Principes et fonctions de la métaphore en langue de spécialité dans un cadre cognitiviste

Théorie et étude des métaphores de la crise économique (allemand, anglais, français)

DOI : 10.35562/elad-silda.412

Abstracts

Cet article présente la vision cognitiviste de la métaphore et de ses utilisations, notamment en langue de spécialité. Il ne s’agit nullement d’une étude de corpus, fondée sur un nombre important de discours de spécialité spécifiques, mais plutôt d’une introduction aux différents courants et principes structurant la théorie de la métaphore conceptuelle. La première partie expose les principes fondateurs de la linguistique cognitive et la vision qu’elle propose de la métaphore : le processus métaphorique n’est pas seulement linguistique, mais découle de la cognition humaine qui a – entre autres – pour caractéristique d’établir des analogies entre des domaines conceptuels assez, voire totalement différents. Après une brève description des principales fonctions dévolues à la métaphore, la seconde partie de l’article aborde la question de la métaphore appliquée aux langues de spécialité. Ces fonctions seront plus particulièrement détaillées et illustrées par le biais d’énoncés métaphoriques empruntés au domaine de spécialité de la crise économique en anglais, en allemand et en français.

Der vorliegende Beitrag beschäftigt sich mit dem kognitivistischen Ansatz der Analyse von Metaphern sowie deren Verwendung in den Fachsprachen. Dabei handelt es sich nicht um die Analyse eines umfangreichen Korpus von Fachdiskursen, sondern vielmehr um eine Ein-führung in die Grundlagen und unterschiedlichen Ausprägungen der konzeptuellen Metaphern­theorie. Im ersten Teil des Beitrags werden die grund­legenden Annahmen der kognitiven Linguistik sowie deren Vision der Metapher skizziert. Der Prozess der Metaphern­verwendung ist nicht allein linguistisch verortet, sondern in Kognitionen begründet, die als wesentliches Charak­teristikum beinhalten, Analogien zwischen sehr oder sogar völlig unter­schiedlichen Domänen herzustellen. Im Anschluss an eine kurze Präsentation der grund­legenden Funktionen der Metaphern­verwendung geht es im zweiten Teil des Beitrags um deren Rolle in den Fachsprachen. Diese wird am Beispiel der Metaphern­verwendung bei der Beschreibung der ökonomischen Krise in englischen, deutschen und französischen Quellen behandelt.

This article is intended to be a short introduction to the cognitive approach to metaphor and its applications, notably in languages for specific purposes. It is not meant to be a corpus study, which would be based on a variety of discourses for specific purposes, but rather an introduction to the different trends and principles that structure the Conceptual Metaphor Theory (CMT). The first part presents the founding principles of Cognitive Linguistics and the vision of metaphor it established: the metaphorical process is more than a purely linguistic phenomenon as it ensues from human cognition, which is partly characterized by its capacity to establish analogies between different conceptual domains. The first part consists in a short description of the main functions of metaphors; the second part of the article deals with the question of metaphor as applied to languages for specific purposes. The functions of metaphor are further detailed and illustrated by metaphorical statements that were borrowed from the subject field of the economic crisis in English, German, and French.

Index

Mots-clés

cognitif, métaphore, linguistique, cognition, fonction, pensée, métaphore conceptuelle, métaphore linguistique, domaine conceptuel, langue de spécialité

Keywords

cognitive, metaphor, linguistic, cognition, function, thought, conceptual metaphor, linguistic metaphor, conceptual domain, specialized language

Schlagwortindex

kognitiv, Metapher, Linguistik, Kognition, Funktion, Denken, konzeptuelle Metapher, linguistische Metapher, konzeptuelle Domäne, Fachsprache

Outline

Text

Even special languages are characterized by metaphor, and journalistic language abounds in “literary” devices such as alliteration and word-play. It is all a question of quality and intensity, not one of a basic difference. [Snell-Hornby 1988 : 51]

Introduction

Cet article propose de présenter la vision cognitiviste de la métaphore et de ses utilisations, notamment en langue de spécialité. Il ne s’agit pas principalement d’une étude de corpus, fondée sur des discours de spécialité spécifiques, mais avant tout d’une introduction générale aux différents courants et principes structurant la théorie de la métaphore conceptuelle appliquée aux discours de spécialité.

La première partie exposera les principes fondateurs de la linguistique cognitive et la vision qu’elle propose de la métaphore, à savoir que le processus métaphorique n’est pas uniquement linguistique, mais découle de la cognition humaine qui a pour caractéristique – entre autres – d’établir des analogies entre des domaines conceptuels différents, pour tout ou partie.

Après une brève description des principales fonctions dévolues à la métaphore, la seconde partie abordera la question de la métaphore appliquée aux langues de spécialité. Ces fonctions seront plus particulièrement détaillées et illustrées par le biais d’énoncés métaphoriques empruntés au domaine de spécialité de la crise économique en anglais, en allemand et en français. Ce domaine de spécialité a été choisi tout d’abord car il est représenté dans ces trois langues, aussi bien dans la presse spécialisée en économie que dans la presse généraliste. Le choix s’est porté sur des articles tirés de The Telegraph, Investment News, Financial Time, City A.M., en anglais, Le Nouvel Économiste, L’Écho, Les Échos, en français, Der Spiegel, Die Berliner Zeitung, Die Welt, Business Insider Deutschland, en allemand. Ce mini-corpus a permis d’avoir un panel représentatif des fonctions jouées par la métaphore pour référer à, mais également structurer, ce domaine de spécialité que représente la crise économique.

Finalement, la troisième et dernière partie illustrera l’un des principes généraux de la théorie de la métaphore conceptuelle, à savoir le fait que les métaphores linguistiques découlent des métaphores conceptuelles qui structurent leur existence même. Nous tenterons ainsi de mettre au jour les réseaux de métaphores conceptuelles structurant les métaphores linguistiques de la crise économique dans notre corpus de textes en anglais, allemand et français, en analysant non seulement les métaphores linguistiques de la crise économique, mais également quelques métaphores visuelles qui lui sont souvent associées.

1. Présentation du cadre théorique de la linguistique cognitive pour les études métaphoriques : principes généraux

Dans cette première partie, les grands principes de la linguistique cognitive pour les études métaphoriques seront présentés sous forme de points principaux. Nous procéderons en partant du principe le plus ancien chronologiquement parlant (le divorce avec la linguistique d’obédience chomskienne), pour aller vers les principes plus récents. Cet article se concentrera essentiellement sur la théorie de la métaphore conceptuelle (Conceptual Metaphor Theory, CMT à présent) et, de ce fait, nous n’aborderons pas d’autres théories cognitivistes, comme la théorie de l’intégration conceptuelle (blending theory), qui découle en partie de la théorie de la métaphore conceptuelle mais qui permet d’étudier d’autres phénomènes linguistiques que la métaphore. Nous avons dans la mesure du possible classé les principes non pas par ordre de priorité – ils sont en effet tous définitoires de la linguistique cognitive – mais plutôt par ordre logique et chronologique, puisque chaque principe découle du précédent.

1.1. Émergence de la linguistique cognitive dans les années 1980

La théorie cognitive, comme son nom l’indique, s’intéresse aux processus de cognition, à savoir à tous les moyens que l’homme met en œuvre pour pouvoir connaître, c’est-à-dire appréhender et comprendre1 le monde dans lequel il vit. Nous appellerons donc « cognitif » tout processus mental associé, d’une manière générale, à la compréhension, mais encore à la formulation de croyances et à l’acquisition du savoir. Il importe de noter immédiatement que le sens donné au terme « cognition » est différent selon que l’on se situe en linguistique cognitive ou en linguistique d’obédience chomskienne. Dans le cadre de cet article, nous nous situerons résolument dans une perspective cognitiviste.

La théorie cognitive est née en réaction à ce que l’on nomme communément depuis les travaux de Lakoff et Johnson « l’objectivisme », à savoir la vision traditionnelle qui voit le sens comme résultant d’une interaction entre les mots et le monde, éliminant par là même toute organisation cognitive du système linguistique. La théorie cognitive ne s’intéresse donc pas au monde extralinguistique préexistant, « objectif », mais à la perception nécessairement subjective qu’en a un individu2, et qui crée notre système linguistique, comme le rappelle Sweetser [1990 (1998) : 2] :

A cognitively based theory […] takes not the objective “real world”, but human perception and understanding of the world to be the basis for the structure of human language.

