir, enjeu de la rivalité masculine mais jamais actrice. Le point de vue est inversé par rapport à Marivaux. La jeune fille est amoureuse, inquiète, naïve. Elle n’a aucune épaisseur psychologique et l’accent n’est pas mis sur la rencontre amoureuse elle-même, qui n’est en fait pas une donnée nouvelle ou inattendue. En effet, ce qui détermine le choix de Lise c’est un hors-scène : sa rencontre avec Senneville, alors inconnu, au cours d’un bal et le souvenir enchanteur qu’elle a gardé de cette rencontre. Ce souvenir est lui-même opacifié par les propos de Senneville, lequel présente son choix comme un pari totalement désabusé : s’il est le premier à faire sa déclaration, alors sous le coup du travail de l’émotion et de l’imagination, la jeune fille le choisira.

Germain
C’est bien… Que n’avez-vous aussi quelque bon ordre du ministre pour empêcher M. De Beauclair d’arriver !... car enfin tout se découvrira.
Senneville
Qu’importe ? je serai le premier venu ; le premier j’aurai dit à Lise que je ne puis vivre sans elle ; que depuis trois mois je l’aime, je l’adore… Me croyant son futur, elle ne s’offensera pas d’un tel aveu… A moins que son cœur n’ait parlé pour un autre, une jeune personne est toujours disposée à voir favorablement celui que ses parents lui destinent ; elle s’efforce de le trouver aimable ; elle cherche à l’aimer, et songe si elle pouvait commencer à en prendre l’habitude. On me découvrira, je le sais ; mais le coup sera porté, l’impression sera produite, et Beauclair arrivera trop tard.8

La jeune fille a en somme intégré les codes qui font d’elle une demoiselle bonne à marier. Son identité genrée est conforme aux canons de l’époque. L’identité féminine, uniforme et conforme à une image stéréotypée, est ainsi en accord avec l’absence de déguisement puisque seuls les deux hommes se déguisent ici. Hommes et femmes correspondent à des rôles fixés d’avance : l’homme est conquérant, séducteur, audacieux ; la jeune fille est réservée, timide, entière. Par ailleurs Lise manifeste une identité sociale suggérant comme chez Marivaux un enfermement dans un habitus9. De fait, elle se sent supérieure à toute figure de domestique et rabroue le faux valet qui la courtise, alors même que contrairement au valet de Marivaux, il s’agit là de son véritable prétendant. Le préjugé de classe constitue ici un obstacle à tout lien amoureux, identités genrée et sociale rendent impossibles toute vraie rencontre amoureuse. De fait, Lise accorde sa main à celui qu’elle croit être Beauclair et assassin. Elle est en somme, si nous transposons la situation, dans la situation du Dorante du jeu, qui croit épouser une suivante. L’effet de leurre (qui fait travailler l’imagination, le personnage croit vivre une aventure exceptionnelle et aimer un être hors du commun) procure en réalité à Lise un mariage avec un homme, neveu du ministre, à qui de fait tout est possible et dont on suppose qu’il aurait de toute façon obtenu Lise. Comme Dorante dans la comédie de Marivaux, Lise risque d’être très déçue au dénouement. Le travail de l’imagination contredit en conséquence les emprisonnements identitaires. La jeune femme apparaît comme prisonnière d’un travail sclérosant de l’imagination et d’une conscience de classe qui l’empêchent de voir l’autre en Jasmin. L’identité personnelle féminine est fondée à la fois sur un travail de l’imagination très stéréotypé (les lectures féminines, bandit) et un amour de soi prévalent, comme le prouve la scène de dispute au cours de laquelle Senneville accuse Lise de prêter attention au valet, ce qui la met très en colère – il y a un vrai comique de cette scène dans laquelle les deux personnages ne peuvent se comprendre, Senneville réagissant sous le coup de la jalousie. L’identité féminine, si elle hérite de la prégnance marivaudienne de l’amour-propre, perd en revanche toute l’ingéniosité et le travail fertile de l’imagination qui caractérisaient les héroïnes marivaudiennes10 et se présente comme une construction genrée sans surprise pour le spectateur11 ni pour les personnages.

