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Mention manuscrite et disproportion : rigueur ou indulgence pour les cautions ?

Nicolas Borga

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1Entre rigueur et indulgence, la jurisprudence peut paraître difficile à synthétiser comme le montre deux arrêts rendus par la cour d’appel de Lyon.

2Dans l’arrêt du 30 octobre 2012, le litige mettait aux prises la société AGIP France, une SARL Station Denis, et deux époux co-gérants de la SARL. Ces derniers s’étaient portés cautions des dettes de la SARL à l’égard de la société AGIP.

3Les juges consulaires avaient débouté la société créancière de son action à l’encontre des cautions, visiblement pour non-respect de l’article L. 341-2 du Code de la consommation.

4Rappelons que ce texte impose, à peine de nullité, à toute personne physique s’engageant par acte sous seing privé en qualité de caution au profit d’un créancier professionnel de faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même ». Or, en l’espèce, la mention manuscrite ne répondait pas aux exigences légales puisque, quant à la durée, il était énoncé : « pour la durée de la présente convention et de celles pouvant y succéder ». Cette indication résultait du fait que l’acte de cautionnement rappelait qu’une convention de location-gérance avait été conclue pour trois ans avec la société créancière et que pour lui garantir la restitution des sommes correspondant aux ventes des produits confiés sous mandat et éventuellement la restitution des produits eux-mêmes, les époux avaient accepté de se porter cautions. Bref, il s’agissait de lier la durée du cautionnement à celle de la location-gérance.

5De façon libérale (v. aussi, mais moins critiquable, CA Lyon, ch. civ. 1 A, 20 juill. 2012, n° 11/02310), et contrairement, à ce qu’avait décidé le tribunal de commerce, la cour a considéré que la durée de l’engagement « était bien déterminée comme liée à la durée de la convention de location-gérance et de celles pouvant lui succéder ; qu’elle était en tout état de cause déterminable ». Le raisonnement ne convainc pas, et cela pour au moins deux raisons.

6Tout d’abord, il nous semble que la cour d’appel ne situe pas le débat sur un terrain adéquat. L’article L. 341-2 n’invite pas véritablement à se demander si la durée de l’engagement de la caution est déterminée ou à tout le moins déterminable, question à laquelle répond la cour, mais il impose à la caution de spécifier la durée de son engagement. La distinction peut sembler subtile, elle n’en est pas moins importante. L’exigence d’une durée déterminée ou déterminable est une exigence de fond requise par le droit commun. L’article L. 341-2 pose lui une exigence de forme, quand bien même elle aurait des répercussions sur le fond. Le texte requiert que soit indiqué une durée au sein de la mention manuscrite, ce à quoi on ne peut échapper au motif du caractère déterminé ou déterminable de l’engagement. La loi entendant clairement que soit fixée une limite temporelle claire, on ne peut considérer comme valable une mention manuscrite visant « la durée de la présente convention et de celles pouvant y succéder ». C’est autant la lettre que l’esprit de la loi qui est méconnu.

7Ensuite, quelle est « la présente convention » dont il est ici question ? L’acte en cause entendait lier la durée du cautionnement à celle de la location-gérance. Il existait deux contrats, en tant que negocium, qui ne semblaient d’ailleurs pas réunis au sein d’un instrumentum unique. La « présente convention » correspond-elle à la location-gérance ou au cautionnement ? Si c’est la location-gérance qui était visée la rédaction est alors bien maladroite. Si c’est le cautionnement, ce qu’une interprétation littérale suggère, c’est alors quelque peu tautologique que d’indiquer que la durée du contrat de cautionnement correspond à la durée de la présente convention. La mauvaise rédaction du contrat aurait dû se traduire par une censure, tout spécialement dans la perspective d’un formalisme dit « informatif ».

8Il faut relever, pour l’approuver cette fois, que l’arrêt traite également de la qualité de « créancier professionnel » au sens des articles L. 341-2 et s. Cette qualité est reconnue à la société créancière, et ce, dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation pour qui est un créancier professionnel « celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si elle n’est pas principale » (v. not. Cass. civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-15910).

9Enfin, il faut indiquer que les cautions ont également cherché, sur le fondement de l’article L. 341-4, à se prévaloir de la disproportion de leur engagement. L’argument est rejeté dans la mesure où, face à un cautionnement de 50 000 euros, il est relevé qu’elles disposaient d’un véhicule d’une valeur équivalente et qu’elles percevaient des rémunérations supérieures à 3 000 euros par mois, outre une prime de fin d’année. Ces considérations factuelles donnent peu de prise à l’analyse. On peut toutefois indiquer que la présence dans leur patrimoine d’un bien d’une valeur déclarée par les cautions comme égale au montant du cautionnement parait essentielle.

10À cet égard, la décision peut être utilement comparée au second arrêt, celui du 21 septembre 2012 (v. encore CA Lyon, ch. civ. 1 A, 20 juill. 2012, n° 11/02310). En l’espèce, deux cautionnements avaient été souscrits, le premier en 2005 pour un montant de 18 000 euros et le second en 2007 pour un montant de 10 800 euros. Alors que le tribunal de commerce avait écarté le défaut de proportionnalité et condamné la caution à s’acquitter des sommes dues et cela en 24 versements mensuels, la décision est censurée. La cour relève que pour l’année 2005, date du premier cautionnement, la caution a déclaré un revenu annuel de 15 600 euros net et qu’en 2007, lorsque le second engagement a été contracté, ses revenus étaient sensiblement identiques sans qu’elle dispose par ailleurs d’autres éléments dans son patrimoine.

11Si la cour considère, à juste titre, que la présence de cofidéjusseurs est indifférente dans l’appréciation de la disproportion, la décision peut malgré tout être discutée. L’article L. 341-4 suppose en effet de prendre en compte deux périodes de temps : d’une part la souscription de l’engagement ; d’autre part le moment auquel la caution est appelée à payer. Or, si lorsqu’elle a été invitée à s’exécuter la caution ne pouvait faire face à ses engagements, fussent-ils échelonnés sur deux ans, il est plus discutable de considérer que l’engagement était disproportionné lors de la conclusion du contrat. Pour parvenir à ce résultat, la cour compare le revenu annuel de la caution au montant de son engagement, ce dont elle déduit une disproportion. À notre sens, c’est quelque peu oublier la capacité de crédit de la caution et le fait que l’article L. 341-4 exige une disproportion manifeste. Dans ce contexte, un engagement de 18 000 euros souscrit par une personne déclarant un revenu annuel net d’environ 15 000 euros n’est pas forcément manifestement disproportionné. Mais tout dépend bien sûr des autres charges qu’elle peut avoir à supporter, et l’on indiquera que, compte tenu du premier engagement, le second pouvait plus facilement apparaître disproportionné.

12Que dire, pour conclure, si ce n’est que l’irrégularité des mentions manuscrites et le défaut de proportionnalité de son engagement, principales armes de la caution acculée, risquent d’alimenter le contentieux pour une longue période.

Arrêts commentés :
CA Lyon 30 oct. 2012, chambre 3 A, n° 10/06056
CA Lyon 21 sept. 2012, chambre 3 A, n° 11/03267



Citer ce document


Nicolas Borga, «Mention manuscrite et disproportion : rigueur ou indulgence pour les cautions ?», BACALy [En ligne], n°2, Publié le : 17/01/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1507.

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À propos de l'auteur Nicolas Borga

Agrégé des facultés de droit, professeur à l’Université Pierre Mendès-France Grenoble 2


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