Laurent de Montchenu (1726-1802), commandant en second pour le roi en Vivarais et Velay : introduction à l’édition commentée de sa correspondance administrative pour les années 1788 et 1789

Laurent de Montchenu (1726-1802), second in command for the king in Vivarais and Velay : introduction to the commented edition of his administrative correspondence for the years 1788 and 1789

Texte

Ce travail totalise deux volumes et 1560 pages centrés sur Laurent de Montchenu, commandant en second en Vivarais et Velay entre 1780 et 1789. Le second volume présente 795 lettres échangées dans les années 1788 et 1789, toutes issues d’archives privées. M. Paysan à Tournon et M. Auzillion à Montpellier sont les deux secrétaires à qui Montchenu dicte sa correspondance. Ces lettres ont été transcrites avec l’orthographe d’époque, classées par ordre chronologique, et numérotées. Elles sont accompagnées d’un index pour les lieux et d’un autre pour les personnages. Ce corpus épistolaire dévoile la gestion d’une province par un commandant en second pendant les deux années prérévolutionnaires, donc dans un contexte difficile. Le premier volume introduit cette correspondance à travers trois axes principaux qui sont autant de parties : « La famille Montchenu de noblesse ancienne », « Servir en Languedoc », et « Bien gouverner en maintenant l’ordre public ».

Par sa fonction de commandant en second en Vivarais, Laurent de Montchenu s’inscrit dans la hiérarchie militaire propre au XVIIIe siècle. Le gouverneur du Languedoc de 1775 à 1788, le maréchal Louis-Antoine de Gontaut de Biron, est remarquable par son absentéisme. C’est Gabriel-Marie de Talleyrand Périgord (1726-1795), dit le comte de Périgord, qui le remplace en tant que commandant en chef de 1771 jusqu’en 1789. La fonction de gouverneur a été étudiée par G. Lasconjarias1, celle de commandant en chef également abordée, mais on ne trouve rien sur le commandant en second à part quelques lignes dans le travail de B. Durand2. Les subdélégués ont fait l’objet d’un travail de recherche par M. Schaeffer3 et B. Durand4. Ce travail a donc comme ambition d’éclairer la fonction peu connue de commandant en second.

La famille Montchenu fait partie de la noblesse dauphinoise dite immémoriale, comptant de nombreux serviteurs de l’État mais aussi de l’Église. Laurent est comte de Montchenu et baron de Châteauneuf-de-Galaure, deux villages situés à 14 km l’un de l’autre en Dauphiné, pays d’État, dépendant de la généralité et de l’intendance de Grenoble, du bailliage de Saint-Marcellin et du diocèse de Vienne. La famille Montchenu est constituée de cinq branches qui se succèdent ou se superposent du XIe au XIXe siècle. Leur histoire est marquée par les ruptures de filiation masculine et par le souci de conserver patrimoine et archives familiales, et de transmettre le nom par-delà les siècles. Laurent, né le 14 décembre 1726 à Châteauneuf-de-Galaure, fait une carrière militaire et est nommé maréchal des camps en 1780. Dès 1776, il demande sa retraite pour raison de santé. Il obtient un poste administratif : commandant du roi en Vivarais en 1780, et en Velay en 1785. Sa carrière se termine fin 1789. Il s’éteint à 76 ans à Paris, le 15 avril 1802, 25 germinal An X.

Les recherches sur la vie privée de ce noble provincial ont dévoilé un évergétisme à proximité du château familial : il améliore le « chemin de Galaure », pour relier la vallée de la Galaure au Rhône par un chemin carrossable, en faisant tailler un gros rocher qui empêchait le passage des voitures. L’affaire, commencée en 1774, est terminée en 1780. À la tête d’un patrimoine confortable, il possède des domaines dans la vallée de la Galaure, des rentes et des titres. On peut estimer son revenu annuel moyen autour de 50 000 livres vers 1780. Il est propriétaire d’une maison sise 16 rue de Bercy à Paris, et de l’hôtel Montchenu situé 35 rue du faubourg Saint-Honoré en 1791. Le château de Chateauneuf-de-Galaure est sa résidence dans le Dauphiné, proche du Vivarais ; Laurent l’embellit et l’agrandit entre 1770 et 1774. L’inventaire après décès fait état d’une bibliothèque de 1100 volumes. Montchenu réside alternativement à Châteauneuf-de-Galaure et à Tournon, siège de son commandement. Il se marie en juillet 1763 avec Marie Angélique Busson de Bussy, fille du conseiller au présidial de Bourges, premier président et trésorier au bureau des finances de la généralité de Bourges. Elle apporte une dot de 200 000 livres, autant dire que c’est un beau mariage.