L’identité genrée, fondée sur et légitimant la supériorité masculine et la fertilité de l’imagination virile, voue la femme à aller de déception en déception. Dans cet ordre d’idées, l’action dramatique se déroule conformément aux attentes de ceux qui apparaissent comme les personnages principaux, Senneville et Lise. Pourtant Beauclair et Senneville sont tous deux jeunes, beaux, spirituels, de bonne famille. Ils pourraient également plaire et théoriquement, Lise sera placée devant un choix que Silvia n’avait pas. Mais l’intrigue se déroule conformément aux prédictions de Senneville, puisque Lise ne se laisse pas séduire par le charmant valet, qu’elle regarde avec mépris. La jeune fille est conforme à la description qu’en fait Senneville, privée de mystère ou de surprise et le déguisement de Beauclair s’oppose finalement à tout succès possible auprès d’elle, au lieu de créer une épaisseur porteuse de possibles ou de nouveauté.

III. La lutte pour la reconnaissance

Du côté des hommes, il y a double déguisement et rivalité réelle, entre les maîtres donc, là où chez Marivaux il n’était question ni de choix ni de rivalité. Pas de choix possible en effet chez Marivaux, puisque Arlequin ne pouvait décemment constituer un rival de son maître. Cependant, nous l’avons vu, cette gémellité pointait du doigt, en filigrane, la constitution d’une identité plurielle, d’une subjectivité fondée sur une complémentarité des postures opposées de la parole. Chez Scribe, la représentation du même (le maître se dédouble en somme entre maître et valet) paraît ici insister sur une tautologie peu féconde : l’altérité est bien une mêmeté, réitération soulignée d’ailleurs par le souvenir de l’anecdote qui avait déjà fait se rencontrer les deux hommes autour d’une femme, laquelle avait vu triompher Beauclair. Cette inversion suppose que la place de l’un ou de l’autre homme est tout à fait indifférente et que les deux hommes s’équivalent au fond, comme le suggère le jeu étourdissant des lettres appartenant à Beauclair et dénonçant Senneville. Chacun est ainsi un visage de l’autre, luttant pour le même objet, à savoir la reconnaissance de sa valeur.

Peut-on savoir qui est l’autre ? Chez Marivaux, la fausse réponse à la question venait de l’effet de leurre : chacun croyait être amoureux d’un autre. Et sans doute, dans une certaine mesure, Dorante se découvrait-il in fine autre, capable d’un héroïsme inattendu. Ici, l’autre n’est, comme le suggère le titre de la pièce de Scribe, que celui qui suscite le désir du désir de l’autre, celui dont il s’agit de triompher ; il est aussi et en même temps, comme nous l’avons déjà suggéré, une fausse altérité, renvoyant à la fois au même (Senneville ne vaut pas mieux que Beauclair) et à l’ordre établi, aux constructions identitaires intangibles (Senneville est un faux bandit et un vrai colonel neveu du ministre, tandis que Beauclair est un faux valet, un vrai-faux assassin, n’ayant finalement même pas blessé son camarade et un vrai militaire séducteur).

Le désir du désir de l’autre constitue bien un vecteur de l’intrigue de Scribe. Dans un monologue indiquant son dilemme (scène 16), Senneville hésite à laisser le champ libre à Beauclair et son cri d’amour repose sur l’amour-propre blessé. Au fond, c’est la lutte entre les deux hommes qui donne tout son prix à Lise : on est dans le désir mimétique cher à René Girard. De fait, Beauclair ne dit jamais rien de ses sentiments éventuels pour Lise, qu’il a seulement entrevue, il est vrai, à la scène 7. Son monologue12 ne met l’accent que sur le plaisir de lutter pied à pied avec son adversaire :

Allons, M. de Senneville prend sa revanche… Après tout, c’est ce que je désire… Je voulais une épreuve, je ne pouvais pas mieux rencontrer. Un rival redoutable, qui a tous les avantages et qui sait en profiter… Quelle gloire si mon mérite pouvait percer à travers ma livrée !... (Gaiement.) Chimère des âmes tendres, bonheur d’être aimé pour soi-même, je pourrai donc vous réaliser une fois ; car à coup sûr, si je triomphe, ce ne sera pas à mon habit que je le devrai.

