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Admission au passif d’une liquidation judiciaire : Rien à déclarer ? Circulez !

Quentin Rément


1A l’heure où certaines obligations fiscales déclaratives sont remplacées par un système de prélèvement automatisé, la cour d’appel de Lyon s’illustre dans une position symétriquement opposée concernant les déclarations de créances.

2La société Coudert Equipement était appelée en garantie comme sous-traitant dans une affaire de responsabilité contractuelle entre un entrepreneur et son donneur d’ordre. Le 9 septembre 2016, le tribunal de commerce de Saint-Étienne enjoignait la société Coudert de communiquer aux assureurs de l’entrepreneur principal (MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles) diverses informations concernant son contrat d’assurance sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard. La société Coudert Equipement s’est exécutée partiellement par courrier du 19 octobre 2016, en ne fournissant qu’une partie des informations demandées. Le 9 novembre 2016, Coudert Equipement fut placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Saint-Étienne, avec désignation de la société MJ Synergie aux fonctions de liquidateur.

3Le 20 mars 2017, les sociétés MMA ont assigné MJ Synergie ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Coudert aux fins de voir liquider l’astreinte provisoire du 9 septembre 2016. Le tribunal de commerce de Saint-Étienne a fait droit à cette demande et condamné le liquidateur à payer directement l’astreinte liquidée à hauteur de 90 500 € aux assureurs. MJ Synergie a relevé appel de cette décision devant la cour d’appel de Lyon. Selon elle, le fait générateur d’une astreinte est constitué par le jugement qui la fixe. Ainsi, elle fait valoir que l’action en liquidation de l’astreinte postérieure à l’ouverture de la liquidation judiciaire est soumise aux règles de l’arrêt des poursuites et de la déclaration de créance prévues par les articles L. 622-21 et suivants du Code de commerce.

4Par un arrêt en date du 22 novembre 2018, la cour d’appel de Lyon donne acte au liquidateur de ses prétentions et infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Saint-Étienne en ce qu’il condamna le liquidateur judiciaire, ès qualité, au paiement de la créance d’astreinte. Elle rappelle que l’ouverture d’une liquidation judiciaire n’a pas pour objet de rendre le liquidateur personnellement débiteur de l’obligation de faire, prononcée à l’encontre de la société Coudert antérieurement à la procédure (I). La cour conclut de facto à l’inopposabilité de la créance à la liquidation, celle-ci n’ayant pas été déclarée au passif (II).

I/ Créance antérieure : immunité du liquidateur

5Si les faits soumis à l’analyse de la cour d’appel de Lyon paraissent complexes, la solution établie est simple : le liquidateur ne peut être tenu personnellement au paiement d’une créance née antérieurement au jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. S’il est vrai qu’en vertu de l’article L. 641-9 du Code de commerce, le liquidateur est seul habilité à poursuivre les instances introduites avant le jugement de liquidation (en ce sens : Cass. com., 6 mars 1991, n° 89-15.540), il ne peut pas être tenu pour responsable d’une obligation mise à la charge de son administré antérieurement à sa nomination.

6Telle position ne surprendra pas, puisqu’elle se conforme aux principes mêmes du droit des obligations. Il aurait en effet été surprenant que le liquidateur se vît contraint d’assumer personnellement une obligation dont il n’est ni la cause, ni le responsable. Dessaisissement n’est pas substitution. Sans doute, les juges consulaires stéphanois auront confondu l’obligation d’assigner le liquidateur dans le cadre de toute action contre une entreprise en liquidation judiciaire (ibid) et l’assignation du liquidateur ès qualité dans le cadre d’une action en responsabilité. Fort heureusement pour la pratique, la cour d’appel, statuant à bon droit, s’est gardée d’une telle confusion.

II/ Créance antérieure : inopposabilité à la liquidation à défaut de déclaration

7Aux termes de l’article L. 622-21 du Code de commerce (sur renvoi de l’article L. 641-3 du même code), le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers antérieurs et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent. Les instances en cours au jours de l’ouverture du jugement de liquidation sont interrompues jusqu’à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. C’est seulement lorsque la déclaration a été effectuée que les procédures sont reprises avec appel du liquidateur (et le cas échéant de l’administrateur), avec pour seules finalités la constatation des créances et la fixation de leur montant (art. L. 622-22 C. com.).

8Les magistrats de la cour d’appel de Lyon ont d’ailleurs rappelé que le fait générateur d’une créance d’astreinte réside dans le jugement qui la fixe (Cass. com., 26 mars 2013, n° 06-10602), afin d’apprécier l’opposabilité de la créance des assurances MMA à la liquidation judiciaire.

9Or, pressés d’obtenir ce qu’ils pensaient acquis, les assureurs ne prirent pris la peine de déclarer leur créance, née à l’occasion du jugement fixant l’astreinte (9 septembre 2016) et assignèrent Coudert Equipement le 20 mars 2017, postérieurement à l’ouverture de liquidation judiciaire du 9 novembre 2016. Au moins auraient-ils pu déclarer une estimation généreuse du montant de l’astreinte, quitte à voir son montant réduit par le juge lors de la reprise de l’instance par le liquidateur. Tel ne fut pas le cas.

10C’est donc sans surprise que la cour libère le liquidateur de la créance d’astreinte mise maladroitement à sa charge par le tribunal de commerce de Saint-Étienne. Elle rappelle ainsi qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective, le passif du débiteur est gelé, forçant la discipline collective des créanciers.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre A, 22 novembre 2018, n° 17/03826



Citer ce document


Quentin Rément, «Admission au passif d’une liquidation judiciaire : Rien à déclarer ? Circulez !», BACALy [En ligne], n°12, Publié le : 01/02/2019,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1654.

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À propos de l'auteur Quentin Rément

Avocat au Barreau de Paris, Chargé d’enseignement à HEC Paris


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