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L’empiètement des ouvrages anciennement publics de France Télécom

Chloé Maëstroni

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1En 1976, le service des télécommunications de l’État (devenu, en 1988, France Télécom) implante un poteau et une chambre téléphonique aérée entre la voie publique et la clôture d’une parcelle privée. Le propriétaire de la parcelle, mécontent de l’implantation de ces installations, assigne, en 1994, France Télécom aux fins de voir constater une emprise irrégulière constitutive d’une voie de fait. Commencent alors de longues années de procédure.

2Saisi d’une question préjudicielle relative à l’appréciation de l’irrégularité de l’emprise, le juge administratif a, dans un premier temps, déclaré illégal l’arrêté individuel d’alignement pris par la commune (CE, Sous-section 8, 28 juillet 2004, n° 260608). L’ancienne délimitation – tracée en deçà de l’équipement installé par France Télécom – n’était donc plus valable et les installations se trouvaient en définitive bien sur la propriété de M. D.

3Toute la question a, par la suite, été de savoir si l’installation des équipements de France Télécom sur la parcelle privée de M. D constituait une emprise irrégulière ou un empiètement. En toile de fond, la question de la nature des ouvrages de France Télécom était soulevée. L’enjeu était d’importance car de la nature de ces ouvrages dépendait la qualification des faits (emprise ou empiètement) et surtout la répartition des compétences entre les deux ordres juridictionnels.

4En désaccord avec la qualification retenue par les juges de première instance, la cour d’appel (C.A. Grenoble, 1re chambre, 6 novembre 2012, n° 10-02092) a considéré que la nature des ouvrages de France Télécom devait être appréciée au jour de l’introduction de l’action par M. D. Les ouvrages litigieux étant encore des ouvrages publics en 1994, M. D ne pouvait donc se plaindre d’un empiètement. Il était en revanche fondé à contester l’emprise irrégulière que cela constituait et dont les conséquences dommageables relevaient de la compétence du juge judiciaire. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au motif que : « par l’effet de la loi du 26 juillet 1996, ces installations avaient perdu leur caractère d’ouvrages publics » (Cass. civ. 3e, 18 juin 2014, n° 13-10404, JurisData n° 2014-014730). Il ne pouvait donc y avoir emprise irrégulière. La Cour renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Lyon.

5Au-delà de la question de prescription des actions en responsabilité extracontractuelle relevant des mesures transitoires de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, et du rappel de la compétence du juge de l’exécution pour liquider l’astreinte prononcée par le premier jugement, l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 28 juin 2016 présente deux intérêts.

6Sur le fond tout d’abord, les juges devaient se prononcer sur l’indemnisation due au propriétaire de la parcelle empiétée. La propriété de M. D ayant été démontrée lors des décisions antérieures – et la bonne foi dont se prévalait France Télécom n’y changeant rien – l’installation d’ouvrages privés sur la propriété d’autrui constituait bien un empiètement. En indemnisant le trouble de jouissance « nécessairement subi » par M. D, la cour d’appel se contente d’effacer une situation contraire au droit. Sanctionner l’illicite emporte deux conséquences rappelées et respectées par les juges du fond.

7La première concerne les conditions de l’indemnisation due au propriétaire : en démontrant son droit de propriété, M. D établit automatiquement le caractère illégitime de la jouissance de France Télécom. Nul besoin de prouver la faute du possesseur comme le soutenait la société ; la jouissance illégitime suffit.

8La seconde concerne l’étendue de l’indemnisation. Le trouble de jouissance, et lui seul, peut être indemnisé à raison de l’empiètement. On comprendra dès lors que l’ampleur de l’empiètement joue un rôle déterminant dans l’évaluation de l’indemnisation. Selon que France Télécom a privé le propriétaire de la jouissance de trente mètres carrés de son terrain, ou seulement de quelques dizaines de centimètres, le montant de l’indemnisation en sera modifié. Par ailleurs, les préjudices qui ne résultent pas directement de l’empiètement doivent faire l’objet d’une indemnisation distincte pour laquelle il incombe au propriétaire de prouver la faute du possesseur illégitime et le dommage allégué. La cour d’appel de Lyon réduit donc, en toute logique, le montant de l’indemnité versée par France Télécom à M. D. Elle rend ainsi un arrêt conforme à une jurisprudence bien connue dans laquelle l’effacement de la situation illicite conditionne et détermine l’étendue de l’indemnisation du trouble de jouissance causé par l’empiètement sur le fonds d’autrui.

9Mais la saveur particulière de cet arrêt réside sans doute plus largement dans la procédure longue à l’issue de laquelle il intervient et qui n’aura très certainement – en ces termes du moins – plus l’occasion de se reproduire. En effet, les juges ont désormais tranché la question de la nature des ouvrages de France Télécom. Conseil d’État (CE, avis, 11 juillet 2001, n° 229486, JurisData n° 2001-062747), Tribunal des conflits (TC, 5 mars 2012, n° 3826, JurisData n° 2012-003666) et Cour de cassation (Cass. civ. 3e, 18 juin 2014, n° 13-10404, JurisData n° 2014-014730) s’accordent pour leur reconnaître, quelle que soit leur date d’édification, la qualité d’ouvrages de droit privé. Les installations de France Télécom débordant sur le fonds privé d’autrui constitueront donc à l’avenir des empiètements relevant de la compétence du juge judiciaire. Cette qualification est d’autant plus importante que l’on sait depuis 2013 (TC., 9 déc. 2013, n° 3931, JurisData n° 2013-033193) que le juge judiciaire n’est plus compétent pour statuer sur l’indemnisation du particulier victime d’une emprise irrégulière.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile, section B., 28 juin 2016, n° 14/08245, SA Orange c/ M. D



Citer ce document


Chloé Maëstroni, «L’empiètement des ouvrages anciennement publics de France Télécom», BACALy [En ligne], n°9, Publié le : 23/11/2016,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=603.

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À propos de l'auteur Chloé Maëstroni

Doctorante contractuelle à l’Université Jean Moulin Lyon 3


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