Ce que Beauclair recherche, c’est donc la possibilité de se prouver qu’il peut plaire pour lui-même, ce qui est une nouvelle manifestation d’amour-propre. Il tient les propos que tenait Silvia dans Le Jeu. Et que révèle finalement d’eux l’épreuve ? Que le plus fort a triomphé. Que Senneville a obtenu ce qu’il voulait, en triomphant de la rivalité mimétique (« Rien qu’en la voyant danser, je l’adorai. Dès que j’eus causé avec elle, je jurai qu’elle serait ma femme. »13) et que Beauclair est beau joueur et s’incline devant l’adversité sans qu’il soit question d’amour. C’est donc l’amour-propre là encore qui est la source des actes des protagonistes. En d’autres termes, l’identité individuelle masquée de Senneville, par la rivalité qu’elle occasionne, permet de donner libre cours aux fondements de l’identité personnelle, à savoir amour-propre, désir de reconnaissance et désir du désir de l’autre, violence et rivalité mimétique. Ceux-ci semblent constituer le vrai moteur de la relation amoureuse. Nous rejoignons ici la philosophie hobbienne, qui innerve, selon Babara Carnevali, toute la construction de l’individu moderne14.

Ici, cette référence trouve sa résonance dans la référence à l’agression qui a eu lieu hors-scène entre les deux jeunes gens, et qui charge implicitement la comédie de connotations brutales. Le meurtre évoqué, autre hors-scène, rappelle celui d’Œdipe-roi. Œdipe était le meurtrier de son père sans le savoir. Ici, Beauclair est dans la situation d’Œdipe, puisqu’il a tué il ne sait qui. Il est donc symboliquement dans la position de l’usurpateur et doit d’ailleurs quitter les lieux à la fin de la pièce, sous peine d’être arrêté. Que révèle cette référence omniprésente au dénouement ? Elle déplace hors scène la violence sous-jacente à l’intrigue, qui consiste à porter tous les coups possibles pour obtenir Lise (ce que fait Beauclair en donnant de son rival la pire image possible). L’amour est fondé littéralement sur une lutte à mort entre les deux hommes qui donne son prix au sentiment et à l’objet de la conquête. Le sentiment amoureux n’existe qu’en tant qu’il naît du réseau des désirs, du désir du désir de l’autre et du combat qui en résulte. La violence est très girardienne ici. Le sentiment est à l’image de l’identité des personnages : un leurre. Ainsi, sommé de se nommer, Beauclair se dérobe : la coïncidence avec soi-même, le nom, et ce qui l’accompagne, la possibilité d’obtenir Lise, sont moins importantes que la possibilité de se sauver, de poursuivre le jeu, l’aventure ou la destinée humaine, en se préservant soi-même. Beauclair demeure donc toujours un individu en mouvement, un individu plongé dans l’action15, notion chère aux moralistes du XVIIIe et qui trouve ici de beaux prolongements. Arrivant après Senneville, Beauclair s’adapte à la situation proposée, avant de quitter les lieux puis de revenir accompagné du notaire. Il est bien celui qui incarne la mobilité et, comme le personnage de Sophocle, il semble malgré tout en quête d’une identité qui ne cesse de se dérober.

IV. Émergence d’une identité plurielle

A priori pourtant, l’usurpation de l’identité ne semblait pas porteuse de promesses chez Scribe. Endossé au nom d’une subjectivité triomphante, sûre de son bon droit et trouvant sa caution dans une identité sociale bien assise, le jeu de masques ne paraît pas occasionner de nouvelles constructions identitaires dans ce canevas tout à fait prévisible. Au contraire, la fausse identité laisse entrevoir une identité individuelle construite sur des certitudes, un rapport au monde marqué par la possessivité et un amour-propre exacerbé, ainsi que le désir effréné de l’emporter sur l’autre. Scribe s’inscrit donc là, nous l’avons dit, dans cette logique hobbienne de la lutte pour la reconnaissance dont nous avons dégagé quelques fondements chez Marivaux.