En tant que commandant en second, Montchenu reçoit ses ordres des secrétaires d’État à la guerre, et du commandant en chef, le comte de Périgord. Il travaille aussi avec le vicomte de Cambis (1727-1798), commandant en second à Montpellier. Il est aidé par le commandant particulier de Pradelles : Jean Bruno Frévol de La Coste (1728- 1808) et les subdélégués du commandement ainsi que la maréchaussée, avec qui Montchenu entretient de bons rapports. Grâce aux échanges épistolaires, on peut suivre le cheminement type d’une plainte et constater que Montchenu est attentif à ne pas outrepasser ses pouvoirs, ne voulant pas empiéter sur les autres administrations.

Huit thèmes ont été choisis pour classer les problèmes abordés dans la correspondance. Le plus important est la sécurité publique, subdivisée en moyens pour faire régner l’ordre, et dangers qui affectent la société. Ces dangers sont beaucoup plus importants en 1789 avec les émotions qui éclatent dès le printemps. La vie militaire constitue le coeur de métier du commandant en second avec les transferts de troupes en 1788, ordonnés par Versailles. En économie, dominent très nettement l’affaire des grains et la révolte contre le droit de leyde en 1789. Montchenu est sollicité pour la justice : il prononce des peines, ou envoie des ordres pour élargissement. Il reçoit les nouvelles du Vivarais, de Paris et Versailles ainsi que les nouvelles de politique extérieure grâce à son réseau d’informateurs. Dans le thème personnel, Montchenu intervient pour favoriser des carrières. Le thème société englobe surtout les compliments pour la nouvelle année. Les mœurs sont à peine abordées.

L’analyse de la correspondance dévoile les problèmes militaires gérés par Montchenu pour 1788 et 1789, essentiellement les relations difficiles entre troupes et pouvoir municipal et judiciaire. Il a sous ses ordres différents régiments qui se succèdent en Vivarais : Corse, Pyrénées, Soissonnais, Roussillon et Vosges, mais le nombre de soldats est insuffisant en cas de troubles. Avec l’affaire des grains en mars-avril 1789 et la période de soudure, les chargements de grains sont attaqués dans tout le Vivarais. La maréchaussée est dépassée et Montchenu impuissant. La Grande Peur empire les problèmes habituels en juillet 1789. Elle arrive par le Dauphiné, et se répand en Vivarais. Devant l’incurie de l’État, les populations mettent sur pied des milices bourgeoises, posant la question du réarmement et de la difficile entente entre milices bourgeoises et militaires professionnels. Montchenu préconise de mélanger les deux pour faciliter la bonne entente. Face à la situation qui lui échappe et tourne au chaos, il est soulagé par ces initiatives.

Le comte de Montchenu est responsable de l’ordre public dans sa province. Le Vivarais (aujourd’hui l’Ardèche) est une province montagneuse, pauvre, l’agriculture est vivrière et insuffisante. Cette pauvreté encourage la contrebande et le banditisme. Jean-Baptiste Degout dit La Champ, natif de La Souche, est le brigand contrebandier que Frévol de La Coste compare à Mandrin. L’activité de Degout débute avec l’affaire des Masques Armés en février 1783, et l’homme disparait des écrits en 1796. Bien organisé, ayant de nombreux appuis, Degout bénéficie d’espions efficaces qui l’avertissent des guets-apens tendus par Frévol de La Coste, ce qui le rend insaisissable. Une forme d’omerta le protège. Montchenu ne fait pas beaucoup d’efforts pour aider Frévol de La Coste, refusant d’envoyer des renforts dans un premier temps, puis acceptant d’établir un détachement à La Souche. Outre le banditisme, les questions du port d’armes et du désarmement sont récurrentes, mais ce dernier s’avère inutile puisqu’en 1789 le réarmement est autorisé. Les insultes et incivilités font partie du quotidien du Vivarais et du Velay. La jeunesse, regroupée en bandes, aime affronter celle des villages voisins selon « d’anciennes rancunes », ce qui fait penser à des vendettas. Le droit de leyde, levé par la famille Fay Maubourg à Privas, est contesté violemment en février 1789, et débouche sur une émeute. La cherté des grains est relatée en mars 1789 : les chemins sont fermés à cause de la neige. Une quinzaine de communautés en est affectée jusqu’en mai. Des mini-Grandes Peurs apparaissent en avril 1789 en Vivarais avec des bruits qui courent très variés. L’attaque de trois châteaux et d’une abbaye est relatée dans la correspondance. Montchenu n’a aucun moyen militaire pour réagir. Son commandement évolue lorsqu’il remplace le comte de Périgord à Toulouse du 13 septembre au 8 novembre 1788 : en plus des problèmes similaires à ceux du Vivarais, Montchenu organise le retour des parlementaires exilés par le comte de Périgord sur ordre du Roi, en veillant à faire régner l’ordre.