Il s’agit donc d’une vision relativiste du langage, opposée à l’objectivisme tel qu’il pouvait être à l’œuvre en linguistique d’obédience chomskienne. En ce qui concerne les études métaphoriques, ce courant est essentiellement représenté par Lakoff, Johnson, Sweetser, Fauconnier, Rosch, Turner, Goatly, Kittay, Langacker, Rohrer, Gibbs, Kövecses… pour n’en citer que certains, même s’il importe de noter que des précurseurs ont permis l’émergence de ce courant, à savoir Richards dans les années 1930, et Black dans les années 1960.

1.2. Omniprésence de la métaphore au fondement de la pensée, de la cognition : une réalisation conceptuelle avant d’être une réalisation linguistique

Selon la linguistique cognitive, et pour reprendre le titre de l’ouvrage emblématique de Lakoff et Johnson (Metaphors We Live By, traduit en français par Les Métaphores dans la vie quotidienne)3, la métaphore est « omniprésente dans la vie quotidienne ». Elle permet ainsi de faire sens du monde environnant :

The essence of metaphor is understanding and experiencing one kind of thing in terms of another. [Lakoff et Johnson 1980 : 5]

La linguistique cognitive estime que la métaphore n’est pas un phénomène marginal et uniquement linguistique, voire essentiellement rhétorique ou littéraire, mais se situe au fondement même de la pensée, comme l’ont montré Lakoff et Johnson [1980 : 153] :

Metaphor is primarily a matter of thought and action and only derivatively a matter of language.

Ou Sweetser [1990 (1998) : 17] :

Linguistic usages frequently reflect our inherently metaphorical understanding of many basic areas of our lives; that is, not merely language but cognition (and hence language) operates metaphorically much of the time.

Il importe de rappeler que des précurseurs tels Richards dès les années 1930 considéraient la métaphore comme principe organisateur de la pensée [Richards 1936 (1964) : 94]. La vision cognitiviste de la métaphore s’oppose ainsi à la vision lexicaliste, telle que popularisée par Aristote, également connue sous le nom de modèle de la substitution lexicale : selon ce modèle, la métaphore se situe uniquement au niveau du mot, et c’est cette vision purement rhétorique et stylistique que l’on retrouve chez Fontanier [1821-1830 (2009)], pour qui la métaphore se réduit à une figure de style. En cela, la vision cognitiviste s’oppose également à la version de la similitude, selon laquelle la métaphore ne serait qu’une comparaison abrégée. En revanche, selon la théorie cognitiviste, la métaphore ne s’établit pas au niveau des mots, mais au niveau du transfert conceptuel, c’est-à-dire de la relation entre les domaines sources et les domaines cibles4. C’est essentiellement à Black que l’on doit le modèle dit interactif ou interactionnel (« interaction view of metaphor » [Black 1954-1955 : 285]), qui a débouché sur la CMT. Pour cette raison, la métaphore est omniprésente dans nos systèmes conceptuels5, et par conséquent, dans nos systèmes linguistiques, comme l’illustre la citation de Lakoff et Johnson [1980 : 3] :

Metaphor is for most people a device of the poetic imagination and the rhetorical flourish – a matter of extraordinary rather than ordinary language. Moreover, metaphor is typically viewed as characteristic of language alone, a matter of words rather than thought and action. For this reason, most people think they can get along perfectly well without metaphor. We have found, on the contrary, that metaphor is pervasive in everyday life, not just in language but in thought and action. Our ordinary conceptual system, in terms of which we both think and act, is fundamentally metaphorical in nature.

Ainsi, le principe de base de la linguistique cognitive est-il le suivant : la métaphore, avant d’être une réalisation linguistique, est un outil cognitif, conceptuel, car notre système de pensée, notre système conceptuel est par définition métaphorique ; c’est justement cette propension conceptuelle et cognitive qui permet les métaphores linguistiques, mais aussi les métaphores visuelles (dans la publicité par exemple), etc. La métaphore est donc loin d’être un simple ornement ou un « fard ornemental » [Oliveira 2009 : 13], et ne saurait se limiter à la seule fonction esthétique, poétique, littéraire, car elle est trouvée dans tout type de discours – dont les discours de spécialité – avec certes des fonctions souvent différentes, comme nous le verrons en deuxième partie. Lakoff et Johnson ont ainsi montré que le système conceptuel est par nature métaphorique, et que c’est justement ce système cognitif métaphorique qui permet l’émergence de toutes les métaphores linguistiques. La métaphore ne saurait être considérée comme une anomalie, une déviance, ou un écart, puisqu’elle se trouve être à l’origine de notre système conceptuel de perception et de représentation.

1.3. Métaphores conceptuelles et métaphores linguistiques

La théorie cognitive postule l’existence d’un système bipartite entre métaphores conceptuelles (notées en majuscules, jamais réalisées telles qu’elles linguistiquement), et métaphores linguistiques (qui sont les réalisations en discours et/ou en langue des métaphores conceptuelles). Les métaphores linguistiques se fondent sur des métaphores conceptuelles6, et leur émergence est par là systématique, comme le notent Lakoff et Johnson [1980 : 55] :

Expressions like wasting time, attacking positions, going our separate ways, etc. are reflections of systematic metaphorical concepts that structure our actions and thoughts. They are “alive” in the most fundamental sense: they are metaphors we live by.7

Les métaphores conceptuelles de type love is a journey, ideas are food, theories are buildings8, etc., métaphores qui ne sont pas réalisées exactement sous cette forme linguistique de manière générale, renvoient aux processus par lesquels nous pensons et nous comprenons les domaines abstraits. Ces métaphores conceptuelles représentent les concepts à partir desquels sont réalisées les métaphores linguistiques, et permettent de les générer9, qu’elles soient conventionnelles10 – c’est-à-dire lexicalisées ou semi-lexicalisées, acceptées par la communauté linguistique – ou bien « vives »11.

Plusieurs linguistes (Ricœur [1975], Lakoff [1987], Goatly [1997], Kövecses [2002 : 29-32], Deignan [2005 : 36-47], Semino [2008 : 19], Dancygier et Sweetser [2014 : 35] proposent des classifications plus ou moins détaillées des métaphores en fonction de leur degré de conventionalité. Nous retiendrons dans le cadre de cet article le classement de Crespo Fernandez [2008 : 98], qui distingue les métaphores figées (lexicalized), semi-figées (semi-lexicalized) et vives (creative). Il définit les métaphores figées comme des expressions métaphoriques dont la métaphoricité n’est plus nécessairement perçue par les locuteurs natifs, puisqu’elles sont fréquemment utilisées et qu’elles sont entrées en langue, c’est-à-dire qu’elles figurent généralement dans les dictionnaires de langue. Les métaphores semi-figées sont, quant à elles, des expressions métaphoriques non figées qui sont les réalisations en discours d’une métaphore conceptuelle figée ; il s’agit d’innovations linguistiques mais pas d’innovations conceptuelles. Enfin, les métaphores vives sont des expressions métaphoriques non figées issues d’une nouvelle association avec un nouveau domaine source, et donc d’une nouvelle métaphore conceptuelle12. Dans nos articles de journaux, « le prix des actions monte et ensuite rechute » (FR1)13 ou « les liquidités monétaires » (FR1) sont des métaphores figées ; « l’argent a coulé à flots des robinets des banques centrales pour éviter les problèmes de liquidités » (FR3) est, quant à elle, une métaphore semi-figée. Nous n’avons pas dans notre corpus d’exemples probants de réelles métaphores vives, si ce n’est la métaphore filée trouvée en FR2 : « les pompiers de service doivent se montrer prêts à combattre tout début d’incendie […] les pompiers de service doivent se montrer prêts à intervenir face à différents foyers de risques […] et renforcer les pare-feu », ce qui semble cohérent avec le type de texte, à savoir des articles de journaux.