Notons cependant qu’avec les personnages du « maître » et celui du « valet rival de son maître », nous avons affaire à deux modes d’action du sujet du désir : d’un côté nous voyons se manifester le désir aventureux/aventurier de s’emparer de ce qui n’est pas à soi ; de l’autre le désir de rencontrer l’altérité voire, par la médiation que constitue le costume du valet, sa propre altérité. L’individu souhaite percer sous le masque. Se présentent donc deux motifs bien distincts d’action, qui supposent deux rapports au monde : chez Beauclair la construction de soi se fait sur le mode imaginaire, celui de la fiction ou de la théâtralisation du réel. L’individu vise à la reconnaissance de ce qu’il est en passant par le recours à une fiction connue de tous, qui garantirait le succès de son entreprise. Ce choix suppose que soit mis en place un obstacle (l’identité de valet) que le jeune homme souhaite tenter de lever. Chez Senneville, le désir individuel vise simplement à se conforter dans sa légitimité : l’usurpation de l’identité, en prolongeant la rencontre qui a déjà eu lieu dans la danse, permet au désir réciproque de trouver une issue socialement correcte, puisque prendre l’identité de promis c’est déjà, potentiellement endosser celle de mari. Senneville, pourrait-on dire cyniquement, prolonge directement le sans-gêne d’Arlequin au sujet de « la cérémonie, qui est une bagatelle », remarque qui mettait Silvia hors d’elle dans une scène célèbre16.

