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Liberté de la preuve en matière commerciale : un principe mis à mal

Célia Berger-Tarare

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1Le 8 octobre 2008, la société BHA Développement a subrogé la société SA Compagnie Générale Affacturage (CGA) dans les droits qu’elle prétendait détenir à l’encontre de la société VPRM SA (VPRM). La société d’affacturage a alors déclaré sa créance auprès du tribunal de commerce de Lyon afin de faire valoir ses droits à titre chirographaire dans la liquidation judiciaire de son débiteur. Par ordonnance du 8 novembre 2010, le juge-commissaire, statuant au visa des articles L. 624-1 et suivants du Code de commerce, a rejeté l’inscription de la créance.

2La société CGA interjette alors appel contre le mandataire judiciaire, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société VPRM, et demande à la cour d’appel de Lyon de constater d’une part, la recevabilité de son action et, d’autre part, l’existence de l’obligation de payer, la facturation de la prestation immatérielle (consistant en la refonte globale d’un site web) n’ayant jamais été contestée.

3Le 3 février 2012, la cour juge la demande de la société CGA recevable en vertu de l’existence d’un acte écrit de subrogation ex parte creditoris valablement constitué, mais confirme l’ordonnance rejetant l’inscription de la créance, au motif que la société CGA ne rapporte pas la preuve de l'exécution de la prestation dont elle réclame paiement en qualité de subrogée. En effet, selon la cour, « le principe de la liberté de la preuve en matière commerciale ne rend pas suffisant la production d'un devis accepté et d'une facture pour démontrer l'exécution d'une prestation […] ; [celle-ci] doit être justifiée au moins par un document émanant de VPRM attestant de la réalisation des travaux […]. En outre, CGA est mal fondée à se prévaloir, pour prouver, du défaut de contestation de VPRM alors qu'elle ne justifie d'aucune mise en demeure préalable ».

4L’analyse de cette décision fait ressortir trois éléments. D’abord, l’arrêt réaffirme le principe selon lequel si « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver » (C. civ., art. 1315), « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » (Cass. com., 6 déc. 1994, n° 93-12309, Contrats conc. consom., 1995. comm. 67, obs. L. Leveneur). Ainsi, une facture émanant du demandeur ne peut généralement suffire à caractériser l’existence de l’obligation de payer lorsque celle-ci n’est pas accompagnée d’éléments probants la confirmant.

5Toutefois la force probante des éléments produits étant laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, de nombreux arrêts font figure d’exception, au point qu’un auteur qualifie le principe de « précepte bien creux » (C. Mouly-Guillemaud, « La sentence ‘‘nul ne peut se constituer de preuve à soi-même’’ ou le droit de la preuve à l'épreuve de l'unilatéralisme », RTD civ., 2007, p. 253). Ainsi, outre le fait que la Cour de cassation a déjà admis qu’une facture suffisait à prouver la réalisation des travaux par le créancier, du fait qu’il eut été aisé au débiteur d’apporter ensuite la preuve contraire (Cass. com. 8 déc. 1987, n° 86-11316), elle a eu l’occasion de juger que celui qui a reçu les factures sans protestation ni réserves et qui ne conteste pas le bien-fondé de la demande peut être condamné sur cette seule preuve (Cass. com. 11 mars 1980, n° 78-12466).

6Ensuite, la cour d’appel indique que la société CGA ne peut se prévaloir de l’absence de contestation de VPRM sans justifier d'une mise en demeure préalable. Pourtant, il est traditionnellement admis en droit commercial que les délais stipulés sur les factures sont impératifs. L’article 53 de la loi NRE (n° 2001-420 du 15 mai 2001, JO du 16 mai) est d’ailleurs venu renforcer cette idée en rendant les pénalités de retard exigibles sans qu’un rappel soit nécessaire (C. com., art. L. 441-6). Ainsi, la mise en demeure n’étant pas en cette matière une condition préalable au recouvrement de la créance, il semble déraisonnable de soumettre la preuve de l’existence d’une obligation à une mise en demeure restée infructueuse, lorsqu’une facture a été délivrée sans contestation.

7Enfin, la cour exige curieusement la production d’un document émanant du débiteur attestant de l’exécution. On pourra dès lors se demander si cette exigence nouvelle ne met pas à mal le principe de la liberté de la preuve en matière commerciale, pourtant consacré successivement par la jurisprudence et l’article L. 110-3 du Code de commerce.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre civile, section A, 3 février 2012, n° 10/08280, JurisData n° 2012-001475



Citer ce document


Célia Berger-Tarare, «Liberté de la preuve en matière commerciale : un principe mis à mal», BACALy [En ligne], n°1, Publié le : 20/06/2012,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1588.

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À propos de l'auteur Célia Berger-Tarare

ATER à l’université Jean Moulin Lyon 3


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