1.4. Domaines conceptuels source et cible et le phénomène de mapping (« projection métaphorique »)

Selon la linguistique cognitive, la métaphore n’est pas un commerce entre mots, mais s’établit au niveau du transfert entre deux domaines conceptuels ou notionnels : un domaine conceptuel est, selon les termes de Kövecses [2002 : 247], « our conceptual representation, or knowledge, of any coherent segment of experience. We often call such representations concepts ». Dans l’acte métaphorique, les deux « termes » mis en relation appartiennent à deux domaines différents : un domaine cible (parfois appelé aussi tenor / topic / target / primary subject), c’est-à-dire ce à quoi la métaphore réfère, et un domaine source (parfois appelé aussi vehicle / subsidiary subject / secondary subject)14, c’est-à-dire le concept utilisé de façon analogique pour référer au concept cible. Le domaine cible sera dans notre cas économie, ou plus précisément crise économique. Cette dernière peut être structurée par le domaine source catastrophe naturelle, comme dans l’exemple suivant : « la Chine a provoqué diverses secousses sur les marchés internationaux » (FR2), ou « la tempête du rouble russe » (FR3).

La mise en relation des deux domaines conceptuels n’affecte pas seulement le domaine cible, car le fait même de les mettre en relation15 entraîne une nouvelle perception du domaine source, transformé par le domaine cible, ainsi qu’une nouvelle perception du domaine cible, transformé par le domaine source ; comme le note Katz [1998 : 25] :

In good metaphors, the juxtaposition of topic and vehicle produces a new meaning that transcends the meaning of either topic and vehicle alone.

L’interaction métaphorique déforme les catégories respectives, et une nouvelle perspective est alors générée. L’énoncé métaphorique implique donc la création d’une tension entre les deux domaines conceptuels mis en relation, et cette tension demande, selon les termes de Prandi [1992 : 19], une « solution créative », d’où un « commerce » entre les deux domaines.

Plus que « déformation » des catégories préexistantes, la métaphore fait surgir un monde remis à neuf, soit en renouvelant une perception existante, soit en créant une nouvelle perception, par le biais de métaphores conceptuelles consistant en diverses projections entre le domaine source et le domaine cible16, phénomène connu en anglais sous le nom de « mapping » (notion reliée à celle de « projection métaphorique »), et dont Kövecses [2002 : 250] donne la définition suivante :

Conceptual metaphors are characterized by a set of conceptual correspondences between elements of the source and target domains. These correspondences are technically called “mappings”.

Selon les linguistes cognitivistes, il y a projection d’un domaine source sur un domaine cible et le domaine cible est généralement plus abstrait /mental, que le domaine source (concret / physique), comme l’indique Semino [2008 : 6] :

Cognitive metaphor theorists emphasize that target domains typically correspond to areas of experience that are relatively abstract, complex, unfamiliar, subjective or poorly delineated, such as time, emotion, life or death. In contrast, source domains typically correspond to concrete, simple, familiar, physical and well-delineated experiences, such as motion, bodily phenomena, physical objects and so on.

En effet, le domaine de l’économie ou de la crise économique est plus abstrait que les domaines conceptuels sources auxquels il a recours, comme les catastrophes naturelles dans les exemples susmentionnés.

Ce principe stipulant que l’on projette un domaine abstrait sur un domaine plus concret a pour corollaire le principe d’unidirectionnalité selon lequel le domaine cible n’est pas projeté sur le domaine source. Ce principe a néanmoins été remis en question dans la mesure où, dans certains cas, il y a contamination des domaines, et où la bidirectionnalité devient possible. Par le mapping entre domaines conceptuels différents, la métaphore permet des rapprochements inattendus, mais qu’elle rend évidents, comme le résume Sweetser [1990 (1998) : 19] :

Metaphor is a major structuring force in semantic change. Metaphor operates between domains. It operates so pervasively that speakers find an inter-domain connection between knowledge and vision, or between time and space, to be as natural as the intra-domain connections between finger and hand or between man and woman.

Ou comme le note Goodman [1968 : 73] de façon très métaphorique :

A whole set of alternative labels, a whole apparatus of organization, takes over new territory. What occurs is a transfer of a schema, a migration of concepts, an alienation of categories. Indeed, a metaphor might be regarded as a calculated category mistake – or rather as a happy and revitalizing, even if bigamous, second marriage.

1.5. Concept de highlighting-hiding

Afin de permettre cette « déformation » de nos catégories existantes, la métaphore recourt au processus de mapping qui entraîne un phénomène de highlighting-hiding (Kövecses [2002 : 79]). Lors du processus de métaphorisation, certains aspects du domaine source sont projetés sur le domaine cible ; les aspects du domaine cible sont ainsi mis en valeur par le biais de traits caractéristiques du domaine source, tandis que les autres traits sont partiellement ou totalement dissimulés. Pour Kövecses [2002 : 80], les deux vont toujours de pair puisque certains aspects sont nécessairement mis en relief et qu’ils dissimulent ainsi les autres :

When a metaphor focuses on one or some aspects of a target concept, we can say that it highlights that or those aspect(s). Highlighting necessarily goes together with hiding. This means that when a concept has several aspects (which is normally the case) and the metaphor focuses on one (or maybe two or three aspect(s), the other aspects of the concept will remain hidden, that is, out of focus. Highlighting and hiding presuppose each other.

C’est alors à l’interlocuteur (co-éconciateur, récipiendaire, lecteur, etc.) de filtrer le ou les traits pertinents pour restructurer la nouvelle perception, la métaphore n’étant rien d’autre qu’une reconstruction ou une réélaboration du monde environnant. Le pouvoir cognitif de la métaphore est ainsi rendu possible par l’implicite métaphorique, conséquence du phénomène de highlighting-hiding17. Ce processus avait déjà été défini par Lakoff et Johnson [1980 : 10] qui considèrent que l’utilisation d’un concept métaphorique empêche de se concentrer sur d’autres aspects du concept cible – ceux qui ne sont pas cohérents avec la métaphore conceptuelle utilisée. Ils mentionnent notamment l’exemple de la métaphore de la guerre, souvent utilisée pour conceptualiser les disputes ou les débats (argument is war), qui fait fi de l’aspect coopératif de ces domaines. Cela implique que toute structuration métaphorique est partielle et généralement partiale : partielle car un concept ne saurait qu’être partiellement structuré par un autre dans la mesure où certaines caractéristiques sont mises en avant et que d’autres sont dissimulées ; partiale puisque différents domaines sources peuvent être utilisés pour conceptualiser un même domaine cible et que le choix du domaine cible dépend de l’énonciateur et, entre autres, de la situation discursive dans laquelle il se trouve.

Si nous reprenons l’exemple « la Chine a provoqué diverses secousses sur les marchés internationaux » (FR2), lors d’une secousse (sismique), la terre tremble, des bâtiments s’effondrent, il y a des victimes, etc. Cette métaphore permet de mettre en relief uniquement la fragilité et l’instabilité de l’économie en passant sous silence les autres propriétés de l’économie (c’est-à-dire du domaine cible), tout comme les répercussions physiques d’une vraie secousse sont passées sous silence pour ne se concentrer que sur une des conséquences (domaine source).

1.6. Question de l’universalité des métaphores conceptuelles 

Un des postulats de la CMT de Lakoff et Johnson est que les métaphores sont universelles, en partie car notre système conceptuel est influencé par ce que les linguistes cognitivistes appellent en anglais embodiment (« corporéité », « incarnation »), c’est-à-dire l’interaction du corps humain avec l’environnement physique. Ce principe d’universalité découle en partie du fait que l’on peut, selon la CMT, classer les métaphores en fonction de leur rôle cognitif : les métaphores dites orientationnelles sont celles qui découlent des principes fondamentaux de structuration dans l’espace, et donc de la corporéité ; les métaphores ontologiques sont celles qui permettent de conceptualiser nos expériences comme des objets, des substances, des contenants, et de personnifier ; finalement, les métaphores restantes sont nommées structurelles et sont généralement plus ancrées dans la culture et dans l’expérience. Cependant, ce principe d’universalité a été plusieurs fois remis en cause. Punter [2007 : 40], par exemple, affirme qu’il faut également prendre en compte les critères « historiques, culturels, et géographiques ». Kövecses [2010 : 190] confirme ceci :

Are there any universal metaphors at all, if by “universal” we mean those linguistic metaphors that occur in each and every language? Not only is this question difficult because it goes against our everyday experiences and intuitions as regards metaphorical language in diverse cultures, but also because it is extremely difficult to study, given that there are 4-6000 languages spoken around the world today.