La stratégie de Beauclair, nous l’avons observé, échoue à susciter le désir de Lise, qui ne saurait enfreindre une barrière sociale. Le refus de Lise suppose une construction identitaire sociale close. Mais que dévoile de l’identité individuelle de Beauclair ce choix du masque, au-delà de la force du désir mimétique qui le meut ? Le recours au théâtre, lieu de la mimesis, de l’illusion, peut-il faire émerger une rupture identitaire, ou encore un processus là où jusqu’à présent nous n’avons rencontré que pérennité ? De fait ce passage par l’illusion, donc par la métathéâtralité, se révèle pour le moins créatif. D’un côté, Beauclair, qui a attaqué un homme et sort de ses poches des lettres de ses conquêtes paraît également dans une identité genrée de mauvais garçon séducteur. Pourtant, le choix du costume de valet (corollaire du risque encouru à ne pas se dévoiler) et la manière dont il se moque de Senneville renouvellent profondément la relation à soi-même et à l’autre. En effet, confronté aux questions du père de Lise cherchant à savoir mieux qui est son gendre, Beauclair prend l’avantage sur son rival en le présentant comme un séducteur invétéré. Pour ce faire il sort de ses proches avec aplomb des lettres de ses propres conquêtes en les faisant passer pour celles de Senneville (qui rappelons-le a usurpé son identité). Or ce faisant, il se discrédite paradoxalement lui-même, tout en cherchant à l’emporter sur son rival17. En outre, en se représentant soi-même comme un mauvais garçon et un Dom Juan, il met à distance cette définition de soi qui prend de fait le statut de « représentation » et non celui de vérité essentialiste. Ce jeu sur le dédoublement et la mise à distance de soi, qui relève en même temps de la franchise et de la dissimulation, de l’aveu et du jeu, crée un rapport ludique à soi et à l’existence, qui diffracte l’identité en un faisceau de possibles et rend donc à cette notion sa complexité véritable18 : Beauclair est-il ou non un mauvais garçon ? Un pur séducteur ? Un rival dénué de scrupules ? Un véritable ami ? Un assassin ? En montrant les lettres il prend son rival à son propre piège, tout en respectant les règles du jeu. Se montrant offensif à l’intérieur du rôle qui lui est imparti, brouillant les pistes identitaires en instaurant une confusion totale entre Senneville et lui-même, Beauclair crée par rapport à soi une distance ludique et réflexive qui, par le travail de l’imagination et du jeu, s’avère propice à la manifestation d’une identité plurielle. Faux menteur mais vrai séducteur, faux brigand (grâce au jeu du hasard) mais vrai offenseur, Beauclair, faux valet rival de son maître, ouvre à l’intrigue un véritable espace de mouvance identitaire. Là où identité sociale et identité genrée sont source d’enfermement, l’identité individuelle de Beauclair, qui vole en éclats à la faveur de la situation dramaturgique, laisse transparaître une identité individuelle labile et dont le spectateur est le complice. En effet, ce dernier, lors de la scène des lettres, est le seul à pouvoir apprécier ce jeu de dupes. Le spectateur devient ainsi le témoin, ou le garant de la promesse – celle faite implicitement à Senneville de ne pas le trahir – promesse que Ricœur présente comme la manifestation de l’un des deux pôles constitutifs de l’identité, à savoir l’ipse, ou fidélité à soi-même à travers le temps en dépit des changements possibles affectant la personne19. Il y a donc à la fois fidélité à la parole donnée – à strictement parler Beauclair ne parle que de lui et dit une vérité qui ne concerne que lui, il ne dévoile rien de Senneville – et exhibition ludique des diverses composantes de son identité. L’identité ou continuité du « soi » se dit et se scelle dans ce oui à l’autre, en même temps qu’elle échappe définitivement à toute tentative de vouloir la fixer, grâce à ce passage par une métathéâtralité qui pointe du doigt sous le jeu de rôles attendu les tours de passe-passe occasionnés par la construction identitaire. Ce faisant, Beauclair se dissocie d’ailleurs de son ami dans la mesure où il utilise la situation pour se moquer de l’autre et de soi-même, ce que ne fera jamais Senneville que ses paroles et ses actes montrent plutôt assez inquiet et somme toute fort peu joueur. D’ailleurs il ne risque jamais rien à proprement parler, tandis que Beauclair lui risque de perdre Lise (qu’il perd en effet) ainsi que sa réputation. Ainsi Beauclair se montre-t-il non seulement mobile mais aussi inventif dans différents domaines – l’amour, l’amitié, la relation à son beau-père, la relation à soi – tandis que Senneville, lui, ne prend de pari avec Beauclair qu’une fois averti que son ami est recherché.

Si cette comédie échappe à toute vraie visée morale pour verser dans la comédie d’intrigue20, elle ne se désolidarise pas pour autant de sa matrice, la comédie marivaudienne, à plusieurs niveaux. Sur le plan de la construction dramaturgique et des relations interpersonnelles, les effets déceptifs qui attendent les personnages sont similaires, et tout droit venus des habitus mondains ou bourgeois susceptibles de faire croire aux personnages, l’espace d’un instant, qu’ils peuvent échapper pour partie à leur condition sociale et à leurs déterminismes. Pas plus que Marivaux, Scribe ne met les personnages en situation de frayer avec quelque inférieur social, contrairement à ce qu’avait amorcé en ce sens, sur le mode grotesque et subversif à la fois, Collin d’Harleville dans Malice pour Malice21. La question de l’identité, qui voyait d’une part émerger chez Marivaux un sujet pluriel à travers l’échange des rôles entre maîtres et valets, et d’autre part la construction d’un sujet empirique fondé sur l’amour-propre, l’imagination, la quête de soi assortie d’un désir d’emprise sur l’autre, trouve un prolongement assez direct chez Scribe. Le sujet pluriel ressurgit ici à l’occasion du travestissement et de l’espace de la métathéâtralité dont use avec brio Beauclair.

