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Manquement à son obligation d’information par le bailleur en cas de cession d’un bail commercial : quelle sanction ?

Quentin Rément


1Selon Winston Churchill, « il vaut mieux faire l’information que la recevoir ». L’arrêt commenté de la cour d’appel de Lyon vient parfaitement confirmer cette maxime.

2Les faits de l’espèce n’ont rien d’atypique. Deux époux donnèrent à bail commercial un local à usage de boulangerie, pâtisserie et restauration rapide à Monsieur Y en contrepartie d’un loyer annuel de 12 832 € hors taxes et charges. Le contrat fut signé le 21 juillet 2011. Les parties conclurent une subrogation conventionnelle le 10 avril 2015 au profit de la société L’Atelier du Rond-Point. Un an plus tard, le nouveau locataire cessa de payer son loyer, accumulant ainsi un arriéré de 9 450,47 €.

3Forts d’un commandement de payer resté sans réponse, les époux assignèrent en référé la société exploitante du fonds de boulangerie ainsi que Monsieur Y devant le président du tribunal de grande instance de Lyon en vue d’obtenir la résiliation judiciaire du bail commercial, l’expulsion du thésauriseur et leur condamnation solidaire au remboursement de la somme due majorée des dommages et intérêts y afférents. Condamné solidairement avec la SARL L’Atelier du Rond-point à indemniser les bailleurs, Monsieur Y interjeta alors appel de l’ordonnance de référé rendue le 12 juin 2017. Il fit valoir que la décision fut rendue en complète violation de l’article L.145-16-1 du Code de commerce en vertu duquel il aurait dû être informé du défaut de paiement dès le premier incident.

4Dans un arrêt en date du 3 avril 2018, la cour d’appel de Lyon infirme l’ordonnance en ce qu’elle a fait droit aux demandes présentées contre Monsieur Y. Elle rappelle que l’article L. 145-16-1 du Code de commerce prévoit une obligation d’information à la charge du bailleur au bénéfice du cédant en cas de défaut de paiement du locataire et ce dans le cas où le bail commercial est accompagné d’une clause de garantie au cédant. Elle ajoute que « si la loi ne prévoit pas de sanction expresse à ce défaut d’information sur lequel le bailleur ne s’explique pas, il revient au seul juge du fond d’apprécier les conséquences qu’il convient de tirer du manquement allégué à l’égard de monsieur Y ».

5Ainsi en a décidé la cour : la sanction du défaut d’information du cédant par le bailleur de tout loyer impayé relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Statuant sur l’appel formé contre une ordonnance de référé, la Cour tire alors de ce défaut d’information une contestation sérieuse s’opposant à la condamnation solidaire de Monsieur Y au paiement des arriérés, condition essentielle à la recevabilité d’un référé (article 808 du Code de procédure civile). Les parties seront ainsi renvoyées à conclure au fond et les magistrats devront alors se prononcer sur la sanction adéquate applicable à ce défaut d’information.

6Il n’est pas rare que le législateur laisse le juge librement et souverainement décider de la sanction qu’il convient d’appliquer à la violation d’une disposition non-impérative du Code de commerce. Tel est notamment le cas de la sanction de la violation d’une interdiction de sous-location en matière commerciale qui, dès lors qu’elle est interdite par le bail, relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. com., 15 fév. 1961, n° 58-10.103).

7La solution retenue par la cour d’appel de Lyon n’innove ainsi pas plus qu’elle ne surprend. L’article L. 145-16-1 ne prévoit en effet cette obligation d’information du cédant que dans le cas où la cession du bail est accompagnée d’une clause de garantie du cédant au bénéfice du bailleur. Comme pour tout aménagement contractuel, c’est au juge qu’appartient le devoir de trancher lorsqu’aucune sanction n’est prévue par les textes ou par le contrat (Cass. civ. 3e, 23 janv. 1974, n° 72-14.299).

8La cour semble faire ici un parallèle intéressant avec le droit commun du cautionnement : celui qui garantit une obligation doit être informé du défaut d’exécution de l’obligation garantie afin, notamment, de faire jouer les bénéfices de la discussion et de la division (Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-15.282).

9Les juges du fond auront ici la délicate tâche de déterminer la sanction à prononcer pour le défaut d’information ainsi que des proportions que celle-ci devra prendre. Ce manquement pourra être sanctionné, à notre sens, non-seulement par l’octroi de dommages et intérêts, mais également par l’inopposabilité de la condamnation du locataire au garant. Ainsi, Monsieur Y n’aurait pas à garantir le cessionnaire des impayés du locataire en place.

10Cette solution, si elle était confirmée, pourrait s’inscrire dans le mouvement initié par la Cour de cassation relatif aux garanties contractuelles accordées en droit des affaires, notamment dans le cadre des clauses de garantie d’actif et de passif. La chambre commerciale de la Cour de cassation a en effet déjà reconnu qu’en l’absence d’indication des parties, la sanction du défaut d’information imposée par une garantie de passif relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond. Dans cette espèce, les hauts-magistrats avaient ainsi validé la sanction prise par la cour d’appel selon laquelle que le défaut d’information entrainait la déchéance de garantie en se référant à la « commune intention des parties » (Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-25.438).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 8e chambre civile, 3 avril 2018, n° 17/04807



Citer ce document


Quentin Rément, «Manquement à son obligation d’information par le bailleur en cas de cession d’un bail commercial : quelle sanction ?», BACALy [En ligne], n°11, Publié le : 19/10/2018,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=912.

Auteur


À propos de l'auteur Quentin Rément

Chargé d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon 3


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