Gibbs [1999 : 153] écrit également qu’il est nécessaire de prendre en compte l’aspect cognitif et l’aspect culturel :

One cannot talk about, or study, cognition apart from our specific embodied interactions with the cultural world (and this includes the physical world which is not separate from the cultural one in the important sense that what we see as meaningful in the physical world is highly constrained by our cultural beliefs and values). Scholars cannot, and should not assume, that mind, body, and culture can somehow be independently portioned out of human behavior as it is only appropriate to study particular “interactions” between thought, language, and culture, respectively. Theories of human conceptual systems should be inherently cultural in that the cognition which occurs when the body meets the world is inextricably culturally-based.

Dès lors que l’on postule que la métaphore découle de nos interactions physiques avec le monde environnant, il est nécessaire de prendre en considération les spécificités culturelles inhérentes à la société dans laquelle on évolue, et on ne peut ainsi faire fi des variations diatopiques (variations dans l’espace), diastratiques (variations dans les usages selon les classes sociales), et diaphasiques (variations de style et de registre selon la situation).

Abordons désormais les fonctions de la métaphore en langue de spécialité, en prenant comme mini-corpus les métaphores de la crise économique trouvées dans les journaux en français, anglais et allemand

2. Fonctions de la métaphore en langue générale et en langue de spécialité

Cette seconde partie aborde la question des fonctions que revêt la métaphore dans une perspective cognitiviste, et nous nous attarderons plus spécifiquement sur les fonctions principalement dévolues à la métaphore en langue de spécialité. Pour ce faire, nous aborderons le domaine de spécialité que représente l’économie par le biais de la crise économique et de sa représentation linguistique métaphorique en allemand, anglais et français, afin d’illustrer notre propos.

Selon la linguistique cognitive, la métaphore remplit plusieurs fonctions, qui peuvent dans certains contextes se cumuler. Un des postulats demeure cependant que la fonction principale de toute métaphore est une fonction cognitive / conceptuelle, même si des fonctions dites « secondaires » (didactiques, argumentatives, etc.) peuvent se greffer sur cette fonction principale. Rappelons la célèbre citation de Lakoff et Johnson [1980 : 5] :

The essence of metaphor is understanding and experiencing one kind of thing in terms of another.

Avant de revenir sur les fonctions généralement dévolues à la métaphore, aussi bien en langue générale qu’en langues de spécialité, il semble intéressant de renvoyer à Van den Broeck [1981], qui estime qu’il faut dégager trois composantes lors de l’étude de la métaphore avant de pouvoir dégager sa fonction discursive :

  • la catégorie à laquelle la métaphore appartient ;
  • l’utilisation faite de la métaphore ;
  • la fonction jouée par la métaphore dans le texte.

Premièrement, la catégorie à laquelle la métaphore appartient correspond au degré de lexicalisation de celle-ci : est-elle perçue comme une métaphore vive, une métaphore lexicalisée, ou une catachrèse ? Deuxièmement, par l’utilisation faite de la métaphore, se pose la question suivante : la métaphore joue-t-elle une fonction particulière dans le texte dans lequel elle apparaît ? En effet, le degré de lexicalisation de la métaphore n’est pas suffisant pour décider de l’utilisation faite de celle-ci, dans un contexte particulier ; troisièmement, et c’est le point qui va nous intéresser essentiellement dans cette partie, la dernière composante mentionnée est la fonction jouée par la métaphore dans le discours ou dans le texte. Si Van den Broeck perçoit deux types principaux pour la métaphore (une métaphore créative et une métaphore décorative), nous allons voir que ces deux fonctions généralement dévolues à la métaphore ne sont pas les seules, et qu’il en existe bien d’autres ; elle peut par exemple servir soit à ce que l’interlocuteur adhère à une position, soit au contraire à ce qu’il s’en détache. Cela va dépendre de la métaphore choisie, et plus particulièrement de la connotation du domaine source, qui va avoir une influence sur la connotation contenue dans la métaphore. En effet, si le domaine source véhicule une connotation péjorative, la métaphore véhiculera cette même connotation, et vice versa, sauf évidemment si la métaphore est utilisée de façon ironique. Elle peut également avoir une utilisation didactique, comme nous le verrons par la suite.

Nous pensons qu’il existe de multiples raisons à l’utilisation de la métaphore, et allons répertorier les principales18, en gardant à l’esprit que chaque utilisation n’est pas forcément exclusive d’une autre, et que plusieurs d’entre elles peuvent ainsi entrer en combinaison ; ainsi que le rappelle métaphoriquement Kleiber [1999 : 11], la métaphore est « une bonne à tout faire, précieuse et irremplaçable ». Comme nous l’avons déjà mentionné, l’utilisation fondamentale de la métaphore est l’expression d’une réalité que le langage littéral est incapable de transmettre, ce que Cacciari [1998 : 121] nomme « a bridging function » entre des réalités trop hétérogènes.

Abordons brièvement les différentes fonctions généralement dévolues à la métaphore, en débutant par la fonction que l’on a traditionnellement et exclusivement – à tort – reconnue à la métaphore.

2.1. Fonction ornementale / esthétique

Dans cette utilisation esthétique, qui a pendant longtemps été considérée comme l’unique fonction de la métaphore, le but de l’énonciateur se veut avant tout stylistique. Celui-ci éprouve un certain plaisir à cette utilisation, plaisir que peut également éprouver le co-énonciateur. À la fonction esthétique jouée par une métaphore, peut très bien se greffer une fonction didactique. Il s’agit alors de rendre une formulation plus attrayante par une utilisation moins évidente, et c’est pour cette raison que ce plaisir esthétique sera le plus souvent rendu par les métaphores vives, et non par les métaphores lexicalisées, les clichés, ou les métaphores mortes. Si cette fonction a pendant longtemps été reconnue comme l’unique fonction de la métaphore, la linguistique cognitive a clairement montré que cette fonction n’est que secondaire, et que, contrairement à la fonction conceptuelle ou cognitive, elle ne se trouve qu’occasionnellement, et obligatoirement en combinaison avec d’autres fonctions principales, que nous allons détailler ci-dessous. Cette fonction n’est pas la fonction principale en langue de spécialité, dont le but n’est généralement pas l’écriture (comme forme pour la forme) en tant que telle.

2.2. Fonction cognitive ou conceptuelle : perception d’une nouvelle vision du réel

Dans une perspective cognitive, le but de la métaphore est donc essentiellement cognitif, car la nouvelle formulation proposée par la métaphore permet d’aborder le réel d’une autre façon, selon un nouveau prisme, grâce aux concepts qui interagissent de façon inattendue lors du transfert métaphorique. La métaphore va permettre de mettre en relief certains éléments communs aux deux domaines notionnels, et en même temps, d’effacer ceux qui ne sont pas nécessaires à la compréhension, de proposer de « nouveaux découpages du concevable » comme l’écrit Klinkenberg [1999 : 159]. Lakoff et Johnson [1980] notent que ceci est valable aussi bien pour les métaphores lexicalisées (qu’ils appellent « conventional metaphors ») que pour les métaphores vives (qu’ils appellent « imaginative, creative metaphors »), bien que le rôle conceptuel soit généralement dévolu à la métaphore vive, car elle rapproche des domaines qui ne l’auraient pas été dans un premier temps. La métaphore agit alors, selon l’expression de Ricœur [1975 : 252], comme un « révélateur », et permet de « conqu[érir] des terres inconnues » [1975 : 298] grâce à la « migration conceptuelle » [1975 : 297] que constitue le processus métaphorique. Le rôle est donc celui d’une sorte d’accouchement d’un nouveau concept, c’est-à-dire d’une nouvelle vision du réel, d’une nouvelle « vérité », et d’une éradication de celles qui ont présidé jusqu’alors. C’est pour cette raison que les sciences ne peuvent se passer de métaphores, comme le note métaphoriquement Loffler‑Laurian [1994 : 78] dans cette citation où les guillemets indiquent la présence de métaphores :

La métaphore, dans les discours scientifiques, est un « catalysateur » de compréhension. Elle « parle » à l’imagination, elle visualise, incarne, spécifie ce qui, selon le jugement du rédacteur, ne peut être « saisi » intellectuellement autrement.