Certes les illusions identitaires font pour partie de cette comédie une pièce terriblement cynique, déroulant un déterminisme psychologique et social parfaitement huilé. Ainsi Lise choisit-elle un faux mauvais sujet pour assouvir son désir, sans laisser aucune chance à celui qui pourrait vraiment l’être, Beauclair, de la conquérir. Ce dernier, par ailleurs, brouille les pistes en acceptant les règles imposées par son adversaire et, ce faisant, se trouve pour partie victime de son goût du jeu. Senneville quant à lui, est, non pas fils de… mais neveu de…, un abuseur qui se donne des allures romanesques pour échapper à sa condition sociale, à laquelle il recourt cependant pour continuer à régner en maître – il demande ainsi l’appui de son oncle le Ministre, figure terrifiante, nommé plusieurs fois dans la pièce y compris au dénouement, pour rechercher celui qui l’a agressé. Seule la logique absurde, farcesque même à laquelle aboutit le jeu de Beauclair, produisant ses propres lettres pour discréditer son rival, confère à l’action dramatique un peu de légèreté et de fantaisie et produit ce décalage par rapport à soi qui laisse apparaître, subrepticement il est vrai, le vertige d’une identité plurielle et le choix de l’endosser, manifestation de la liberté individuelle22.

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Scribe Eugène, Le valet de son rival, Paris, Colas fils, Barba & Martinet, 1816.

Sen Amartya, Identité et violence, Paris, Odile Jacob, 2006.

Sermain Jean-Paul, « Le “Marivaudage”, essai de définition dramaturgique », Coulisses, n° 34, 2006.

Notes

1 Voir à ce sujet nos articles « L’amour-propre au fondement de la subjectivité dans la comédie du XVIIIe siècle » [en ligne], Malice, n° 2, avril 2012, disponible sur http://cielam.univ-amu.fr/node/254 ; « De l’amour et de ses surprises dans La Surprise de l’amour, La Seconde Surprise de l’amour et Le Jeu de l’amour et du hasard » in Catherine Ailloud-Nicolas (dir.), Marivaux : les préjugés vaincus ?, Paris, PUF, 2009, p. 23-51. Retour au texte

2 Pour éclairer ce que le père et le frère de Silvia appelleront une « insatiable vanité d’amour-propre », Jean-Paul Sermain a pu montrer que la femme dans la société du XVIIIe et dans le discours de Silvia, est « comme une servante » : l’artifice est en ce sens un moyen d’inverser la hiérarchie, de restaurer fantasmatiquement la dignité féminine. Mais cette restauration ne saurait durer que le temps du jeu. Le choix de l’identité d’emprunt, met également en évidence la naissance de l’amour comme leurre, lié à l’habitus : « Mais le marivaudage dramaturgique (tel que nous l’avons reconstitué ou plutôt construit), fait entendre un tout autre propos : l’inégalité entre l’homme et la femme dans le mariage (liée aux droits de l’homme et à sa double vie au foyer et en société) ne saurait être levée, tout au plus Silvia peut espérer une sorte de levée métaphorique de cet obstacle (dans le geste fou d’amour, lui-même passablement affaibli non seulement par son inscription dans un monde irréel, mais parce que l’amour tout entier est fondé sur un leurre : la perception de l’habitus mondain comme une vérité exceptionnelle chez une domestique). » in Jean-Paul Sermain, « Le “marivaudage”, essai de définition dramaturgique », Coulisses, n° 34, 2006, p. 121-122. Retour au texte

3 Voir l’analyse de René Démoris : « Il [Dorante] s’est cru héroïque et en somme l’a été, pour s’apercevoir ensuite qu’il a été manœuvré. ». René Démoris, « Violence et loi du père chez Marivaux », in Pierre Frantz (dir.), Marivaux : jeu et surprises de l’amour, Paris, PUPS, 2009, p. 171. Retour au texte

4 « Dédoublement et théâtralité : de la stratégie sociale à l’énigme du soi dans le Jeu de l’Amour et du Hasard », Revue Marivaux n° 5, 1995, p. 17-27 ; « Dissensions langagières et efficacité de la parole dans Le Jeu de l’Amour et du Hasard », Champs du signe. Sémantique, Poétique, Rhétorique, n ° 7, 1996, p. 89-104. Retour au texte