En tant que commandant en second en Vivarais et Velay, Laurent de Montchenu administre les affaires courantes à Tournon. Mais il fait également trois remplacements à Montpellier, et un à Toulouse, ce qui change sa routine. En Vivarais, il peut s’appuyer sur une équipe efficace : les subdélégués et les juges qu’il connait bien. Les subdélégués sont plutôt « ses yeux et ses oreilles », la maréchaussée constitue « ses bras et ses jambes », tous étant hommes de terrain. Par la correspondance transitent les informations de toutes espèces, mettant Montchenu au courant de tout ce qui se passe. C’est aussi un moyen pour affirmer sa sociabilité, Montchenu étant un relais entre les quémandeurs et ses supérieurs hiérarchiques. Ce « royaume de papier » est exigé par le service du Roi et indispensable à l’administration.

Montchenu supervise donc des affaires très variées : affaires de mœurs, brigandage, contrebandiers, insultes, rixes, armement, problèmes dus aux cabarets, jeunesse difficile à canaliser. En 1789, il doit sécuriser les approvisionnements en grains. La Grande Peur entraîne l’éclosion des milices bourgeoises, que Montchenu tente de canaliser. Pour l’affaire du droit de leyde, il demande avis au comte de Périgord ; pour la circulation des grains, il se tourne vers l’intendant Ballainvilliers ; il soutient les demandes de serment durant l’été 1789, et porte lui-même la cocarde. Il doit bricoler des solutions face aux difficultés, par manque de moyens. Son action en tant que commandant en second est toute de pondération, dialogue, prudence et fermeté. C’est un homme posé. Il fait appliquer les ordres reçus, et gère les faits divers du Vivarais. On ne peut taxer Laurent de Montchenu d’une sévérité excessive, au contraire il sait faire preuve d’indulgence quand il le faut, il use avec modération des peines à sa disposition, voulant éviter d’être trop rude afin d’écarter tout risque de rébellions en Vivarais. S’il gère à peu près les révoltes frumentaires, il est débordé par la Grande Peur.

Le Vivarais apparait dans ce corpus comme une province rétive à l’autorité, conservant ses habitudes ancestrales de port d’armes, marquée par une insécurité chronique dans les montagnes éloignées de la vallée du Rhône. Cette indocilité est incarnée par le bandit contrebandier Jean-Baptiste Degout. Laurent de Montchenu apparait finalement comme un homme de compromis recherchant l’harmonie sociale et évitant les conflits. Mais ce personnage demeure en partie une énigme comme le montre le portrait de Carmontelle en 1768 : représenté debout dans un parc arboré, allant de l’avant, il est retenu dans son élan par sa femme qui attrape les basques de son habit de gentilhomme.

Thèse d’histoire moderne, soutenue le 11 décembre 2015 à l’Université Jean Moulin-Lyon 3

Jury : M. Lucien Bely (Université Paris IV-Sorbonne), M. Olivier Chaline (Université Paris IV­ Sorbonne), M. Bernard Hours, (Université Jean Moulin Lyon 3, directeur), M. Philippe Martin (Université Lumière Lyon 2).

Accéder en ligne : https://scd-resnum.univ-lyon3.fr/out/theses/2015_out_de_lambert_breghot_du_lut_f_vol1.pdf, https://scd-resnum.univ-lyon3.fr/out/theses/2015_out_de_lambert_breghot_du_lut_f_vol2.pdf

1 G. Lasconjarias, Un air de majesté, gouverneurs et commandants dans l’Est de la France au XVIIIe siècle, Éditions du comité des travaux

2 B. Durand, Les commandants en chef en Languedoc, Montpellier, 1964, D.E.S. d’Histoire du Droit.

3 M. Schaeffer, Les subdélégués en Languedoc, Montpellier, sans date, D.E.S. d’Histoire du Droit.

4 B. Durand, Les subdélégués de l’intendance et du commandement en Languedoc au XVIIIe siècle, Montpellier, octobre 1963, Mémoire pour l’obtention du

Notes

1 G. Lasconjarias, Un air de majesté, gouverneurs et commandants dans l’Est de la France au XVIIIe siècle, Éditions du comité des travaux scientifiques, Paris collection CTHS Histoire, 2010.

2 B. Durand, Les commandants en chef en Languedoc, Montpellier, 1964, D.E.S. d’Histoire du Droit.

3 M. Schaeffer, Les subdélégués en Languedoc, Montpellier, sans date, D.E.S. d’Histoire du Droit.

4 B. Durand, Les subdélégués de l’intendance et du commandement en Languedoc au XVIIIe siècle, Montpellier, octobre 1963, Mémoire pour l’obtention du diplôme de Droit public.

Citer cet article

Référence électronique

Frédérique De Lambert Breghot du Lut, « Laurent de Montchenu (1726-1802), commandant en second pour le roi en Vivarais et Velay : introduction à l’édition commentée de sa correspondance administrative pour les années 1788 et 1789 », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2016 | 1 | 2018, mis en ligne le 12 juillet 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=167

Auteur

Frédérique De Lambert Breghot du Lut

LARHRA, UMR 5190

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