Si cette utilisation cognitive ou conceptuelle reste l’utilisation principale de la métaphore, en ce qu’elle permet d’appréhender le réel, ce même réel a souvent besoin d’être nommé dans les domaines de spécialité, et ce besoin de dénomination entraîne une autre fonction dévolue à la métaphore : la fonction terminologique.

2.3. Fonction terminologique, dénominative : catachrèse

Si un référent extralinguistique n’a pas de dénomination linguistique, c’est souvent la métaphore qui va servir de « roue de secours lexicale » afin de combler ce manque terminologique ; elle supplée un manque linguistique, et par là même joue un rôle dans la dénomination. Dans ce cas, la métaphore n’est généralement pas (ou plus) perçue, car l’analogie entre les deux domaines n’est pas (ou plus) ressentie19, puisqu’il n’y a justement pas d’autres façons de dénommer le réel. Cette fonction est fréquemment trouvée dans les discours de spécialité :

La catachrèse ici revêt un intérêt particulier car elle représente une ressource lexicale lorsque le spécialiste ne possède pas de terme savant pour dénommer une réalité. Les catachrèses sont des tropes qui ont un rôle de suppléance dans la dénomination faute de terme savant. La dénomination figurée est indispensable à cause de l’absence de terme savant correspondant, elle vient donc combler une lacune de dénomination. [Oliveira 2009 : 95]

Ce phénomène est également noté par Rollo [2012] :

C’est aussi une démarche adoptée pour créer des termes tirés de la langue générale et combler, ainsi faisant, des lacunes métalinguistiques (catachrèse) : Le concept de commerce équitable trouve ses racines dans la communauté des ONG.

2.4. Fonction didactique / explicative

La métaphore joue également un rôle que nous pourrions qualifier de didactique ; il se trouve à mi-chemin entre le rôle conceptuel et le rôle rhétorique20. La métaphore ayant permis d’accéder au concept, ce concept a cependant besoin d’être communiqué aux non-initiés, et c’est un des buts de la métaphore en sciences (physiques, biologiques, humaines, etc.) par exemple. C’est aussi une utilisation courante de la métaphore dans l’enseignement et/ou la vulgarisation scientifique ; son rôle consiste à faire comprendre à un public de non-spécialistes une réalité qui peut paraître trop hermétique si l’on n’a pas recours au chemin de traverse que constitue la métaphore. On se fonde sur certaines analogies, sur certaines ressemblances, afin de faire comprendre un domaine X inconnu recourant à un domaine Y connu. Cette utilisation est donc associée à la transmission d’un savoir, et a bien souvent comme corollaire un but de mémorisation. Cette fonction est également fréquemment trouvée dans les langues de spécialité :

L’efficacité de la métaphore tient au fait qu’elle permet de représenter un concept abstrait, qui serait difficile à expliquer, par une image concrète : spirale des prix ; levier financier ; échelle mobile ; élasticité de la demande. [Rollo 2012]

2.5. Fonction dialectique, argumentative, conative, rhétorique

Cette utilisation fondamentale de la métaphore se rapproche de l’utilisation dite « rhétorique », sur laquelle les rhéteurs ont tant insisté, utilisation selon laquelle la métaphore permettrait d’acquérir l’adhésion de l’auditoire à sa cause. La fonction conative du langage se trouve souvent à l’œuvre dès lors que l’on utilise une métaphore dans tous les cas où l’énonciateur désire gagner l’adhésion du ou des co-énonciateurs à son propos, à l’image des discours politiques, publicitaires, polémiques, etc. Le rôle des métaphores à fonction conative consiste souvent à gagner l’adhésion, ou tout du moins à la faciliter, afin de convaincre l’auditeur du bien-fondé de notre propre dire. Son rôle pourrait donc être ici qualifié de secondaire, dans le sens où la métaphore sert essentiellement à étayer une cause, à établir un point, et fonctionne donc comme un vecteur d’argumentation par analogie, comme l’ont montré les travaux de Perelman et Olbrechts-Tyteca [1958 (1992)].

En plus de ces utilisations dites principales, la métaphore peut revêtir – uniquement en combinaison avec ces fonctions principales – des fonctions secondaires, d’ordre pragmatique, au sens linguistique du terme.

2.6. Fonctions secondaires

Parmi ces fonctions secondaires, le philosophe Cohen [1979] avance une idée supplémentaire sur la raison d’être de la métaphore : les métaphores seraient utilisées pour créer, ou plutôt pour augmenter l’intimité entre un énonciateur et un co-énonciateur, ce que Cacciari [1998 : 141] nomme « a sense of in-groupness », et ce à quoi Goatly [1997 : 160] réfère en parlant de « cultivating intimacy ». C’est ce que l’on peut appeler une fonction sociale de la métaphore, car, en utilisant une métaphore, l’énonciateur s’appuie sur des connaissances partagées entre lui et le co-énonciateur, et une sorte de connivence21 se crée alors entre les deux participants à l’acte communicatif.

Terminons en notant qu’il existe également d’autres fonctions secondaires, ou associées, telles la fonction euphémique / dysphémique ou la fonction humoristique, que nous n’aborderons pas dans le cadre de cet article car elles ne sont pas fréquemment trouvées en langues de spécialité.

Pour les langues de spécialité, nous avons vu que la fonction principale de la métaphore (fonction « cognitive / conceptuelle ») demeurait, certes, mais que d’autres fonctions se greffaient bien souvent, comme la fonction terminologique / dénotative (catachrèse), la fonction didactique / explicative / illustrative ou la fonction dialectique / argumentative / conative. On retrouve ainsi en langues de spécialité les deux rôles principaux de l’image selon Wunenburger [1997 : 199] : la constitution de la connaissance, et l’accompagnement de cette connaissance.

3. Métaphores conceptuelles de la crise économique en anglais, allemand et français

Nous souhaitons, dans cette troisième et dernière partie, tenter de mettre au jour les métaphores conceptuelles structurant les métaphores linguistiques de la crise économique – et plus particulièrement celles de ce que l’on nomme « la prochaine crise économique » (français) / « the next economic crisis » (anglais) / « die nächste Wirtschaftskrise » (allemand). Nous poursuivrons en cela le travail initié par Alessandra Rollo [2012] sur le lexique économique en français, mais en le restreignant à la crise économique à venir, et en adoptant une démarche contrastive sur trois langues. Comme indiqué plus haut, nous avons choisi trois ou quatre textes traitant de ce sujet, dans chacune des trois langues, ce qui a constitué notre mini-corpus. Nous avons ensuite repéré les métaphores, aussi bien les métaphores lexicalisées que les métaphores plus vives, inventées dans le cadre de l’article. Ces métaphores linguistiques ont ensuite été regroupées sous les métaphores conceptuelles qui nous semblaient les structurer, afin de voir si les mêmes métaphores conceptuelles étaient utilisées en anglais, en allemand et en français pour parler de la crise économique. Seules les métaphores ayant trait à la crise économique ont été conservées dans le cadre de cette étude, ce qui signifie que les métaphores qui apparaissaient dans les textes mais qui se rapportaient à un autre domaine cible ont été écartées.

3.1. Les métaphores orientationnelles : l’économie est un mouvement

Ces métaphores sont très fréquentes dans notre corpus, elles sont figées, et jouent essentiellement une fonction conceptuelle et terminologique. L’économie est en effet perçue comme un mouvement, et il semble difficile de parler de l’économie et de son état sans mentionner des mouvements vers le haut ou vers le bas. Ceci est corroboré par l’abondance de métaphores visuelles représentant un mouvement vers le haut ou vers le bas lors de recherches de type « crise économique » / « economic crisis » / « Finanzkrisis » sur les moteurs de recherche comme Google, la crise étant généralement représentée, dans les trois langues étudiées, sous la forme d’une flèche qui descend de façon plus ou moins brusque.