5 Pour un plus ample développement de cette question fondamentale, voir notre article « La coquetterie chez Marivaux ou “l’indécision de la vie” »[en ligne], Malice, n° 5, 7/02/2015, disponible sur http ://cielam.univ-amu.fr/publication/1416 Retour au texte

6 Eugène Scribe, Le valet de son rival, Paris, Colas fils, Barba, Martinet, 1816, scène 4, p. 9. Retour au texte

7 Ibid. p. 11. Retour au texte

8 Ibid. p. 10. Retour au texte

9 Voir sur ce point l’analyse de Jean-Paul Sermain, op. cit. p. 119 : « […] Silvia et Dorante sont ici les victimes aveugles du piège monté pour voir la vérité : ils sont amenés à méconnaître les effets de la bonne éducation et de l’aisance mondaine, d’autant plus marqués que toute la pièce repose sur la conscience de ces écarts sociaux et culturels, de ce qu’un valet peut gagner et un maître perdre par une mésalliance (c’est pourquoi la relation confusément amoureuse des valets joue un rôle important). » Retour au texte

10 Isabelle Ernot, « Des femmes écrivent l’histoire des femmes au milieu du XIXe siècle : représentations, interprétations » [en ligne], Genre & Histoire, n° 4, 2009, disponible sur http://genrehistoire.revues.org/742 Retour au texte

11 Voir, sur le statut des femmes au XIXe, l’analyse de Michèle Riot-Sarcey : « De Rousseau à Kant, de Kant à Hegel, les femmes restent étrangères à l’élaboration philosophique de la pensée moderne qui préside à l’organisation sociale et politique des sociétés. Au cœur de ce dispositif théorique, le statut de sujet leur échappe. […] De ce fait, placées au centre de la famille, les femmes sont la condition d’existence de l’ordre social dont la formation des règles leur échappe. », « Pouvoir(s) », Le genre en questions Pouvoir, politique, écriture de l’Histoire (recueil de textes 1993-2010), Créaphis éditions, 2016, p. 137. Retour au texte

12 Eugène Scribe, op. cit., scène 8, p. 20. Retour au texte

13 Ibid., scène 4, p. 8. Retour au texte

14 Barbara Carnevali, Romantisme et reconnaissance. Figures de la conscience chez Rousseau, Genève, Droz, 2011 : « Non seulement Hobbes a inscrit la question de la reconnaissance à l’ordre du jour de l’enquête anthropologique, mais il l’a désignée comme prioritaire et l’a articulée selon ses deux grandes lignes problématiques, à la fois sur son versant psychologique où elle permet d’interpréter l’anatomie et l’équilibre de l’âme humaine, le ‘système’ des passions, et sur son versant social où, l’amour-propre apparaissant comme une cause de conflit, elle introduit à côté du paradigme matérialiste de la lutte des intérêts le modèle alternatif et complémentaire d’une lutte intersubjective pour l’acquisition des biens symboliques. » ; Karine Bénac-Giroux, « La coquetterie chez Marivaux ou “l’indécision de la vie” », op. cit. Retour au texte

15 « Qu’il s’agisse de s’instituer comme sujet neuf dans un monde ou de se restituer comme sujet dans un monde neuf, ce qui fait un individu moral, ce n’est certes pas son intériorité, le fond de son cœur : c’est son histoire. Roman de jumeaux, d’orphelins, de naufragés : nous nous intéressons à l’aventure, à l’histoire, en tant qu’elle affecte la constitution de ces individus. », Martin Rueff, « Morale et mœurs », in Michel Delon (dir.), Dictionnaire européen des Lumières, Paris, PUF, 1997, p. 854. Retour au texte

16 « Arlequin : Un domestique là-bas m’a dit d’entrer ici, et qu’on allait avertir mon beau-père qui était avec ma femme.
Silvia : Vous voulez dire Monsieur Orgon et sa fille, sans doute, Monsieur ?
Arlequin : Eh oui, mon beau-père et ma femme, autant vaut ; je viens pour épouser, et ils m’attendent pour être mariés, cela est convenu, il ne manque plus que la cérémonie, qui est une bagatelle. »
Marivaux, Le jeu de l’amour et du hasard, in Théâtre complet, t. 1, Paris, Gallimard, 1993, p. 623. Retour au texte

