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1En matière de crédit, comme on le sait, si l’objectif est de permettre au plus grand nombre d’accéder à ce mode de financement pour ne pas limiter notamment la consommation, il est également de s’assurer que les emprunts contractés pourront être remboursés sans difficultés. Pour ce faire, la jurisprudence met depuis plusieurs années à la charge des établissements bancaires des obligations dont la finalité est à chaque fois d’anticiper d’éventuelles défaillances des futurs emprunteurs. Parmi ces obligations, l’obligation de mise en garde est certainement celle dont la violation est la plus fréquemment retenue devant les tribunaux pour engager la responsabilité des établissements de crédit, comme en témoignent plusieurs arrêts rendus récemment par la cour d’appel de Lyon. L’analyse de ces arrêts est pour cette raison l’occasion de revenir sur le contenu de cette obligation de mise en garde pour voir ensuite quels préjudices la jurisprudence accepte de réparer en cas de violation de cette obligation

I/ Le contenu de l’obligation de mise en garde

2Depuis plusieurs années maintenant, la jurisprudence a précisé, de manière très claire, le domaine du devoir de mise en garde des établissements de crédit en posant plusieurs conditions.

3Ce devoir suppose comme première condition l’octroi d’un crédit excessif. Cependant l’appréciation de ce caractère excessif diffère selon que l’on est en présence d’un particulier ou d’une entreprise. Lorsque l’emprunteur est un particulier, le caractère excessif du crédit est surtout apprécié au regard du taux d’endettement. C’est ce que nous rappelle la cour d’appel de Lyon dans un premier arrêt en date du 27 novembre 2014 en précisant qu’un taux d’endettement de l’ordre de 44 % doit être considéré comme « important pour un couple disposant de revenus relativement modestes et qui doit assumer par ailleurs toutes les charges de la vie courante dont celle d’un logement. »

4Le devoir de mise en garde est ensuite réservé aux emprunteurs non avertis ce qui peut se comprendre dans la mesure où la cour sanctionne en réalité la dissymétrie d’information existant entre les parties au contrat de prêt. C’est seulement à l’égard de cette catégorie d’emprunteurs que l’organisme de crédit doit se montrer diligent. Cependant il ne peut être valablement présumé de la qualité de professionnel, la qualité d’emprunteur averti. En effet, la qualité d’emprunteur averti ou non découle d’un ensemble d’indices tel que la profession, la fréquence des opérations et le montant du crédit. C’est cette fois par un arrêt en date du 18 décembre 2014 que la juridiction du fond lyonnaise nous rappelle cette règle importante.

5En l’occurrence, dans l’arrêt commenté, c’est seulement parce que le couple emprunteur exploitait un fonds de commerce de boucherie depuis huit années au moment de la souscription du contrat que l’organisme de crédit inquiété contestait cette qualité. Le raisonnement n’est pas retenu ici par les juges du fonds, pour qui, cette seule activité professionnelle ne saurait suffire à établir une telle qualité, en l’absence d’expérience significative dans la souscription de prêt à titre professionnel. La qualification d’emprunteur averti doit, en effet, faire l’objet d’une appréciation in concreto à partir de différents critères.

II/ Le préjudice réparable en cas de violation de l’obligation de mise en garde

6Ces précisions apportées concernant les conditions d’existence de l’obligation de mise en garde, c’est ensuite concernant les préjudices susceptibles d’être indemnisé en cas de violation de ce devoir que l’étude de ces trois décisions est intéressante.

7En cas de manquement à l’obligation de mise en garde, les trois arrêts nous rappellent en effet que le seul préjudice réparable est la perte d’une chance de ne pas contracter. Pour l’emprunteur c’est ainsi la perte de la chance de ne pas avoir obtenu le prêt et donc de ne pas avoir à le rembourser qui peut être indemnisé.

8Ce choix de limiter la réparation à la perte de chance est bien entendu fondé. Si l’établissement de crédit avait bien mis en garde l’emprunteur non avertie comme il aurait dû le faire, il n’est pas certain que l’emprunteur aurait renoncé à souscrire le crédit. L’obligation de mise en garde n’est pas un devoir de conseil et elle n’emporte pas pour l’établissement de crédit obligation de ne pas consentir le crédit. Il est même réaliste de penser que, malgré l’avertissement, l’emprunteur aurait persisté dans leur volonté de s’engager.

9La victime de ce manquement ne peut donc réclamer des indemnités équivalant aux sommes rémunérant la banque, comme le rappelle la cour dans sa décision du 23 octobre 2014. Comme le précise le juge dans le même arrêt, le préjudice subi n’équivaut jamais à l’annulation ou à la résolution du prêt, de sorte qu’il convient seulement d’évaluer le dommage résultant de l’opportunité manquée de ne pas contracter le prêt.

10Pour déterminer celui-ci, la méthode de calcul est ensuite bien connue. Le préjudice de la perte de chance est évalué en fonction du préjudice final. Il correspond à un pourcentage du dommage final, c’est-à-dire ici des sommes dues par l’emprunteur à l’organisme financier.

Arrêts commentés :
CA Lyon, chambre civile 1A, 23 octobre 2014, n° 12/04388
CA Lyon, chambre civile 6, Section B, 27 novembre 2014, n° 12/05921
CA Lyon, chambre civile 1A, 18 décembre 2014, n° 13/00353



Citer ce document


Adrien Bascoulergue, «Rappel des règles sur la responsabilité bancaire pour défaut de mise en garde», BACALy [En ligne], n°6, Publié le : 03/02/2015,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1338.

Auteur


À propos de l'auteur Adrien Bascoulergue

Maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2


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