Fig.1. Représentations visuelles de la crise économique

                Illustration 1.1

                Illustration 1.2

Le mouvement est de trois types : soit la métaphore indique un mouvement non vertical, utilisé essentiellement pour signifier qu’il y a changement d’état, comme l’illustrent les exemples de notre mini-corpus, les métaphores étant indiquées en italiques :

l’expansion monétaire (FR1)
la trajectoire actuelle du crédit (FR2)
the financial industry has emerged (EN1)
stretched asset prices (EN3)
Eine sich verselbstständigende Panikspirale (DEU1)
Der gigantische Kreditzirkel (DEU2)

Plus précisément, le mouvement peut être orienté vers le haut, ou vers le bas, ce qui rappelle les métaphores orientationnelles dégagées par Lakoff et Johnson [1980], structurées selon le principe suivant : le haut est généralement vu comme positif, alors que le bas est vu comme négatif :

mouvement vers le haut :

hausse des actifs (FR1)
les profits des très grandes entreprise remontent (FR1)
Stock markets propped up by central banks (EN1)
Asia’s share has grown rapidly (EN1)
Dass die Eurokrise eskalierte (DEU1)
Die Notenbank bei Verdacht zunehmender Exzesse eingreifen (DEU1)

mouvement vers le bas :

chute des actifs (FR1)
effondrement de l’économie (FR1)
Revenues have dropped (EN1)
Europe’s market share has fallen (EN1)
Der nächste Kollaps (DEU1)
Den großen Zusammenbruch (DEU2)

Ces métaphores orientationnelles sont le plus souvent complètement figées, et les locuteurs natifs ne les percevront d’ailleurs certainement pas comme telles, car elles remplissent dans la majorité des cas un rôle terminologique, comme il n’y a pas d’autres façons de s’exprimer pour parler de la hausse et de la chute de l’économie. Ces métaphores conceptuelles structurent non seulement l’économie, mais également de nombreux autres domaines abstraits, ce qui confirme le fait que les métaphores linguistiques trouvées ne soient que très rarement vives, mais la plupart du temps des métaphores figées. Ce sont plus des catachrèses, et d’aucuns pourraient même dire que ce ne sont pas, pour ainsi dire, des métaphores.

Un corollaire de la métaphore conceptuelle l’économie est un mouvement et le haut est connoté positivement et le bas est connoté négativement est la crise économique est l’obscurité, comme les exemples de notre mini-corpus l’illustrent :

le shadow banking, c’est la finance de l’ombre, peu ou pas régulée (FR2)
les zones d’opacité financière (FR3)
massive shadow bank (EN4)
shadow banking sector (EN4)
Dunkle Wolken über der Finanzwelt (DEU2)

En effet, la lumière est généralement connotée positivement, alors que l’obscurité l’est négativement (symbole de la mort, de l’obscurantisme, etc.). Cette métaphore se retrouve également visuellement :

Fig.2. Représentation visuelle : la crise économique est l’obscurité

                Illustration 2

3.2. Les métaphores ontologiques 

Ces métaphores sont également très fréquentes dans notre mini-corpus, sont le plus souvent figées, et jouent essentiellement une fonction conceptuelle et terminologique, comme les métaphores orientationnelles, dont elles se rapprochent donc en partie.

3.2.1. l’économie est un fluide

Il est fréquent pour l’économie d’être conceptualisée comme un fluide, fluide devant être pris au sens large. Les métaphores de notre mini-corpus confirment cette tendance :

inondé par des liquidités (FR1)
l’argent a coulé à flots des robinets des banques centrales pour éviter les problèmes de liquidités (FR3)
financial market liquidity, as trading has steadily evaporated (EN3)
the value of new companies floating on stock exchanges (EN1)
Die Kredite (weiter) sprudeln (DEU3)

Là encore, on trouve de nombreuses représentations visuelles qui utilisent cette même métaphore conceptuelle dans les trois langues, à l’instar des exemples ci-dessous :

Fig.3. Représentations visuelles : l’économie est un fluide

                Illustration 3.1

                Illustration 3.2

Une métaphore conceptuelle reliée, très fréquente pour parler de la crise économique, est celle de la bulle (faite d’eau), qui est toujours prête à éclater à n’importe quelle difficulté financière :

éclatement de la bulle obligataire (FR1)
l’explosion de la bulle boursière (FR3)
financial bubbles (EN3)
Das Platzen des Technologieblase (DEU3)
Spekulationsblasen (DEU2)

Fig.4. Représentations visuelles : l’économie est un fluide (bulle)

                Illustration 4.1

                Ilustration 4.2

Comme on le remarque sur la seconde image, les métaphores peuvent se combiner : on a ici à la fois la représentation d’une bulle, mais également celle d’un mouvement vertical. Ces métaphores sont là aussi extrêmement figées, et leur fonction première, en plus d’une fonction conceptuelle, demeure une fonction terminologique, ces dernières pouvant être qualifiées de catachrèses.

3.2.2. l’économie est une personne

Pour Lakoff et Johnson [1980 : 33], la personnification est un exemple prototypique de métaphores ontologiques dans la mesure où ces dernières permettent de conceptualiser des concepts par le biais de l’expérience et de l’activité humaines. On notera que toutes les personnifications ne mettent pas en avant les mêmes caractéristiques.

Au sein de notre mini-corpus, on note la présence de personnifications assez générales, dans lesquelles on attribue des traits de caractères humains à l’économie, et ce sont ces occurrences que nous considérerons comme métaphores ontologiques dans notre corpus :

their high fee structures have proved remarkably stubborn (EN1)
Lässt Börsenkurse auf und ab tanzen (DEU2)
Vor zehn Jahren erschütterte die Krise die Welt (DEU2)

On ne note pas d’occurrences en français dans le mini-corpus, ce qui ne signifie pas que celles-ci n’existent pas en langue et/ou en discours. Quelques occurrences présentent cependant des entités ou concepts liés à la crise comme des personnes, mais en recourant à un domaine source plus spécifique, à savoir dans les exemples ci-dessous celui de personnes décédées :

nombre d’entreprises appelées « zombies » (FR2)
cortège de faillites bancaires (FR3)

Les représentations visuelles sont quant à elles davantage métonymiques que métaphoriques, dans la mesure où il s’agit bien souvent d’une caractéristique qui est mise en avant, comme c’est le cas dans les deux représentations visuelles ci-dessous :

Fig.5. Représentations visuelles : l’économie est une personne

                Illustration 5.1

                Illustration 5.2

3.3. Les métaphores ontologico-structurelles : l’économie peut être détruite et réparée

On note par ailleurs la présence de métaphores personnifiantes, encore plus précises, dans lesquelles la crise économique est conceptualisée certes comme une personne, mais une personne malade ; on pourrait dans ce cas dire que deux domaines conceptuels se superposent : l’humain et la maladie.

the financial industry has emerged with little more than a few scratches and bruises (and the odd broken bone at investment banks) (EN1)
the health of the financial system (EN2)

À l’inverse, en temps de prospérité, on parlera de

finances publiques saines (FR3)

Ces métaphores semblent avoir des fonctions principalement conceptuelles et explicatives, bien qu’elles puissent être terminologiques (notamment lorsque l’on parle de la santé du système financier). Les métaphores linguistiques ne sont pas nécessairement figées, mais leur nombre laisse à penser que la métaphore conceptuelle de la maladie pour décrire la crise l’est, d’autant plus qu’on la retrouve dans nombre de métaphores visuelles de la crise économique :

Fig.6. Représentations visuelles : l’économie peut être détruite et réparée

                Illustration 6.1

                Illustration 6.2

Ces métaphores sont donc principalement ontologiques mais peuvent également être en partie structurelles, en fonction des traits qui sont mis en avant. En effet, les personnifications empruntent également souvent certaines caractéristiques à d’autres domaines conceptuels. C’est le cas de certaines métaphores qui permettent de conceptualiser l’économie comme pouvant être détruite et/ou réparée, qu’elle soit conceptualisée comme un objet ou une personne.