17 « Beauclair : C’est une fureur, on se l’arrache… Les femmes le craignent, et les hommes ne peuvent pas le souffrir… C’est le jeune homme le plus à la mode de Paris. Eh ! parbleu, j’ai là une lettre d’une femme à laquelle j’étais chargé de répondre ; vous sentez qu’il ne peut pas suffire à tout. (Lui donnant une lettre et lui faisant lire l’adresse.) A Monsieur de Beauclair… Quel feu !... Vous verrez le délire de la passion !... le vague du sentiment. Ah ! ah !... vous connaissez cela ?.... » Le Valet rival de son maître, op. cit., scène 9, p. 25. Retour au texte

18 « L’identité peut se décliner en de multiples composantes : identité pour soi et identité pour autrui ; sentiment de soi (la façon dont on se ressent) ; image de soi (la façon dont on se voit, dont on s’imagine) ; représentation de soi (la façon dont on peut se décrire) ; estime de soi (la façon dont on s’évalue) ; continuité de soi (la façon dont on se sent semblable ou changeant) ; soi intime (celui que l’on est intérieurement)/soi social (celui que l’on montre aux autres) ; soi idéal (celui que l’on voudrait être)/soi vécu (celui que l’on se ressent être)… » Edmond Marc, « La construction identitaire de l’individu », in Catherine Halpern (dir.), Identité(s). L’individu, le groupe, la société, Auxerre, Sciences Humaines Éditions, 2009, p. 29. Retour au texte

19 « […] la fidélité à soi dans la parole donnée marque l’écart extrême entre la permanence du soi et celle du même, et donc atteste pleinement l’irréductibilité des deux problématiques l’une à l’autre. », Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, « Points », 1990, p. 143. Retour au texte

20 « On retient pourtant de Scribe son éloignement résolu vis-à-vis de toute orientation sociale ou morale de la comédie, sa prédilection pour la comédie d’intrigue héritée de Beaumarchais et de Picard. » Olivier Bara, « Figures d’esclaves à l’opéra. Du Code Noir à L’Africaine d’Eugène Scribe (1842-1865), les contradictions de l’imaginaire libéral », in Sarga Moussa (dir.), Littérature et esclavage : XVIIIe-XIXe siècles, Paris, Desjonquères, 2010, p. 113. Retour au texte

21 Voir à ce sujet notre article, « Quelques héritiers du marivaudage », in Catherine Gallouët et Yolande G. Schutter (dir.), Marivaudage : théories et représentations d’un discours, Oxford, Oxford University, Voltaire foundation, 2014, p. 165-178. Retour au texte

22 « La reconnaissance de cette identité plurielle, et de tout ce qui en découle, s’accompagne de la nécessité impérieuse de comprendre le rôle de notre choix dans la détermination de notre identité – forcément plurielle – et dans l’affirmation de sa pertinence. » Amartya Sen, Identité et violence, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 27. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Karine Bénac-Giroux, « De Marivaux à Scribe : les illusions de l’identité », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 12 février 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=250

Auteur

Karine Bénac-Giroux

Karine Bénac-Giroux est maîtresse de conférences habilitée à diriger les recherches en littérature française (9e-18e sections du CNU) à la faculté des lettres de Martinique (UA). Elle est coordonnatrice du GESCA, (Genre et société dans la Caraïbe, axe 3 de l’équipe FRACAGE du LC2S-UMR 8053) et chercheuse associée de l’IHRIM. Ses travaux portent sur la question de la subjectivité et de la réécriture dans la comédie du XVIIIe, sur les relations de Marivaux avec ses contemporains et héritiers, ainsi que sur les stéréotypes raciaux/genrés dans la danse contemporaine. Elle a notamment publié L’Inconstance dans la comédie du XVIIIe, Paris, L’Harmattan, 2010 et Destouches : masques et métamorphoses du moi, Rennes, PUR, 2011.

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