On note la présence de métaphores qui sont à mi-chemin entre la métaphore structurelle et la personnification lorsque l’économie est conceptualisée comme une personne en danger :

les pièges de la dette (FR2)
[banks] are safer (EN1)
Die Tücke von Finanzkrisen (DEU1)
Ein milliardenschweres Rettungspaket geschnürt (DEU2)

Fig.7. Représentations visuelles : l’économie est une personne en danger

                Illustration 7.1

                Illustration 7.2

Certaines métaphores conceptualisent également l’économie comme une personne qui prend part à une guerre :

fight a crisis (EN4)
Armageddon scenarios (EN3)
which would find governments out of bullets (EN3)
geldpolitischen Terrorzelle (DEU1)
Die nächste Bombe explodiert (DEU2)

Certaines métaphores permettent également de conceptualiser l’économie comme un objet sur le point d’être détruit :

une sorte de bombe à retardement est déjà nichée dans le système financier (FR2)
force a banking collapse (EN3)
Setz sich die Kettenreaktion in Gang (DEU2)

ou un bâtiment sur le point de s’effondrer :

force a banking collapse (EN3)
the financial and defense architecture of Europe (EN3)

Visuellement, ce sera bien souvent la monnaie sous forme de représentation métonymique qui sera conceptualisée métaphoriquement comme un objet sur le point d’être détruit :

Fig.8. Représentations visuelles : l’économie est un objet qui peut être détruit

                Illustration 8.1

                Illustration 8.2

 
ou encore de façon métonymique, une banque qui est en train de s’effondrer :

Fig.9. Représentations visuelles : l’économie est une banque qui peut être détruite

                Illustration 9.1

                Illustration 9.2

                Illustration 9.3

Il y a donc fréquemment une combinaison de métonymies et de métaphores dans ces représentations visuelles de la crise économique. Notons aussi que les métaphores linguistiques sont généralement figées, en partie car l’objet n’est pas précisément défini ; de nombreux exemples mentionnent la destruction ou la résistance. Lorsque l’objet est défini, il s’agit bien souvent d’une voiture ou d’un autre moyen de transport :

une incompréhension collective qui a créé un angle mort sur le risque (FR3)
to the next crash (EN4)
So wie beim Aktiencrash 1987 (DEU1)

C’est également le cas pour les métaphores visuelles :

Fig.10. Représentation visuelle : l’économie est un moyen de transport qui peut être détruit

                Illustration 10

Enfin, la crise économique est parfois conceptualisée en tant que catastrophe naturelle :

cette accalmie peu visible en ces temps de secousses géopolitiques profondes et de tsunamis numériques (FR3)
Dunkle Wolken über der Finanzwelt (DEU2)
Die ersten Beben (DEU2)

Fig. 11. Représentations visuelles : la crise économique est une catastrophe naturelle

                Illustration 11.1

                Illustration 11.2

Ainsi ces métaphores sont-elles à mi-chemin entre métaphores ontologiques et métaphores structurelles car elles permettent de conceptualiser nos expériences comme des objets ou des personnes tout en leur attribuant des propriétés relativement précises ; elles permettent de structurer le concept tout en définissant clairement certains traits. Certaines sont très figées, comme la métaphore linguistique du crash qui compte plusieurs occurrences dans les trois langues, et qui a été empruntée à l’anglais. D’autres tendent davantage vers des métaphores vives, à l’instar des deux occurrences suivantes et des deux représentations visuelles :

les pompiers de service doivent se montrer prêts à combattre tout début d’incendie (FR2)
les pompiers de service doivent se montrer prêts à intervenir face à différents foyers de risques (FR2)

Fig. 12. Représentation visuelle : la crise économique est un incendie

                Illustration 12

Ces occurrences semblent néanmoins bien plus rares que les exemples précédemment cités.

Une partie des occurrences seront plus proches de métaphores ontologiques, tandis que d’autres seront davantage définies comme des métaphores structurelles car les catégories ne sont absolument pas étanches et que plusieurs domaines conceptuels peuvent se combiner pour conceptualiser un même domaine cible. Lorsque les métaphores sont figées, il s’agit généralement de catachrèses ou de métaphores pour lesquelles il n’y a pas de terme littéral qui permettrait de décrire la situation économique. Elles ont donc plutôt une fonction terminologique ou explicative. En revanche, lorsqu’il existe un autre terme et qu’elles sont davantage structurelles, elles ont une fonction explicative qui peut également revêtir une fonction ornementale.

3.4. Les métaphores structurelles : l’économie est un jeu / sport

Ces métaphores sont présentes en faible proportion dans notre mini-corpus ; elles utilisent toutes comme domaine source le domaine conceptuel du jeu :

made excessively risky bets (EN2)
the players are so diverse (EN2)
regulatory sandboxes (EN2)
lag auch am typischen Verhalten von Finanzmarktjongleuren (DEU1)

Fig. 13. Représentation visuelle : l’économie est un jeu

                Illustration 13

 
de la magie :

für professionelle Finanzzauberer (DEU1)
an die Wunderkraft von Finanzmärkten glauben (DEU1)
Mal sehen, ob die Illusion hält (DEU1)

ou du sport :

the next crisis will not be a re-run of the last (EN4).

S’il existe généralement une alternative, ces métaphores structurent l’économie d’une manière partiale, dans le sens où plusieurs métaphores peuvent structurer la crise économique, et que le fait d’en parler par le biais du jeu (d’argent) oriente la conceptualisation des acteurs de la crise économique.

Terminons en notant que plusieurs occurrences de notre mini-corpus contiennent une combinaison de métaphores conceptuelles, qui semblent les structurer via plusieurs domaines conceptuels, comme cette métaphore dans EN3 : Brexit, which could endanger the financial and defence architecture of Europe, dans laquelle le domaine conceptuel de la guerre mais également celui de l’architecture sont conjointement sollicités pour conceptualiser les dangers que représente le Brexit pour l’économie européenne. Plusieurs métaphores conceptuelles sont également bien souvent combinées dans les métaphores visuelles, à l’instar de la représentation ci-dessous, dans laquelle on a une combinaison des domaines de la guerre et de l’architecture.

Fig. 14. Représentation visuelle combinant les domaines de la guerre et de l’architecture

                Illustration 14

Conclusion

Cette étude semble démontrer que les métaphores de la crise économique sont relativement similaires dans les trois langues puisque les mêmes domaines conceptuels sont utilisés. Cela s’explique par le fait qu’une partie d’entre elles sont plutôt orientationnelles et ontologiques, et donc quasi universelles. Les métaphores structurelles, qui dépendent de la cognition et de la culture, sont également fort semblables puisque les langues allemande, anglaise, et française sont ancrées dans une culture occidentale contemporaine à l’ère de la mondialisation (le domaine de spécialité de l’économie étant tout particulièrement concerné par ce phénomène).

Notre analyse mène également à penser – même s’il est nécessaire de tester l’hypothèse sur d’autres domaines de spécialité – qu’il existe une corrélation entre trois continuums :

  • Les métaphores orientationnelles semblent être plus figées (car elles structurent notre appréhension de l’économie) et sont généralement utilisées comme catachrèses (fonction conceptuelle et terminologique) ;
  • Les métaphores ontologiques semblent également figées lorsque le domaine conceptuel source est le fluide, mais peuvent donner lieu à des métaphores semi-figées – voire être défigées pour les métaphores dont le domaine conceptuel source est une personne – car elles sont généralement combinées à des métaphores structurelles, et peuvent ainsi être utilisées pour diverses fonctions : conceptuelle, terminologique, et/ou explicative ;
  • Les métaphores structurelles peuvent également revêtir ces fonctions (peut-être moins pour la fonction terminologique) mais sont plus souvent semi-figées ou vives, car il y a toujours moyen de parler du domaine cible (la crise économique) autrement, ce qui explique qu’elles peuvent avoir une fonction ornementale, puisqu’elles résultent d’un choix stylistique de la part de l’énonciateur.

Ces trois catégories se superposent parfois, ce qui n’est guère surprenant si l’on prend en compte le fait que les trois continuums ne forment pas des catégories étanches.

Une autre piste de recherche consisterait finalement à étudier de manière plus approfondie les métaphores visuelles dans les langues de spécialité, et de voir si ces dernières jouent les mêmes fonctions que les métaphores visuelles en langue générale, afin de mettre au jour les spécificités non seulement linguistiques, mais visuelles, des discours de spécialité.

1 Voir le sens originel du mot « comprendre » : du latin comprehendere, dérivé de prehendere« saisir » et du préfixe cum-« avec ».

2 C’est pour cette raison que l’on parle de experiential basis of a metaphor. « Individu » doit ici s’entendre comme « individu faisant partie d’un

3 Voir la citation « Metaphor is pervasive in everyday life, not just in language but in thought and action » [Lakoff et Johnson 1980 : 3].

4 Voir 1.3. pour le transfert entre domaines conceptuels.

5 C’est pour cette raison que l’assertion traditionnelle consistant à dire que la métaphore n’est pas une « figure de pensée » mais une « figure de

6 Lakoff et Johnson notent le caractère quasi universel de ces métaphores conceptuelles, qui rappellent les « métaphores absolues » de Blumenberg

7 La centralité de cette prise de position fondamentale est confirmée par le fait que le dernier syntagme nominal de cette citation a été retenu pour

8 A l’instar de Lakoff et Johnson, nous utilisons les petites majuscules pour noter les métaphores conceptuelles, afin de souligner le fait qu’elles

9 Ceci est le cas pour les métaphores linguistiques, mais pas uniquement ; d’autres réalisations non linguistiques sont également possibles, comme

10 On parle de « métaphores conventionnelles » lorsqu’une métaphore conceptuelle génère plusieurs métaphores linguistiques courantes ; Tracy [1979]

11 Le terme de « métaphore vive » est emprunté à Ricoeur, et renvoie aux métaphores originales.

12 Il s’agit bien évidemment d’une nouvelle métaphore conceptuelle spécifique, et non générique, dans la mesure où la quasi-intégralité des

13 Les abréviations FR1, FR2, FR3, EN1, EN2, EN3, EN4, DEU1, DEU2, DEU3 et DEU4 renvoient aux articles qui constituent notre micro-corpus, et dont le

14 Nous utiliserons dans cet article la terminologie cognitiviste « domaine source » et « domaine cible ».

15 Les termes les plus couramment utilisés en anglais sont cross-space mapping ou cross-domain mapping.

16 Pour une liste des domaines source et des domaines cible les plus souvent utilisés, voir Kövecses [2002 : 15-25].

17 Ce phénomène de highlighting / hiding n’est pas restreint au processus métaphorique, mais peut également être appliqué à la métonymie, à la

18 Goatly [1997 : 166] en dégage treize, ce qui nous semble excessif, car certaines utilisations peuvent être regroupées.

19 Black [1962 : 33] note cependant que l’origine métaphorique disparaît rapidement : « But if a catachresis serves a genuine need, the new sense

20 Voir la fonction conative du langage.

21 C’est ce que Goatly [1997 : 5] nomme « the interpersonal function [of metaphor] », et qui est selon lui en jeu, par exemple, dans les publicités

Bibliography

Ouvrages de référence et articles

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http://www.investmentnews.com/article/20170924/BLOG09/170929964/the-next-financial-crisis-is-near

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FR3 : « La prochaine crise financière, inévitable et imprévisible », Les Échos, 16/06/2017

https://www.lesechos.fr/16/06/2017/LesEchos/22467-044-ECH_la-prochaine-crise-financiere--inevitable-et-imprevisible.htm

Notes

1 Voir le sens originel du mot « comprendre » : du latin comprehendere, dérivé de prehendere « saisir » et du préfixe cum- « avec ».

2 C’est pour cette raison que l’on parle de experiential basis of a metaphor. « Individu » doit ici s’entendre comme « individu faisant partie d’un groupe linguistique, c’est-à-dire culturel ».

3 Voir la citation « Metaphor is pervasive in everyday life, not just in language but in thought and action » [Lakoff et Johnson 1980 : 3].

4 Voir 1.3. pour le transfert entre domaines conceptuels.

5 C’est pour cette raison que l’assertion traditionnelle consistant à dire que la métaphore n’est pas une « figure de pensée » mais une « figure de style » ne tient plus du tout dans une telle théorie.

6 Lakoff et Johnson notent le caractère quasi universel de ces métaphores conceptuelles, qui rappellent les « métaphores absolues » de Blumenberg, les « conceptual archetypes » de Black, ou les « champs métaphoriques » de Weinrich.

7 La centralité de cette prise de position fondamentale est confirmée par le fait que le dernier syntagme nominal de cette citation a été retenu pour le titre de l’ouvrage.

8 A l’instar de Lakoff et Johnson, nous utilisons les petites majuscules pour noter les métaphores conceptuelles, afin de souligner le fait qu’elles ne sont pas réalisées comme telles dans la langue, mais qu’elles sous-tendent les métaphores linguistiques qui en découlent. Une liste des principales métaphores conceptuelles avec les réalisations linguistiques, est accessible à http://cogsci.berkeley.edu. Cette liste a été élaborée par Lakoff.

9 Ceci est le cas pour les métaphores linguistiques, mais pas uniquement ; d’autres réalisations non linguistiques sont également possibles, comme dans l’art, les mythes, les symboles, les publicités, les interprétations des rêves, l’histoire, etc. Voir Kövecses [2002 : 57‑66].

10 On parle de « métaphores conventionnelles » lorsqu’une métaphore conceptuelle génère plusieurs métaphores linguistiques courantes ; Tracy [1979] montre que les textes religieux, et plus particulièrement la Bible, s’appuient sur des métaphores conceptuelles donnant lieu à toutes les métaphores linguistiques, d’où le recours important aux paraboles, qui ne sont rien d’autre que le produit des métaphores conceptuelles.

11 Le terme de « métaphore vive » est emprunté à Ricoeur, et renvoie aux métaphores originales.

12 Il s’agit bien évidemment d’une nouvelle métaphore conceptuelle spécifique, et non générique, dans la mesure où la quasi-intégralité des métaphores linguistiques découle de métaphores conceptuelles génériques comme events are actions, abstract is concrete, etc.

13 Les abréviations FR1, FR2, FR3, EN1, EN2, EN3, EN4, DEU1, DEU2, DEU3 et DEU4 renvoient aux articles qui constituent notre micro-corpus, et dont le détail est trouvé dans la bibliographie.

14 Nous utiliserons dans cet article la terminologie cognitiviste « domaine source » et « domaine cible ».

15 Les termes les plus couramment utilisés en anglais sont cross-space mapping ou cross-domain mapping.

16 Pour une liste des domaines source et des domaines cible les plus souvent utilisés, voir Kövecses [2002 : 15-25].

17 Ce phénomène de highlighting / hiding n’est pas restreint au processus métaphorique, mais peut également être appliqué à la métonymie, à la synecdoque, ou encore à l’euphémisme.

18 Goatly [1997 : 166] en dégage treize, ce qui nous semble excessif, car certaines utilisations peuvent être regroupées.

19 Black [1962 : 33] note cependant que l’origine métaphorique disparaît rapidement : « But if a catachresis serves a genuine need, the new sense introduced will quickly become part of the literal sense ».

20 Voir la fonction conative du langage.

21 C’est ce que Goatly [1997 : 5] nomme « the interpersonal function [of metaphor] », et qui est selon lui en jeu, par exemple, dans les publicités faisant appel à des métaphores [Goatly 1997 : 303].

References

Electronic reference

Denis Jamet and Adeline Terry, « Principes et fonctions de la métaphore en langue de spécialité dans un cadre cognitiviste », ELAD-SILDA [Online], 2 | 2019, Online since 08 octobre 2019, connection on 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/elad-silda/index.php?id=412

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Denis Jamet

Université de Lyon (UJML3) & University of Arizona denis.jamet@univ-lyon3.fr

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